- 24 MAI 2016, par Les Invités de Médiapart
« Je suis inquiet pour ma sécurité après les récentes menaces israéliennes, officielles et à peine voilées, de nuire physiquement à ma personne comme à celle de mes collègues palestiniens, israéliens et internationaux actifs dans le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) » alerte ici Omar Barghouti, le co-fondateur du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
L’ONG Human Rights Watch a récemment condamné l’interdiction effective de voyager que m’impose le gouvernement israélien, en disant que cette mesure « semble une tentative pour punir [Barghouti] d’exercer son droit au militantisme politique pacifique, en utilisant l’arsenal du contrôle bureaucratique sur les vies palestiniennes ».
En tant que défenseur des droits humains des Palestiniens, profondément et passionnément engagé dans la lutte non violente pour les droits des Palestiniens relevant du droit international, je suis inquiet pour ma sécurité après les récentes menaces israéliennes, officielles et à peine voilées, de nuire physiquement à ma personne comme à celle de mes collègues palestiniens, israéliens et internationaux actifs dans le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
Au cours d’une conférence organisée en mars dernier par un quotidien israélien de droite en vue de combattre le BDS, des ministres du gouvernement israélien ont proféré des menaces, directes et indirectes, contre ceux qu’ils appellent les « meneurs du BDS », plusieurs d’entre eux me désignant explicitement. Le ministère de l’intérieur a menacé de révoquer mon statut de résident permanent en Israël et d’entraver ma capacité à voyager dans le monde entier pour défendre les droits palestiniens.
La plus grave de ces menaces, cependant, est venue du ministre israélien des Renseignements, Yisrael Katz, qui nous a menacés d’ « élimination civile ciblée », un terme, comme Amnesty International le confirme, qui fait référence à des « assassinats ciblés ».
En exprimant ses préoccupations pour « ma sécurité et ma liberté », Amnesty a demandé à Israël de mettre fin à son « intimidation » et à ses menaces contre moi et mes amis défenseurs des droits humains, et a défendu notre droit de mener campagne pour « qu’Israël ait à rendre des comptes devant la justice pour ses violations des droits de l’homme et des autres droits internationaux ».
En recourant à de telles menaces effrayantes contre les militants BDS, les dirigeants israéliens reconnaissent en réalité l’échec d’Israël à ralentir l’expansion rapide du mouvement BDS dans l’opinion publique ces dernières années.
Lancé en 2005 par la plus large coalition de la société civile palestinienne, et inspiré par le mouvement anti-apartheid sud-africain, l’appel BDS pour une pression non violente sur Israël jusqu’à ce qu’il mette fin à son occupation de 1967 et à sa discrimination raciale institutionnalisée – laquelle répond à la définition des Nations-Unies de l’apartheid -, et qu’il respecte le droit des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs foyers et leurs terres dont ils ont été déracinés et dépossédés en 1948.
L’impact du BDS sur le régime israélien d’oppression est maintenant largement reconnu. Selon la Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), les investissements étrangers directs en Israël ont chuté en 2014 de 46 % par rapport à 2013, en partie à cause du BDS.
Une étude de la Rand Corporation prédit que le BDS pourrait réduire le PIB d’Israël de 1 à 2 % chaque année, au cours des dix prochaines années.
La plongée brutale d’Israël dans un extrémisme de droite à découvert depuis les élections de 2015 a, en réalité, accru l’impact direct et indirect du BDS dans les domaines universitaire, culturel et économique. Mais avant cela même, un sondage de l’opinion publique internationale par la BBC Globescan montrait un Israël rivalisant avec la Corée du Nord en matière de popularité partout dans le monde, y compris en France, en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni.
D’importants fonds de pension européens, dont le PGGM néerlandais et le Fonds souverain du Luxembourg, se sont désinvestis des banques et entreprises israéliennes qui sont impliquées dans l’occupation.
Le Fonds de pension de l’Église méthodiste unifiée, l’une des plus importantes églises protestantes aux États-Unis, a, en début d’année, déclaré interdites pour l’investissement les cinq plus grandes banques israéliennes.
Au cours des derniers mois, un effet domino a commencé à se faire sentir, de grandes multinationales se retirant de projets israéliens qui violaient les droits humains palestiniens et ce, après d’intenses campagnes BDS.
En septembre 2015, le géant français Veolia a vendu la totalité de ses entreprises en Israëlaprès sept ans d’une campagne de boycott dénonçant son rôle dans les projets d’infrastructure au service des colonies israéliennes illégales, qui lui a fait perdre des milliards d’euros en appels d’offres et contrats.
L’entreprise de matériaux de construction irlandaise CRH et le géant des télécoms françaises Orange ont eux aussi mis un terme à leur implication dans des contrats israéliens violant le droit international.
Plus de 27 conseils locaux en Espagne se sont déclarés « Zones sans apartheid israélien ».
Moody’s, une des principales agences de notation de crédit, a prévenu que « l’économie israélienne pourrait souffrir si le BDS venait à acquérir une plus grande influence ».
À cause de cela, Israël a vainement tenté d’assimiler le mouvement BDS à l’antisémitisme, une accusation largement démasquée comme frauduleuse, étant donné l’adhésion du mouvement à la Déclaration universelle des droits de l’homme, et son rejet constant et catégorique de toutes les formes de racisme, y compris l’antisémitisme.
Le soutien juif, bien visible et grandissant, pour le BDS parmi les universitaires, les artistes et les étudiants n’a pas non plus aidé Israël. Une enquête d’opinion réalisée en 2014 par un groupe du lobby israélien aux États-Unis, par exemple, révèle que 46 % des Américains juifs non orthodoxes soutiennent un boycott total d’Israël.
Ayant perdu de nombreuses batailles pour se rallier les coeurs et les esprits de la base, Israël a adopté depuis 2014 une nouvelle stratégie pour criminaliser le soutien au BDS à partir du sommet. Israël cherche actuellement des soutiens auprès des gouvernements d’Europe et d’Amérique du Nord pour supprimer la campagne BDS et éviter à Israël de devoir rendre des comptes.
Les gouvernements de France, du Royaume-Uni et d’autres pays européens, ont dûment sapé les droits démocratiques des militants solidaires de la Palestine impliqués dans la campagne BDS. Les mesures autoritaires adoptées contre le BDS incluent jusqu’à présent : la poursuite despotique des militants BDS en France, comme la récente arrestation d’une militante qui portait un t-shirt BDS ; la législation, au niveau des États, visant à exclure les organisations soutenant le mouvement BDS aux États-Unis des financements ou des contrats publics ; et l’intimidation, par le gouvernement britannique, des conseils locaux qui ont voté en faveur des mesures BDS.
Glenn Greenwald a considéré cette série bien orchestrée de mesures draconiennes comme « la plus grande menace pour la liberté d’expression en Occident ».
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), la deuxième plus ancienne organisation en faveur des droits humains dans le monde, a récemment reconnu formellement et réaffirmé « le droit des individus à participer pacifiquement, et à appeler à participer, aux mesures de boycott, désinvestissements et sanctions (BDS) pour protester contre la politique d’occupation et de discrimination du gouvernement israélien » et a exhorté les États « à respecter et à défendre les droits connexes de liberté d’expression, d’opinion, d’association et de réunion ».
La Suède s’est distinguée, en devenant le premier pays occidental à réaffirmer que le BDS « est un mouvement de la société civile » et qu’« un gouvernement ne doit pas s’ingérer dans l’opinion d’une organisation de la société civile ».
Quant à la répression d’Israël contre les défenseurs des droits humains, qui va bien au-delà de la suppression de la liberté d’expression, elle doit être appréciée dans le contexte du niveau sans précédent d’impunité qui s’étend aujourd’hui à l’establishment israélien.
Le grand rabbin d’Israël de la communauté séfarade réclame le nettoyage ethnique de tous les « non-juifs » de « la terre d’Israël ».
Un dirigeant de colons juifs a qualifié les chrétiens, palestiniens et autres, de « vampires suceurs de sang » qui devaient être « expulsés » d’Israël. Il a appelé à incendier davantage d’églises palestiniennes, alors que déjà de nombreuses églises et mosquées palestiniennes ont été incendiées par des colons d’extrême-droite, colons qui sont protégés, et donc soutenus, par l’armée, les forces de sécurité et l’appareil judiciaire d’Israël.
Les colons qui ont fait mourir carbonisé le petit palestinien Ali Dawabsheh et ses parents l’année dernière, puis ont célébré leurs épouvantables actes de terrorisme, n’ont pas encore été condamnés pour ces assassinats.
Cet environnement d’un racisme endémique israélien et d’une totale impunité a incité le sénateur américain Patrick Leahy à demander une enquête afin de savoir si l’argent des impôts américains aidait Israël à commettre ses « graves violations des droits de l’homme contre les Palestiniens, notamment ses assassinats extrajudiciaires ».
L’Union européenne va-t-elle enquêter sur sa propre complicité profonde dans la protection d’Israël, lui évitant de rendre des comptes sur l’occupation et le déni des droits des Palestiniens ? L’UE va-t-elle remplir ses obligations vis-à-vis du droit international en interdisant les produits des entreprises qui opèrent illégalement dans les territoires occupés, en imposant un embargo militaire sur Israël, et en suspendant l’accord d’association avec cet État, jusqu’à ce qu’il respecte la liberté, la justice et l’égalité des Palestiniens ?
L’échec de l’UE à soutenir une récente décision du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies visant à établir une base de données des entreprises impliquées dans l’occupation d’Israël est de mauvais augure.
Je suis inquiet, évidemment, mais pas découragé. Aucune menace de style mafieux de qui que ce soit n’ »éliminera » nos demandes de liberté, de justice et d’égalité pour le peuple palestinien, conditions préalables à une paix globale et juste dans notre région.
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Source: Médiapart