La Knesset vote – sans problème – une loi dangereuse pour financer le peuplement colonial

Dahlia Scheindlin – 29 décembre 2015, +972


Une nouvelle loi officialise l’externalisation de l’activité de peuplement rural en Cisjordanie. Une aubaine pour le peuplement des colonies, un coup dur pour la démocratie – et pour le contribuable.

<p> 	New housing units at the Israeli settlement of Shilo, Qaryut village, West Bank, June 6, 2015. </p>

Des nouveaux logements dans la colonie israélienne de Shilo, village de Qaryut, en Cisjordanie, le 6 juin 2015.
(Activestills.org)

Pendant que la société israélienne était occupée avec une incitation à l’encontre des militants des droits de l’homme, une cérémonie pour un bébé assassiné, et une législation s’en prenant à la société civile, la Knesset, tranquillement, adoptait une nouvelle loi la semaine dernière, officialisant le statut de la bien connue Division du peuplement, de l’Organisation sioniste mondiale (OSM).

Cette loi autorise le gouvernement israélien à déléguer sa politique de peuplement à cet organisme extérieur et privé. En dépit d’une obstruction parlementaire par l’opposition, la loi pour une externalisation légalisée de la politique a été votée dans le milieu de la nuit de mercredi à jeudi.

En février 2015, un rapport accablant de la procureure générale adjointe d’Israël sur ce sombre organisme ordonnait à l’État de cesser de financer la Division du peuplement par le biais du budget national, faisant valoir qu’elle n’était pas assujettie aux normes de fonctionnement habituelles du gouvernement. Et maintenant que la loi est votée, le gouvernement peut financer ouvertement la Division du peuplement.

La nouvelle loi stipule que la Division du peuplement sera assujettie aux usages des organismes publics, tels que les procédures d’informations financières et d’appels d’offres, et qu’elle est soumise à la loi d’Israël sur la liberté de l’information – mais elle ne peut pas devenir un organisme gouvernemental.

Si cela paraît ennuyeux et technique, c’est parce que c’est voulu. La Division du peuplement est devenue le symbole le plus fort en Israël de cette bureaucratie hermétique qui pérennise et étend les colonies de peuplements, tout en accomplissant son œuvre de façon pratiquement invisible.

Elle a été créée en 1971, au sein de l’OSM – qui est elle-même un organisme tentaculaire, archaïque, « théoriquement privé » mais en réalité quasi-gouvernemental et qui abrite d’autres organisations sionistes majeures. La Division du peuplement sert au financement et au développement, par le gouvernement israélien, des « implantations coloniales rurales » en Cisjordanie, sur le plateau du Golan, et jusqu’en 2005, dans la bande de Gaza. Elle est en réalité le bras exécutif pour toute répartition des infrastructures et des ressources auprès des communautés réservées aux juifs à l’extérieur des blocs d’implantations urbaines. Son site web décrit allègrement ses objectifs comme « implantant et renforçant l’implantation juive », et encourageant leur « pérennité démographique, économique et sociale ».

 

Israeli right wing activists are seen at the outpost they built in the E1 area outside the settlement of Maale Adumim in response to the murder of the three kidnapped Israeli teenagers on July 1, 2014 in the West-bank.
Israeli right wing activists are seen at the outpost they built in the E1 area outside the settlement of Maale Adumim in response to the murder of the three kidnapped Israeli teenagers on July 1, 2014 in the West-bank.

Des militants israéliens de droite sur un avant-poste monté en Zone E1 en Cisjordanie, juste à l’extérieur de la colonie de Ma’ale Adumim. L’avant-poste a été érigé en réponse au meurtre des trois adolescents israéliens enlevés le 1er juillet 2014.
(Photo : Oren Ziv/Activestills.org)

En 2004, l’organisation ajoutait à son portefeuille le Néguev et la Galilée, peut-être surtout pour pouvoir prétendre fonctionner à la « périphérie » – ou dans les régions sous-développées – d’Israël proprement dit. Mais c’est dans les colonies que son influence est écrasante. Meirav Arlosoroff, de Ha’aretz, explique :

« L’État a une gestion quasiment privée du peuplement de la Cisjordanie (et du Néguev et de la Galilée)… La Division a pris totalement en charge… l’urbanisme, l’affectation des terres, l’infrastructure, la construction des bâtiments publics, la sécurité et l’attribution des ressources pour faciliter l’industrie ou l’agriculture. En bref, toute la politique de peuplement dans l’Israël rural est aux mains de la Division du peuplement, une agence qui n’est pas une entité gouvernementale. »

Bradley Burston de Ha’aretz a qualifié la Division du peuplement de « monumentalement louche ». Elle n’était pas largement connue et il n’y a aucun contrôle sur le financement public massif qu’elle reçoit, qui rémunère la Division elle-même et les salaires de son personnel. Arlosoroff rapporte que le gouvernement débloque régulièrement entre 50 et 500 millions de NIS (nouveau shekel israélien – environ 12 à 120 millions d’euros) par an, pour les colonies de peuplement par le biais de ce groupe. L’argent est simplement distribué au titre d’une ligne du budget de l’État sans aucune spécification sur la façon dont il est attribué.

Selon le groupe de réflexion libéral israélien Molad, la Division déborde de son activité de peuplement, utilisant les fonds publics pour soutenir des organisations de prosélytisme juives en Israël, et des ramifications locales du parti d’extrême droite, Le Foyer Juif, de Naftali Bennet.

Mais ce sont de récents évènements qui ont jeté la Division du peuplement sous le feu des projecteurs du pays. Fin 2014, la députée travailliste Stav Shaffir s’en est prise au gouvernement pour son projet de verser 140 millions de NIS à la Division en 2015 – plus du double de son budget 2014. Elle fut grandement félicitée pour avoir dénoncé la ruse du gouvernement cachant sa promotion des colonies de peuplement avec l’argent des contribuables. Quelques semaines plus tard, rapporte Arlosoroff, la police enquêtait sur la Division sur le soupçon d’une association élaborée de pots-de-vin et dessous-de-table avec le parti d’Avidgor Liberman, Israel Beytenou (Israël notre maison).
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La députée travailliste Stav Shaffir
(Activestills.org)

Puis, en février 2015, la procureure générale adjointe, Dina Zilber, rendait un avis juridique approfondissant la question du secret profond et de la mauvaise gestion à l’intérieur de la Division, la qualifiant de « zone d’ombre », et suspendant la plus grande partie de son financement. Le rapport constate que le gouvernement s’est avant tout soustrait à son devoir de définir et mener une politique, une situation sans précédent entretenant ce que les auteurs du rapport appellent « des pathologies structurelles » de la gouvernance.

La droite n’a pas perdu de temps pour lancer une attaque personnelle contre Zilber. Le projet de loi qui suivit fut une réponse directe, et un rejet typique de la droite du système de justice – qui pourrait être changé avec Ayelet Shaked, du Foyer juif, comme ministre de la Justice.

Parce que la loi légalise le statut de cet organisme vénal et accroît sa transparence, il est tourné par les flagorneurs en un précieux instrument de contrôle. Il y a même un penchant possible à gauche : peut-être est-il préférable de voir les véritables intentions du gouvernement affichées ouvertement, plutôt qu’enterrées dans des bureaucraties occultes.

Aucune de ces interprétations n’est juste. Le député ultra-nationaliste et auteur du projet de loi, Bezalel Smotrich, du parti du Foyer juif, le considère purement comme un triomphe du sionisme. Très probablement, le ministre de l’Agriculture et colon Uri Ariel, lui aussi du parti du Foyer juif, est à l’origine de l’ensemble de l’initiative, et il n’y a pas à se tromper sur son programme.
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Le député du Foyer juif, Bezalel Smotrich, dans la Vieille Ville de Jérusalem, le 7 octobre 2015.
(Faiz Abu-Rmeleh/Activestills.org)

 

L’illusion d’honnêteté à propos des intentions du gouvernement est une duperie. Au lieu de cela, la loi permet au gouvernement de rémunérer son contractant afin d’étendre l’occupation, tout en légalisant sa manière de fermer les yeux sur la façon dont il le fait. La Division du peuplement peut toujours faire ce qu’elle veut et recevoir des fonds – quoique pour des activités spécifiques plutôt que d’après des lignes modifiables du budget de l’État -, tant qu’elle n’abuse pas de ces fonds.

La transparence accrue de la Division du peuplement elle-même est la pire hypocrisie. La loi précise que ses finances, ses appels d’offres, ses contrats sont soumis à la loi d’Israël sur la liberté de l’information. Mais la clause ne dit rien sur le rôle le plus important de tous ceux remplis par la Division : la distribution de la terre. Pourquoi cet aspect est-il écarté du champ de la loi sur la liberté de l’information ? Smotrich a été cité (par un membre de l’opposition, dans le protocole de la Knesset) comme ayant déclaré ouvertement devant la Commission de la Constitution, des Lois et de la Justice que la distribution de la terre devait rester secrète – parce qu’il ne voulait pas que ces décisions arrivent jusqu’à la Paix Maintenant, une organisation qui suit la progression des constructions dans les colonies en Cisjordanie.

La loi visait à étendre l’ampleur et la qualité de la vie des juifs dans les territoires occupés, tout en maintenant comme des apatrides les Palestiniens de cette terre, définitivement emprisonnés en vertu d’une loi martiale.

Elle a été conçue pour légaliser les décisions politiques et une application qui contournent tous les contrôles et équilibres normaux auxquels sont soumis des ministères normaux dans une démocratie. Elle reproduit le propre style de gouvernement de Netanyahu : il défend cinq ou six ministères, en fonction du jour, et il utilise toujours des clauses de la loi pour contourner les règlements gouvernementaux – apparaissant ainsi comme démocratique, tout en agissant de façon autoritaire.

L’acceptation par l’opinion et le silence éhonté sur ces deux aspects sont peut-être le plus inquiétant.

Et l’aspect le plus ironique est celui-ci : les Israéliens s’insurgent quand il s’agit du financement d’organisations de gauche par des gouvernements étrangers. Mais ils ne prêtent manifestement aucune attention à un financement, avec leurs propres impôts, de l’extrême droite et d’une occupation permanente, notamment de ses éléments les plus violents.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: +972

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