Sarah Algherbawi – Electronic Intifada, Gaza – 13 juin 2016
Walaa al-Ifranji utilise la plateforme de partage de photos Instagram pour la promotion de son travail. (Emad Shaat)
Sabrine al-Sounounou, âgée de 38 ans, Walaa al-Ifranji, de 26 ans, et Asmaa Nassar, de 21 ans, sont des exceptions à la règle dans le découragement qui atteint Gaza. Malgré le taux de chômage le plus élevé du monde, dont un taux qui dépasse les 60% pour les jeunes, ces trois-là se sont chacune, avec un certain succès, tournées vers des plateformes en ligne pour gagner de l’argent.
Sabrine, qui a quatre enfants, a démarré son propre restaurant en ligne, dont le nom signifie à peu près Un Goût Unique, afin d’apporter un complément de revenu au salaire de son mari, Moustafa, fonctionnaire de 49 ans, et de contribuer au paiement des frais d’inscriptions universitaires de leurs fils.
La famille a perdu son logement dans l’assaut militaire israélien de 2014 sur Gaza, lorsque les Tours al-Nada dans lesquelles se trouvait leur appartement au Nord de Beit Hanoun ont été bombardées.
« Je n’ai pas de diplôme universitaire » a dit Sabrine à l’Intifada Électronique, en expliquant comment elle s’est lancée. « Ce que je peux faire pour aider ma famille c’est cuisiner ».
Dans sa famille, Sabrine a toujours eu la réputation non seulement de faire la cuisine la plus savoureuse mais aussi la mieux présentée. Aussi, lorsqu’elle a commencé, la famille et les voisins ont été ses premiers clients.
Avec leurs encouragements, dit Sabrine, et le savoir-faire en électronique de ses fils, Mahmoud, âgé de 20 ans et Ahmad, de 18 ans, qui ont partagé des photos de ses préparations avec leurs amis, qui à leur tour ont partagé avec les leurs, le nombre de followers de Sabrine sur Instagram est passé à 3 500 au cours des quatre premiers mois.
Développer l’activité
Ses fils l’ont aussi aidée à ouvrir une page Facebook, qui a maintenant plus de 10000 likes. La seule chose qui la freine actuellement est le manque d’espace et de moyens. Elle reçoit en moyenne huit commandes par jour, a-t-elle dit, donc ses préparations – les prix vont de 3 à 12 dollars (2,67 à 10, 79 €) – se vendent mais elle prépare tout dans la cuisine de l’appartement où la famille est maintenant en location.
« Je passe de 6 à 11 heures à cuisiner, selon le nombre de commandes. Parfois j’annonce un plat particulier et je reçois près de 40 commandes ces jours-là ».
Elle dit qu’elle espère développer son activité – idéalement avoir une cuisine en dehors de l’appartement familial, avec le soutien d’une institution qui aide les startups – puis demander à des parentes de travailler avec elle, ce qu’elle fait déjà les jours de chauffe.
Walaa al-Ifranji s’est aussi tournée vers Instagram pour démarrer son activité. Walaa est diplômée en anglais et elle a enseigné à Gaza pendant deux ans. Mais elle n’avait pas un poste permanent et elle a décidé de se débrouiller.
« C’est un gros défi, il est difficile de trouver du travail à Gaza, j’ai été frustrée de travailler sur des contrats à durée déterminée et j’avais besoin d’une source de revenus stable ».
Selon le Bureau Central de Statistiques Palestinien, le taux de chômage des femmes se situe juste en dessous de 63%. Aussi, Walaa s’est tournée vers les réseaux sociaux.
La jeune artiste écrit et dessine sur du bois depuis l’âge de huit ans. Et, par coïncidence, quelques mois à peine avant de commencer à faire le marketing de son travail en ligne, elle a aussi commencé à dessiner sur des pierres.
« Je vais à la mer avec mes amies presque chaque jour. J’adore ramasser des coquillages et des cailloux sur la plage » a-t-elle dit à l’Intifada Électronique. « Une fois, j’ai dessiné sur trois pierres et j’ai posté la photo sur Instagram ».
Encouragement en ligne
La réponse l’a abasourdie. Des gens l’ont encouragée à en faire plus et bientôt le nombre de ses followers sur Instagram a atteint 11 000. Elle a commencé à recevoir des commandes de réalisations particulières et Walaa poste une photo de toutes les pièces terminées.
Et de fil en aiguille… « Le Jour de la Terre (lorsque les Palestiniens commémorent la répression mortelle de manifestations en Israël en 1976), j’ai eu pour la première fois l’occasion de participer à une exposition organisée par la Municipalité de Gaza et les résultats en ont été fantastiques » a-t-elle dit.
Comme tout un chacun à Gaza, Walaa voit son activité complètement limitée par les restrictions qui ont suivi le siège imposé à la bande de Gaza par Israël depuis près d’une décennie.
« Les coupures d’électricité m’obligent à travailler à la lumière de mon téléphone mobile. Je peux travailler jusqu’à ce que ma batterie soit vide. Souvent, je n’ai pas d’accès à internet. Et tous les types de crayons dont j’ai besoin ne se trouvent pas ici. Il est également difficile de faire des livraisons à Gaza, ce qui m’est nécessaire puisque j’expose en ligne et que je n’ai pas de showroom ».
Elle vend ses créations entre 2 et 4 dollars (d’un peu moins de 2 € à 3,50 €) et expose une partie de son travail chez Surprise, un établissement de cadeaux et de décoration ouvert par l’Association des femmes Arabes de Jérusalem pour de jeunes femmes entrepreneuses.
Rien de tout cela ne se serait produit sans les réseaux sociaux, dit Walaa. « Ça a été un outil précieux. Cela a contribué au développement et à l’extension de mes idées et m’a permis d’atteindre beaucoup de gens. Utilisés correctement, les réseaux sociaux peuvent être d’une grande efficacité.
Succès photographique
Asmaa Nassar Rola Alharazeen
Asmaa Nassar, la plus jeune des trois entrepreneuses est totalement d’accord. Photographe en herbe en dernière année d’études de communication à l’Université Islamique de Gaza, Asmaa a acheté un appareil photo quand elle était en première année et a découvert son propre talent.
« J’ai commencé à réfléchir à la façon de transformer ce talent en source de revenu pour aider ma famille à payer mes études ».
Elle s’est tournée vers des plateformes de réseaux sociaux où elle a commencé à poster ses photos. Cela lui a demandé un travail spécifique et, de là, elle a commencé une carrière de photographe qui a maintenant deux ans tout en poursuivant ses études.
L’essentiel de son travail – des mariages, fiançailles, remises de diplômes et autres occasions particulières – est publié sur ses pages Facebook et Instagram et la visibilité que cela a donné à son travail lui a, à son tour, permis de pratiquer la photo d’une manière qui n’aurait pas été possible, selon elle, avec les media de Gaza.
« Plus de 6 500 personnes like ma page Facebook et plus de 3 300 me suivent sur Instagram. Les réseaux sociaux peuvent représenter un outil économique très productif si on les utilise correctement ».
Asmaa aspire maintenant à ouvrir son propre studio pour offrir un service photographique unique.
Toutes les trois livrent une rude bataille. Gaza, dont l’ONU a averti qu’elle pourrait devenir inhabitable d’ici 2020, est au bord de la catastrophe. C’est toute l’ingénuité de personnes comme ces trois femmes qu’il faudra pour, d’une certaine manière, créer l’espoir d’une vie meilleure.
Sarah Algherbawi est écrivaine et traductrice indépendante à Gaza.
Traduction SF pour l’Agence Media Palestine
Source: Electronic Intifada