La nouvelle stratégie cynique d’Israël : faire passer le débat sur la Palestine comme une bataille religieuse alors qu’il s’agit d’une question de droits civiques

Malgré une visite récente de Kerry, les Etats-Unis se mettent en retrait des négociations entre Israël et la Palestine. Après Paris, c’est une mauvaise nouvelle.

Par Nadia Hijab et Alaa Tartir, 7 décembre 2015

 

An Israeli soldier rides an armoured personnel carrier (APC) towards a staging area near the border with the Gaza Strip

(Crédit: Reuters/Carlo Allegri/Nir Elias/Photomontage de Salon)

 

Avec l’attention qui se concentre sur la Syrie, due en partie  à l’Etat Islamique et en partie à la grande crise des réfugiés, les menaces à la paix mondiale à cause de l’occupation israélienne de la Palestine ont été reléguées au second plan. En effet, l’administration américaine a apparemment abandonné ses efforts pour négocier la paix, malgré la visite du secrétaire d’Etat John Kerry en Palestine et en Israël le mois dernier pour discuter, une fois de plus, de mesures de confiance.

 

Pourtant, il y a un besoin urgent de mettre un terme à l’occupation israélienne, parce qu’avec la politique d’Israël, la situation pourrait rapidement et soudainement s’aggraver au-delà du territoire occupé et s’étendre au territoire israélien lui-même. Dans les jours qui ont suivi les attentats terroristes de Paris revendiqués par l’Etat Islamique, Israël a interdit la branche nord du Mouvement Islamique, malgré les objections de son propre chef du renseignement, Yoram Cohen, qui avait déclaré qu’aucune preuve ne permettait de l’associer au terrorisme, et malgré les réserves du Shin Bet.

 

En l’interdisant, Israël amplifie le sentiment de crainte des Palestiniens, ressentie depuis le début, il y a deux mois,  des affrontements dans l’enceinte du Noble Sanctuaire de Jérusalem-Est : Israël cherche à faire passer le conflit pour une guerre de religion plutôt que pour ce qu’il est en réalité : une lutte des Palestiniens pour leurs droits civiques et politiques en territoire israélien, et pour la libération de l’occupation militaire d’Israël qui dure depuis presque 50 ans à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Même des citoyens palestiniens d’Israël non-solidaires du Mouvement Islamique parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec la majeure partie de son programme, étaient contre l’interdiction, comme l’a dit Nijmeh Ali sur sa page Facebook. Mme Ali et d’autres personnes ont averti que l’interdiction mettrait de l’huile sur le feu car il fait passer le message que « les musulmans seraient en danger ». Elle cacherait aussi la vraie nature du conflit et le rendrait beaucoup plus difficile à résoudre qu’il ne l’est actuellement.

 

Quelle que soit l’opinion qu’on a sur le Mouvement Islamique en Israël (notamment son idéologie et sa position à propos des femmes), l’interdiction est vue comme une attaque contre une grande partie de la population palestinienne. Le député et chef de file de la Joint List Ayman Odeh qualifie cette décision de « motif politique » dont l’objectif est de nuire aux citoyens palestiniens d’Israël. Déjà, 66 % des citoyens palestiniens déclaraient en octobre qu’ils ne se sentaient pas en sécurité depuis que la police israélienne a appelé la population (juive) à porter des armes, et ils sont 72 % à avoir exprimé une peur forte ou modérée des attaques par des extrémistes juifs.

 

Qu’on s’en souvienne, nous parlons ici d’Israël qui est présenté comme une démocratie en Occident. Nous ne parlons pas des territoires occupés par Israël, où les Palestiniens sont assiégés à Gaza et enclavés dans des zones non reliées entre elles qui représentent moins de 40 % de la Cisjordanie alors que la colonisation illégale des terres palestiniennes par Israël progresse. Dans ces territoires occupés, on demande peu de comptes, voire aucun, pour les raids militaires quotidiens d’Israël ou même pour la violence des colons israéliens, comme le rapporte l’association israélienne B’Tselem.

 

Israël a tout intérêt à s’inquiéter des répercussions de son interdiction du Mouvement Islamique sur sa propre population palestinienne et aussi sur la population qui vit sous son contrôle militaire. Faire du conflit une guerre de religion conduira à un conflit total entre les Palestiniens et les Juifs partout en Palestine et en Israël, rendant insignifiantes les violences des deux derniers mois. Les Palestiniens, qui vivent en position de faiblesse sous le contrôle militaire d’Israël, paieront le prix le plus fort : depuis le 1er octobre, plus de cent Palestiniens ont été tués et des centaines d’autres ont été blessés alors que plus de 20 Israéliens ont été tués.

 

Les puissances du monde doivent aussi s’inquiéter. Israël qui attise les flammes du conflit religieux, c’est la dernière chose dont on a besoin au Moyen-Orient avec le carnage en cours en Syrie, en Irak et au Yémen. Les attentats de Paris ont donné un nouveau sens de l’urgence à ce qui sera certainement un processus lent et laborieux pour trouver des solutions qui mettraient un terme aux tueries, au moins en Syrie et en Irak (une tragédie à laquelle de nombreux pays européens et les Etats-Unis ont contribué avec leurs politiques et leurs interventions militaires mal avisées).

 

Mais l’administration américaine a opté pour la gestion du conflit plutôt que pour une solution en Palestine et Israël. Les déclarations sombres des responsables de l’administration sur une impossible solution à deux états pendant le mandat de Barack Obama n’ont pas non plus reconnu la responsabilité américaine dans les échecs de ces vingt dernières années. La vérité, c’est que les administrations américaines successives n’ont cessé de soutenir Israël par une aide militaire et la protection fournie par son veto aux Nations- Unies tout au long du processus de paix, aidant ainsi efficacement Israël à doubler le nombre de colons, passé de 262 500 à 547 000 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, en violation du droit international.

 

La communauté internationale serait bien avisée de renouveler son effort (un effort vraiment impartial et fondé sur le droit international) pour résoudre le conflit. Sinon, le « faible » niveau de violence pourrait échapper à tout contrôle tandis qu’Israël intensifie ses mesures contre la population palestinienne qui est sous son autorité (aussi bien en Israël-même que dans les territoires qui sont sous son occupation militaire).

 

Les mesures d’Israël pourraient faire rater les tentatives de mettre un terme au carnage en Syrie et en Irak, aggraver les terribles souffrances humaines et conduire d’autres flots de réfugiés désespérés vers des pays du Moyen-Orient, d’Europe et d’ailleurs déjà surchargés. Il est dans l’intérêt de tout le monde d’agir pour mettre un terme à l’occupation des territoires palestiniens par Israël, premier pas sur le chemin tant attendu vers la paix et la justice.

 

Nadia Hijab et Alaa Tartir sont respectivement la directrice générale et le directeur des programmes de Al Shabaka : Le réseau politique palestinien.

Traduction: EC pour l’Agence Média Palestine

Source: Salon.com

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