Leur statut spécial les laisse sans État, même après des décennies d’exil, et dépourvus des droits des autres réfugiés.
Par Mai Abou Moghli et Naël Bitarie
4 Décembre 2015
Réfugiés palestiniens dans le camp de réfugiés de Yarmouk, à Damas, Syrie. (Reuters / Stringer)
Après les horribles attaques terroristes à Paris et à Beyrouth et après qu’un avion russe ait été abattu dans le Sinaï, ce n’est pas moins de 31 gouverneurs d’États américains qui ont déclaré que les réfugiés syriens n’étaient pas bienvenus. Par contraste, le président Barack Obama a appelé les dirigeants mondiaux à continuer d’accepter les réfugiés, disant que nombre d’entre eux « sont eux-mêmes victimes du terrorisme ».
Nous approuvons. Nous reconnaissons que ces attaques vont nourrir un sentiment d’insécurité et de vulnérabilité en Europe – et bien sûr dans le monde. Mais ce n’est pas le moment que le monde ferme la porte aux réfugiés. Nous croyons aussi que, tandis que la plus grande attention est à juste titre portée globalement aux réfugiés de Syrie, nous devons prêter une attention particulière aux réfugiés palestiniens de Syrie, qui sont parmi les plus vulnérables : des décennies d’exil et ils n’ont toujours pas d’État et les droits garantis à d’autres réfugiés, en Jordanie, au Liban, en Égypte et en Turquie leur ont été refusés.
Au début du conflit syrien, il y avait 560 000 réfugiés palestiniens en Syrie. Les Palestiniens qui ont fui la Syrie ont vu leur mobilité et leur accès à la protection internationale restreints, en partie à cause du statut spécial qui leur est donné par une clause d’exclusion de la convention de 1951 de l’ONU sur le statut des réfugiés.
Ce statut spécial a créé la possibilité de la discrimination. Du fait que les réfugiés palestiniens n’ont pas les mêmes droits que les autres réfugiés de Syrie dans les pays du Moyen Orient, selon le mandat du Haut Commissariat de l’ONU pour les Réfugiés (UNCHR), ils vivent dans la peur constante d’être arrêtés et forcés de retourner en Syrie.
Par exemple, en 2013, le gouvernement jordanien a inauguré une politique de refus d’accueil des réfugiés palestiniens de Syrie. Les Palestiniens qui ont fui la Syrie vers la Jordanie ne peuvent pas vivre légalement dans les camps de réfugiés établis pour les Syriens et ils n’ont pas le droit non plus de gagner de l’argent pour louer un logement. Le Premier ministre de Jordanie, Abdullah Ensour, a justifié cette politique restrictive par la nécessité d’éviter d’absoudre Israël de sa responsabilité dans le le refus du droit au retour des réfugiés palestiniens.
Au Liban, en mai 2014, des réfugiés palestiniens enregistrés en provenance de Syrie ne pouvaient entrer que s’ils avaient des documents de voyage pour un autre pays, leur séjour au Liban étant limité à neuf heures. La réduction de la possibilité pour les Palestiniens de Syrie de renouveler leurs titres de résidence plaçait la majorité d’entre eux sous la menace d’être arrêtés et déportés en Syrie.
En Égypte, seuls les réfugiés palestiniens de Syrie sont empêchés de s’enregistrer auprès de l’UNCHR et donc ne peuvent obtenir des permis de résidence ni recevoir des bons d’alimentation ni d’assistance médicale. Ils ne peuvent bénéficier d’aucun autre service de l’UNCHR. Les Palestiniens fuyant la Syrie pour l’Égypte ont fait l’objet d’arrestations arbitraires, de détention prolongée ou de déportation et d’expulsions collectives.
Et en Turquie, des rapports font état de réfugiés palestiniens de Syrie attaqués par des gardes frontières lors de leur tentative d’entrer dans le pays.
Pendant ce temps, les camps de réfugiés palestiniens en Syrie ont souffert, du fait du conflit, de pilonnages qui ont causé des destructions importantes et des déplacements massifs de leur population. Le camp de Yarmouk, par exemple, est assiégé depuis 2012, sans qu’aucune aide n’ait été fournie depuis des mois. De plus, l’Agence onusienne pour les réfugiés (UNWRA) installée après la guerre israélo-arabe de 1948 n’a pas eu les moyens de distribuer de la nourriture aux environs du camp depuis juin de cette année.
Etant donnée la dure réalité à laquelle les réfugiés palestiniens de Syrie sont confrontés, un nombre croissant opte, comme les Syriens, pour continuer vers l’Europe. Ils sont nombreux à payer des sommes exorbitantes à des passeurs et à des trafiquants d’êtres humains. Leurs routes maritimes ou terriennes sont traîtresses et ils sont confrontés au risque d’être renvoyés par des gardes frontières.
Les négociations conduites par les États Unis et la Russie à Vienne ont produit un plan pour le conflit syrien. Mais il n’y a clairement pas de solution immédiate pour les millions de réfugiés qui ont fui le conflit en Syrie. Au sein de cette crise, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou a, bien sûr, proposé d’annuler les cartes d’identité de 80 à 100 000 Palestiniens de Jérusalem. Ce faisant, il ajouterait à l’injustice vécue par les Palestiniens depuis 1948 lorsque la création d’Israël a expulsé plus de 700 000 Palestiniens de leur pays, dont beaucoup ont trouvé refuge en Syrie.
Les pays arabes et la Turquie doivent arrêter d’utiliser le droit au retour comme prétexte pour priver de leurs droits fondamentaux les réfugiés palestiniens fuyant les atrocités de Syrie et ils doivent se plier à l’obligation internationale de non-refoulement (non retour forcé dans le pays d’origine). Les États européens et autres États occidentaux pourraient aider à leur réinstallation dans des pays tiers. Critiquer cette réinstallation en fonction de ses effets sur le droit au retour équivaudrait à l’usage que font des pays arabes du droit au retour pour refuser aux réfugiés palestiniens leurs droits humains fondamentaux. Aucune intégration dans un pays de résidence ni la réinstallation dans un pays tiers ne s’opposent au droit individuel au retour des Palestiniens dans leur patrie.
L’Organisation de Libération de la Palestine, en tant que représentante du peuple palestinien, a la responsabilité d’intervenir au nom des réfugiés palestiniens de Syrie, en faisant à tout le moins un effort diplomatique plus vigoureux pour aider à assurer leur protection et à trouver des solutions à leur détresse. Dernier point, mais non des moindres, la communauté internationale doit faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il endosse la responsabilité de la tragédie qu’il a créée et pour se conformer à la Résolution 194 de l’ONU qui reconnaît le droit des Palestiniens à retourner dans leur patrie.
Mai Abou Moghli est en poste de responsabilité du réseau politique palestinien Al-Shabaka. Elle est militante palestinienne des droits humains et doctorante en faculté d’éducation à l’University College de Londres.
Naël Bitarie est en poste de responsabilité du réseau politique palestinien Al-Shabaka. Palestinien Syrien, il est membre du bureau de la Fondation Jafra et travaille avec les réfugiés depuis 2004.
Traduction: SF pour l’Agence Media Palestine
Source: The Nation.com