[Légende de la photo] Un proche montre une photo d’un enfant d’un an et demi Ali Dawabsheh, tué quand l’habitation de sa famille a été mise en feu par des extrémistes juifs le 31 juillet 2015 en Cisjordanie occupée
Les experts
Diana Buttu
Analyste politique basée à Ramallah et ancien conseiller de Mahmoud Abbas, président de l’OLP ainsi que des négociateurs palestiniens.
Mouin Rabbani
Professeur titulaire de l’Institut des Etudes Palestiniennes, conseiller politique de Al-Shabaka, le ‘Palestinian Policy Network’ (Réseau Politique Palestinien).. Conseiller de rédaction du ‘Middle East Report’, et co-éditeur du magazine numérique ‘Jadaliyya’. Ancien analyste principal du Moyen-Orient avec le ‘International Crisis Group’.
Questions et réponses
Q – Comment caractériseriez-vous l’année passée en Palestine/Israël ?
Diana Buttu – « L’année passée a été témoin du maintien de l’impunité d’Israël en ce qui concerne son refus de reconnaître les droits et la liberté des Palestiniens En 2014, Israël a réalisé les plus brutales attaques contre les Palestiniens de toute l’histoire du conflit au cours de son agression de la bande de Gaza. Sur une période de sept semaines Israël a tué plus de 2100 Palestiniens à Gaza, la plupart civils, endommagé ou détruit plus de 100 000 logements et bureaux et attaqué des hôpitaux, des écoles et des mosquées. Alors que les Palestiniens ont été assurés que la reconstruction aurait lieu rapidement, une année et demie plus tard, fort peu a été accompli.
Bien pire, Israël continue d’agir sans crainte de poursuites ou de sanctions concernant ses nombreuses violations du droit international. Israël n’ a pas été interpellé pour ses crimes de guerre, en 2014 ou avant, et continue à mettre en place et développer des colonies illégales dans les territoires palestiniens à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Avec la victoire électorale de Netanyahou est apparue une impunité permanente concernant les actions violentes des colons israéliens comme le massacre de la famille Dawabsheh dans la ville palestinienne de Duma cet été, et la politique ‘tirer pour tuer’ que les militaires et la police israéliennes ont employé contre les Palestiniens. Les Etats-Unis continuent à montrer leur faiblesse face à un gouvernement israélien d’extrème-droite, continuant à leur fournir un soutien inconditionnel et une aide militaire massive.
Les Palestiniens sont maintenant pris entre trois régimes répressifs : le régime d’apartheid d’Israël qui cherche à rendre permanente la soumission des Palestiniens au sein de la Palestine historique, un régime palestinien non démocratique qui cherche à supprimer la dissidence palestinienne, et un système international qui reste trop faible et/ou sans volonté pour rendre les dirigeants israéilens comptables de leurs actes. Néanmoins, au milieu de tout cela, les Palestiniens ont continué à élever leur protestation, exigeant liberté, égalité et dignité.
Mouin Rabbani – « Pour l’essentiel, rien de différent des autres années depuis l’accord d’Oslo de 1993. Israël a poursuivi allégrement ses politiques d’annexion larvée, la communauté internationale a continué à manifester son absence de volonté politique de combattre cette évolution, et les Palestiniens sont de plus en plus fragmentés et appauvris. Le statu quo, en d’autres termes, s’est montré effectivement très tenable. Deux développements notables sont le niveau sans précédent d’incitation officielle à la haine contre la communauté palestinienne à l’intérieur d’Israël et la disparition irréversible de la légitimité de tout leadership palestinien actuellement existant.
Q – Pensez-vous que la lutte des Palestiniens pour la liberté a progressé, régressé ou restée statique en 2015 ?
DB – Il n’y a rien de statique en Palestine. La véritable nature de la vie sous la férule militaire israélienne est caractérisée par l’instabilité et l’incertitude. Cela dit, alors que la lutte progresse avec des démonstrations plus actives et plus étendues géographiquement qu’avant et la croissance du mouvement BDS (Boycott-Désinvestissements-Sanctions), les mesures israéliennes de répression de ces manifestations atteignent de nouvelles hauteurs avec leur politique ‘tirer-pour-tuer’, leur utilisation de la destruction des habitations, l’augmentation des emprisonnements d’enfants palestiniens et les nouvelles règles de la Cour Suprème qui permettent la sanction par des amendes de ceux qui défendent BDS.
Pendant ce temps, l’Autorité Palestinienne continue d’accepter les dictats d’Israël en emprisonnant des militants palestiniens appelant à se libérer de l’occupation israélienne, conservant, en même temps, la légitimité accordée par la communauté internationale en dépit du fait que le terme de l’élection d’Abbas a expiré il y a 6 ans. Ce qui est le plus frappant est que la communauté internationale, et en particulier les Etats-Unis, continue à défendre l’apartheid israélien et que l’Autorité Palestinienne reste au pouvoir malgré ses défauts.
MR – Vu l’absence de tout développement significatif, j’opterai pour ‘régression’. Le mouvement national palestinien a effectivement cessé d’exister, et le peuple palestinien représente aujourd’hui une réalité démographique plutôt qu’une force politique. Tant que ces questions cruciales ne seront pas traitées, il ne peut y avoir aucune ‘progression’.
Il est impossible de prévoir le futur, évidemment, mais comment voyez-vous le déroulement de 2016 en termes de développements politiques et de situation sur le terrain ? Pensez-vous qu’il y aura le moindre changement significatif du statu quo dans les prochains 12 mois ? Est-ce que l’octogénaire Mahmoud Abbas, qui gouverne par décret depuis que son mandat en tant que président de l’Autorité Palestinienne a expiré en 2010, sera encore responsable une année supplémentaire, et est-ce que l’Autorité Palestinienne existera toujours pour coopérer avec Israël ?
DB – C’est impossible de prédire le futur mais il est difficile d’imaginer Abbas encore là pour plusieurs années étant donnés son âge avancé et sa santé. Au départ, son mandat expirait en 2009 et Abbas a peu fait pour imposer l’unité nationale, préférant plutôt l’autorité sans légitimité. Abbas a sapé la réforme démocratique du Fatah, dans l’Autorité Palestinienne comme dans l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine), passant ces années à consolider son pouvoir et à écraser la contestation. Clairement, cela ne va pas dans le sens des intérêts des Palestiniens.
Cette situation est intenable mais ne changera que lorsque les membres de son propre parti politique, le Fatah, se léveront en masse pour le défier ou après qu’il ait passé la main. Quand cela arrivera, nous verrons le Fatah se bousculer pour choisir un autre ‘leader’, selon toute vraisemblance de façon non démocratique. Cela peut arriver en 2016 comme ne pas survenir.
MR – Savoir si Abbas va ou non rester au pouvoir présente aussi peu d’intérêt qu’Abbas lui-même en présente maintenant. La question la plus pertinente est de discuter si et comment les Palestiniens vont répondre à l’absence de direction représentative, crédible et légitime, à la désintégration du mouvement national, et à l’absence de tout projet national cohérent. Cela prendra du temps pour se matérialiser mais je pense que nous commençons à sentir les premiers signes montrant des Palestiniens reprenant une nouvelle fois l’initiative, et finissant soit par reprendre le contrôle du système existant, soit par en créer un nouveau. Quoiqu’on ne puisse être certain qu’ils vont réussir et quoique le défi n’est rien moins qu’existentiel, il y a néanmoins de grandes raisons de croire qu’une nouvelle génération de Palestiniens peut et veut redonner vigueur à la lutte des Palestiniens pour leur auto-détermination.
En ce qui concerne l’Autorité Palestinienne, sa disparition a toujours été et reste une possibilité théorique, mais les intérêts – palestiniens, israéliens, régionaus et internationaux – poussant à son maintien sont considérables. A moins qu’elle renonce ou devienne incapable de maintenir sa collaboration sécuritaire avec Israël, l’Autorité Palestinienne a toutes les chances de survivre et d’être sauvée de menaces comme une banqueroute par ses sponsors.
Ce que cela implique concernant la sitation sur le terrain durant les 12 prochains mois est beaucoup moins clair et difficile à prévoir. En l’absence d’un arrêt du schisme entre Palestiniens, il semble peu probable de voir apparaître quoique ce soit approchant une mobilisation de masse dans les territoires occupés. De même, les communautés palestiniennes exilées , comme celle de Syrie, peuvent s’attendre à être une fois de plus abandonnées à leur destin par leur prétendus leaders. La communauté palestinienne à l’intérieur d’Israël semble la seule à posséder l’organisation requise et le dynamisme pour prendre l’initiative et se confronter aux défis croissants impliqués par sa seule existence.
On doit également garder à l’esprit qu’une nouvelle attaque contre la bande de Gaza ou peut-être une campagne militaire de plus d’ampleur mise en oeuvre par le gouvernement israélien est une autre possibilité.
Q – Pensez-vous que les tensions vont rester élevées autour de l’Esplanade des Mosquées/Mont du Temple dans Jérusalem-Est occupée, où les extrémistes messianiques juifs empilent les provocations, et pensez-vous que le regain de violence et de protestations va continuer ou s’épuiser ?
DB – Les tensions vont sans doute rester élevées parce que la cause première de la tension – c’est-à-dire le soutien du gouvernement israélien aux extrémistes d’extrème-droite qui cherchent à détruire l’Esplanade des Mosquées pour la remplacer par une synagogue – sera maintenue. Le gouvernement Netanyahou a encouragé ces dangereux fanatiques, qui risquent de déclencher une guerre de religion majeure, finançant leurs activités et les autorisant à endoctriner des écoliers israéliens dans le mouvement nommé « Mont du Temple », avec de hauts responsables gouvernementaux faisant agressivement campagne pour un changement du statu quo concernant l’Esplanade des Mosquées.
Dans le même temps, Israël continue à rendre l’air irrespirable aux Palestiniens des territoires occupés avec son régime militaire oppressif et discriminatoire, et de façon routinière à les empêcher de prier dans leur sites sacrés à Jerusalem. Israël continue également à encourager les colons à occuper les logements palestiniens dans Jerusalem-Est occupée, en particulier dans la vieille ville et les voisinages proches comme Silwan, à étendre ses colonies illégales, à éliminer les droits de résidence des Palestiniens, les expulsant ainsi de la ville, et à fermer les institutions culturelles et politiques et à détruire les habitations palestiniennes.
Comme lors des récentes protestations, beaucoup dépend de savoir si les Palestiniens obtiennent un soutien international. Avec Israël et l’Autorité Palestinienne réprimant ces manifestations, elles ne peuvent pas être maintenues sur de longues périodes sans soutien international et sans qu’Israël soit interpelé pour rendre compte de ses actes.
MR – Il y a peu de raisons d’attendre une baisse des tensions étant donnée la nature du gouvernement d’Israël, le profil de plus en plus extrémiste de la société israélienne, et la tolérance croissante – on peut dire son entrée dans le consensus dominant – pour l’équivalent israélien de Daesh (ISIS : Islamic State of Irak and Syria).
Cela dit, sous les conditions actuelles que je viens de décrire, le développement de ces protestations et combats en un mouvement palestinien organisé qui puisse être caractérisé comme une rebellion massive et soutenue semble extrémement improbable.
Q – Il y a presque trois ans, le secrétaire d’état John Kerry prévenant que la solution à 2 états deviendrait inatteignable dans les 18 à 24 mois si quelque chose de significatif ne changeait pas sur le terrain, et les hauts responsables de l’administration Obama ont récemment affirmé que le président ne prévoyait pas de tenter un redémarrage des négociations avant la fin de son mandat. Etant donné que le gouvernement israélien actuel est catégoriquement opposé à un Etat palestinien et qu’il y a peu de chances.que le prochain président des Etats-Unis consacre son capital politique à faire pression sur Israël pour qu’il autorise la création d’un état palestinien durant son premier mandat, pensez-vous que nous observerons plus qu’un glissement en 2016 vers une solution à un état avec des droits égaux pour tous, vu que celle à deux états semble bien être morte ?
DB – Il y a déjà un état unique. Mais c’est un état d’apartheid, non un état où il y a égalité de chacun devant la loi, ou même les plus élémentaires droits politiques dans le cas des Palestiniens des territoires occupés. La communauté internationale est depuis plus de 20 ans très en retrait de sa position politique. L’OLP a défendu une solution à 2 états depuis 1974 mais la communauté internationale, au moins les Etats-Unis et l’Europe, ne s’est pas engagée dans cette voie avant les années 1990. De la même façon, la réalité de la situation sur le terrain, depuis maintenant 20 ans, a démontré la futilité de la solution à deux états. Pourtant la communauté internationale continue à s’y accrocher, ainsi qu’à un processus en échec de négociations bilatérales pilotées par les Etats-Unis, en dépit de l’ample évidence que cela ne fonctionnera jamais. En parallèle, d’après les scrutins, seulement environ un tiers des Palestiniens vivant dans les territoires occupés soutient une solution à un état, cela sans qu’il existe un seul parti palestinien défendant cette position.
Le problème, toutefois, réside dans le fait qu’Abbas et la direction de l’OLP continuent à poursuivre des politiques en échec visant une solution à deux états, sans aucune considération sérieuse des autres possibilités. Sans une direction représentant les intérêts de toutes les composantes palestiniennes – – qu’elles vivent sous domination militaire israélienne, comme citoyens d’Israël, ou dans la diaspora -qui commence à défendre une alternative, la communauté internationale continuera à poursuivre la fiction d’une solution à deux états.
MR – Israël s’oppose à l’auto-détermination des Palestiniens sous toutes ses formes, que ce soit dans un cadre à un ou à deux états. En pratique, il rejette même l’auto-gouvernement des Palestiniens sous autorité d’Israël. Les Etats-Unis se déclarent favorables à la mise en place de deux états sous une forme que peu, voire aucun, Palestinien serait prêt à accepter, et en pratique adopte des politiques qui autorisent, protègent et encouragent Israël à une annexation larvée des territoires occupés.
Personnellement je n’accepte pas l’hypothèse que l’occupation est permanente et irréversible parce que les politiciens américains et israéliens le disent. Si l’expérience Oslo a bien appris une chose aux Palestiniens, c’est que tout programme politique dépendant du consentement d’Israël et du soutien américain est promis à l’échec.
Quand les Palestiniens auront reconstruit leur mouvement national et seront en position de mobiliser les ressources à leur disposition, ils devront décider s’ils doivent poursuivre une stratégie visant à forcer la mise en oeuvre du consensus international qui demande la mise en place de deux états et une juste résolution de la question des réfugiés, ou passer outre en poursuivant la mise en oeuvre de la solution à un état.
Ma propre conception est que l’arrêt de l’occupation est un préalable à toute solution, qu’une solution à deux états peut être obtenue au travers d’une mobilisation de masse et de la lutte politique et peut potentiellement transformer les relations entre Israëliens et Palestiniens d’une façon qui permette ensuite une transition pacifique vers une solution à un état ; alors qu’une stratégie cherchant à mettre en place directement une solution à un état ne peut se réaliser que par une reddition inconditionnelle d’Israël face à une force militaire écrasante.
Traduction: Roger M. pour l’Agence Média Palestine
Source: IMEU






