14 octobre 2015 IMEU
Experte
Diana Buttu, analyste basée à Ramallah, ancienne conseillère du président de l’Organisation de Libération de la Palestine, du président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas et des négociateurs palestiniens, et Conseillère politique de Al-Shabaka : Le Réseau Politique Palestinien.
Q – Comment décririez-vous la situation actuelle à Jérusalem Est occupée et en Cisjordanie ?
« La situation est très tendue. Les gens se sentent extrêmement vulnérables et en danger, même plus qu’ils ne le sont habituellement en vivant sous occupation israélienne. Au milieu de la violence et de l’inquiétude, l’armée et la police israéliennes utilisent une politique du « tir pour tuer » et les colons redoublent de violence, attaquant les Palestiniens et leurs biens sous la protection des soldats israéliens. Les Palestiniens sentent que, à tout moment, ils peuvent devenir les victimes de la violence israélienne.
« Depuis début octobre, près de 30 Palestiniens ont été tués par la police ou les soldats israéliens. Pendant cette seule semaine, les forces israéliennes ont tué au moins cinq enfants palestiniens dans les territoires occupés. Le week-end dernier, à Jérusalem Est, un Palestinien de 19 ans, Fadi Alloun, a été accusé d’être un ‘terroriste’ par une meute d’Israéliens et sommairement exécuté par la police israélienne qui a tiré sept fois sur lui plutôt que d’utiliser des moyens non-létaux pour l’arrêter, même alors que la vidéo a prouvé qu’il ne présentait aucun danger pour personne au moment où on l’a tué. Faites contraster la façon dont Fadi a été abattu de sang froid par la police israélienne et les mesures que les forces israéliennes utilisent contre les Juifs qui mènent des attaques violentes, comme celle menée la semaine dernière par des Israéliens qui ont poignardé quatre Palestiniens dans le sud d’Israël, que la police s’est arrangée pour appréhender vivants, ou l’Israélien qui a poignardé des participants de la Marche des Fiertés à Jérusalem et qui, lui aussi, a été capturé vivant.
« Dans le cas de Fadi, on l’a accusé d’être ‘terroriste’ et cela a suffi à la police israélienne pour décider qu’il méritait d’être exécuté sans procès. Ce phénomène de la police ou des soldats israéliens assassinant des Palestiniens sans défense, suspectés d’attaquer des Israéliens, n’est pas nouveau. Il est emblématique du racisme et de la brutalité du régime d’occupation israélien, contre lequel les Palestiniens s’élèvent une fois de plus en manifestant dans les rues. En tant que Palestiniens, nous sommes tous des cibles potentielles. Nous pouvons tous être étiquetés ‘terroristes’ par un Israélien, tués, et notre mort présentée comme une conséquence. »
Q – Quelles sont les causes de cette constante inquiétude ?
« Après près de cinq décennies d’occupation israélienne et de déni de leur liberté, les Palestiniens, comme tout autre peuple opprimé dans le monde, ont atteint leur point de rupture. La formule appliquée quotidiennement de démolition de maisons, confiscation de terres, construction de colonies, arrestations, mauvais traitements et torture de prisonniers, y compris sur des enfants, invasion de villes palestiniennes, de camps de réfugiés et de maisons, agressions militaires sauvages et siège cruel et illégal, a poussé une fois encore les Palestiniens dans les rues pour manifester pour leur liberté. Les Palestiniens majoritairement jeunes qui défient courageusement l’armée d’occupation ont passé toute leur vie sous un régime militaire raciste et répressif et ils en ont eu assez.
« Ajoutez à ce puissant mélange l’insistance d’Israël à allumer les tensions religieuses en autorisant les Juifs extrémistes à aller sur l’esplanade de la mosquée Al Aqsa, dans Jérusalem occupée, où ils déclarent ouvertement qu’ils ont l’intention de détruire la mosquée et de construire un temple, et le fait qu’il ferme les yeux sur les constantes agressions menées par les colons, sans oublier la mise à feu de la maison des Dawabshe à Duma où trois Palestiniens, dont un enfant de 18 mois, ont été brûlés vifs cet été. Israël n’a encore accusé personne de ces crimes, tout comme il a failli à tenir quiconque pour responsable dans plus de 90 % des affaires impliquant des soldats ou des colons ayant tué illégalement des Palestiniens, créant ainsi une culture par laquelle les Israéliens sentent qu’ils peuvent impunément tuer des Palestiniens. »
Q – Certains imaginent que nous sommes témoins du début d’une nouvelle intifada, ou soulèvement, contre l’occupation israélienne. Pensez-vous que c’est le cas ?
« Les gens parlent d’une troisième intifada seulement quand des Israéliens sont tués, jamais quand des Palestiniens sont tués. Les moyens utilisés par les Palestiniens pour résister à l’occupation israélienne existent depuis des années, y compris dans les villes de Cisjordanie telles que Nabi Saleh ou Bilin, où les Palestiniens manifestent toutes les semaine contre la confiscation continue de terres et la construction du mur d’apartheid par Israël. Et pourtant, ces manifestations populaires et non-violentes attirent très peu ou pas l’attention.
« Les manifestations dont nous sommes témoins aujourd’hui augmentent en taille et en portée, mais les Palestiniens ont besoin d’une gouvernance qui soutienne ce genre de résistance populaire pour lui apporter coordination et efficacité. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. »
Q – Comment pouvons-nous sortir de l’impasse politique actuelle ?
« Les Palestiniens ont un besoin urgent d’une force de protection internationale, étant donné que l’Autorité Palestinienne en est incapable et qu’Israël ne le veut pas. Depuis bientôt cinq décennies, Les Palestiniens – réfugiés et sans Etat – ont vécu sous le courroux de l’armée la plus puissante de la région. L’année dernière, la campagne de bombardements d’Israël sur Gaza a tué plus de 2.000 Palestiniens , dont plus de 500 enfants. Pourtant, plutôt que de protéger les Palestiniens, la plus grande partie de la communauté internationale continue d’exiger des Palestiniens qu’ils apportent la sécurité à leur occupant et oppresseur. Cette formule n’a pas marché, et ne marchera jamais.
« Ce qui est clair, c’est que les Palestiniens ont maintenant besoin du soutien international pour mettre fin à l’impunité d’Israël. Si le monde croit authentiquement que tous les peuples devraient vivre libres, il devrait soutenir le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) et les autres moyens permettant de tenir Israël pour responsable, y compris en poursuivant les fonctionnaires israéliens pour crimes de guerre devant la Cour Pénale Internationale. »
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source: IMEU