Par Asa Wintstanley, mardi 1er décembre 2015
Il fut un temps, Syriza était un parti politique populaire et de gauche, porté au pouvoir lors des élections grecques grâce à sa promesse de mettre fin à des années d’austérité imposée par le FMI et l’Union Européenne.
Mais aujourd’hui, la direction du parti a vendu tous ses principes, appliquant la même austérité que celle à laquelle il disait s’opposer, même après un vote « non » massif lors du référendum de cet été sur un nouveau plan de sauvetage assorti de conditions d’austérité encore plus sévères.
Cela a conduit au départ du Yanis Varifakis, le ministre des Finances, et à un exercice de grand écart qui a poussé de nombreux militants et responsables à démissionner pour former un parti dissident. Tsipras a réussi à revenir au pouvoir lors de nouvelles élections, quoique sur un mandat plus réduit.
Comme je l’ai écrit auparavant, une fois au pouvoir, le gouvernement dirigé par Syriza est revenu également sur d’autres promesses, comme celles qui concernant sa politique étrangère autrefois anti-militariste.
Les manifestes électoraux incluaient une promesse « d’abolition de la coopération militaire avec Israël. » Mais une fois au pouvoir, le gouvernement dirigé par Syriza, a en réalité continué les exercices militaires conjoints avec Israël, initiés sous le gouvernement conservateur en 2009.
Lors d’une visite en Israël en juillet dernier, le ministre des Affaires étrangères Nikos Kotzias a même déclaré que les Grecs devaient « apprendre à aimer Israël » et il a honteusement qualifié Israël de cadre d’une « ligne de la stabilité » dans la région – quelque chose qui sonner étrangement aux oreilles des amis et parents de ces 551 enfants palestiniens assassinés par Israël pendant sa guerre de l’été 2014 contre la population civile dans la bande de Gaza.
Par rapport à la ligne plus décente qui précédait, c’était une brutale reculade de la part du gouvernement dirigé par Syriza, en même temps que celui-ci renversait les principes fondamentaux de sa politique économique intérieure.
Mais Syriza comme prétendu mouvement de gauche, a voulu maintenir une certaine distance par rapport aux contacts entretenus par son gouvernement avec Israël : pour preuve, le ministre de la Défense Panos Kammenos fait partie des Grecs indépendants (un partenaire de droite de la coalition au pouvoir) et le ministre des Affaires étrangères Nikos Kotzias a un statut d’indépendant.
Du moins cette distance a-t-elle été maintenue jusqu’à cette semaine. A compter d’aujourd’hui, les faux-semblants de Syriza par rapport à Israël appartiennent au passé.
Le Premier ministre Alexis Tsipras a rendu sa première visite en Israël cette semaine. Et elle constitue bien plus que ce que certains veulent présenter comme un contact diplomatique obligé (ce avec quoi je suis en désaccord, personnellement). Tsipras est allé discuter du renforcement des liens économiques avec Israël, avec entre autres sujets l’exportation vers l’Europe du gaz naturel récemment découvert en mer.
Tsipras a également renforcé la mythologie sioniste en affirmant : « nos peuples sont très anciens. » En réalité, Israël a été fondé seulement en 1948, sur les fosses communes des Palestiniens tués durant le nettoyage ethnique sioniste des habitants indigènes de la Palestine : la Nakba, ou « Catastrophe ».
Israël est, en substance, une construction coloniale européenne qui prétend se fonder sur des histoires bibliques qui sont autant de mythes fondateurs de son État illégitime.
Tsipras a rencontré Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien accusé de crimes de guerre, lors d’une conférence de presse pleine de bonne humeur durant laquelle les deux protagonistes ont vomi des histoires « d’affinité naturelle entre les Israéliens et les Grecs. »
Le plus dégoutant a sans doute été de voir Tsipras aller jusqu’à ramper devant Israël, se compromettant au-delà de n’importe quel autre dirigeant européen, en reconnaissant l’annexion illégale de Jérusalem en 1967 (officialisée ensuite en 1980). Tsipras a signé le livre d’or du président israélien Reuben Rivlin en déclarant que c’était un « grand honneur d’être dans votre capitale historique ».
En fait, l’annexion de Jérusalem est illégale en vertu du droit international, et aucun État au monde ne reconnaît sa légitimité. Les États qui disposent de relations diplomatiques avec Israël maintiennent leur ambassade à Tel-Aviv, et non pas Jérusalem, pour attester de ce fait.
Que Tsipras soit allé au-delà à cet égard est honteux. Les diplomates israéliens ont été prompts à s’en réjouir, l’un d’entre eux qualifiant le geste de « sans précédent, surtout pour un dirigeant européen. »
Compte tenu de tout ce qui est arrivé en Grèce, cela ne devrait peut-être pas surprendre. Mais cela est malgré tout décevant pour tous ceux en Grèce et en Europe qui avaient eu même un tout petit degré d’espoir que Tsipras et son parti apporteraient quelque chose de nouveau et d’authentique dans le monde des politiciens et des parlements.
L’ensemble de cette triste histoire a valeur d’avertissement pour tous ceux d’entre nous – y compris moi-même – qui ont investi un certain degré d’espoir dans Jeremy Corbyn et son parti travailliste récemment revitalisé. Les situations en Grande-Bretagne et en Grèce sont très différentes à bien des égards, et le Labour n’est certainement pas un nouveau parti comme Syriza.
Néanmoins, sont mises en évidence des questions et des contradictions fondamentales relatives à l’influence que les mouvements populaires peuvent avoir sur des gouvernements et des partis politiques traditionnels. Quand des politiciens et des dirigeants non élus – comme les dirigeants de l’UE et du FMI – s’activent à renverser la volonté démocratique clairement exprimée par le peuple, il n’est pas étonnant que les gens deviennent fondamentalement sceptiques sur leurs gouvernements et les États.
* Asa Winstanley est un journaliste indépendant basé à Londres qui séjourne régulièrement dans les TPO. Son premier livre “Corporate Complicity in Israel’s Occupation” est publié chez Pluto Press.
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