Nancy Murray, Electronic Intifada, 21 Décembre 2015
Des membres de la famille Tamimi empêchent un soldat israélien d’arrêter Muhammad Tamimi, de 12 ans, lors de la manifestation hebdomadaire contre l’occupation dans le village cisjordanien de Nabi Saleh, le 28 août. Muhannad Saleem ActiveStill
Le petit village cisjordanien de Nabi Saleh paie le prix fort à cause d’une vidéo montrant la brutalité israélienne.
Cette vidéo, qui a largement circulé au cours des derniers mois, montre la mère et la sœur de Muhammad Tamimi âgé de 12 ans, l’arrachant des mains d’un soldat israélien armé et masqué. Le garçon a eu le cou tordu et était bloqué entre des rochers, le 28 août, bien qu’il eût le bras dans le plâtre.
Non seulement des hommes politiques israéliens ont défendu l’action du soldat, mais certains ont avancé qu’il aurait dû se comporter de manière encore plus cruelle.
Miri Regev, la ministre israélienne de la culture, a dit que le soldat aurait dû tirer sur les sauveteurs non armés du garçon.
Depuis cet incident, l’armée israélienne a arrêté de nombreux jeunes hommes du village et les ont soumis à de longs interrogatoires, non exempts de traitements abusifs.
Dix sept d’entre eux sont actuellement en prison, dont Waed Tamimi, le frère de Muhammad, qui a 19 ans.
Waed a été arrêté avec Anan, son cousin de 20 ans, lors d’un raid de nuit le 19 octobre, sur la maison des parents de Waed, Nariman et Bassem Tamimi. Quatre autres jeunes ont été capturés par l’armée cette même nuit, parmi lesquels Louay Tamimi, dont le frère, Moustafa a été tué en décembre 2011, lorsqu’un soldat lui a lancé à le tête, d’une distance d’un mètre, une grenade lacrymogène spécialement rapide.
Bassam Tamimi, qui était en tournée de conférences aux États Unis quand son fils a été arrêté, a lui-même été détenu une douzaine de fois. Il a également été torturé et a passé trois ans en prison sans inculpation.
Défier les ordres de l’armée
L’Union Européenne a reconnu Bassem et son cousin Naji, le père d’Anan comme défenseurs des droits humains. En 2012, Bassem a été déclaré prisonnier d’opinion par Amnesty International.
Les deux cousins ont contribué à la coordination des activités de résistance pacifique de leur village. Plutôt que de se soumettre sans rien dire à la confiscation de leur terre et de leur source par des colons israéliens, les résidants de Nabi Saleh maintiennent depuis six ans des manifestations hebdomadaires dynamiques pour réclamer la fin de l’occupation israélienne.
Ce faisant, ils ont défié l’ordonnance militaire israélienne 101 qui pénalise la participation à des manifestations, des assemblées et des vigies, ainsi que le fait de brandir des drapeaux et de distribuer des textes politiques. Les efforts engagés pour influencer l’opinion publique sont interdits à titre « d’incitation politique ».
Des Palestiniennes face à des soldats israéliens lors de la manifestation hebdomadaire du village de Nabi Saleh en 2011. Anne Paq ActiveStills
Mais, aux yeux des habitants de Nabi Saleh, de telles ordonnances militaires sont intrinsèquement injustes. Voici ce qu’a dit au tribunal Bassem Tamimi, lors du procès qui lui a été intenté, en juin 2011, pour avoir organisé des manifestations :
« Tout en prétendant être la seule démocratie du Moyen Orient, vous me jugez en vertu de lois militaires dépourvues de toute légitimité ; des lois promulguées par des autorités que ne j’ai pas élues et qui ne me représentent pas. Je suis accusé d’organiser des manifestations pacifiques qui n’ont aucun caractère militaire et qui sont légales en droit international. Nous avons le droit d’exprimer notre rejet de l’occupation sous toutes ses formes ; de défendre notre liberté et notre dignité en tant que peuple et de rechercher la justice et la paix sur notre terre de manière à protéger nos enfants et de sécuriser leur avenir ».
Des militants israéliens et internationaux se sont fréquemment joints aux manifestations hebdomadaires de Nabi Saleh, où ils sont face à une armée qui déploie ses grenades assourdissantes, des gaz lacrymogènes, des eaux usées, des balles métalliques enrobées de caoutchouc et des armes à feu. Des centaines de manifestants ont été blessés, dont certains avec des séquelles à vie et deux ont été tués.
Pendant ces années, pas moins de 200 villageois ont été emprisonnés, sur une population qui dépasse à peine 500 personnes. Tous sont du clan Tamimi.
Pourquoi ce silence du monde ?
Lors de la manifestation du 28 août, l’armée a arrêté Mahmoud, un neveu de 19 ans de Bassem. Vittoria Fera, un militant italien a également été arrêté.
Fera, qui était accusé d’avoir lancé des pierres et d’autres objets, a rapidement été acquitté par un tribunal civil israélien.
Mahmoud – avec le même chef d’accusation dans le système judiciaire militaire – est depuis des mois à Ofer, une prison israélienne de Cisjordanie, sans une seule audience.
Pour les Palestiniens, enfants compris, la présomption d’innocence n’existe pas et ils ont peu de chances d’être acquittés, vu le taux de 99,74% de condamnations dans les tribunaux militaires.
La plupart de ces condamnations surviennent parce qu’ils ont plaidé coupables et que cela a été accepté après qu’on ait extorqué des aveux aux enfants comme aux adultes. Certains prisonniers peuvent être condamnés à de la détention administrative. Dans ce cas, les détenus sont maintenus en prison sans accusation ni procédure et sans qu’on leur dise quelles sont les preuves que les autorités ont sur eux.
Jeunes palestiniens du village cisjordanien de Nabi Saleh, lors d’une audience au tribunal militaire d’Ofer le 21 Décembre. Oren Ziv ActiveStills
Les 17 jeunes de Nabi Saleh sont peut-être abandonnés dans des prisons militaires – où leurs familles ne peuvent pas leur rendre visite ni même leur envoyer des vêtements chauds pour l’hiver – parce que quelqu’un du village a été victime d’intimidations au point de dire qui il a vu lancer des pierres.
Deux jeunes détenus le 9 décembre ont à présent été libérés, mais les familles de Nabi Saleh craignent d’autres arrestations. Israël semble déterminé à faire tout ce qu’il peut pour imposer une punition collective à un village qui symbolise la résistance à une occupation militaire de près d’un demi-siècle.
Tandis que les jeunes attendent leurs procès et se préparent à des années de prison, des militants américains ont créé une page Facebook pour faire pression pour leur libération. Pendant ce temps, Bassem Tamimi se demande pourquoi la communauté internationale ne s’est pas positionnée clairement contre la répression implacable d’Israël.
« Le silence du monde est pire que ce que fait l’occupant » a-t-il dit. « Nous ne pouvons pas comprendre ce silence, puisque nous luttons pour l’humanité et que le monde est supposé tenir aux droits humains ».
Nancy Murray, qui a été directrice de l’éducation de l’Union Américaine pour les Libertés Civiles du Massachussetts, travaille pour les droits des Palestiniens depuis son premier voyage dans la région, en 1988.
Traduction: SF pour L’Agence Media Palestine
Source: Electronic Intifada