« PalFest 2016 »: Interview de la poétesse palestinienne Jehan Bseiso

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Du 21 au 26 mai, le Festival Palestine de Littérature  ( http://palfest.org/)  a tourné dans les villes de Cisjordanie et d’Israël, avec la participation de Jehan Bseiso, une jeune poétesse palestinienne. Avec deux anthologies à son nom, des publications en ligne sur Electronic Intifada et The Palestine Chronicle, Jehan travaille actuellement à une collection de poésie appelée « Conversations Continuées » – une compilation de conversations réelles, mal entendues et mal retenues.          

 Interview de Ylenia Gostoli.

 

Quelle partie du Festival avez-vous trouvée la plus intéressante ?

Jehan Bseiso: Je suis allée à l’université de Bethléem lire certains de mes poèmes avec Remi Kanazi, Nathalie Handal et Basima Takrori dans une salle pleine d’étudiants. C’est quelque chose que j’ai fait au Caire, au Liban, mais c’était la première fois que je lisais ma poésie sur la Palestine en Palestine – et ce fut extraordinaire pour moi. L’auditorium était bondé d’étudiants et vibrant d’énergie. Je crois que les étudiants ont été en phase avec les textes et avec ma propre approche du langage ; j’écris en anglais mais j’emploie beaucoup de mots arabes. Je pense que les étudiants étaient réellement intrigués par ce remix linguistique. J’ai lu plusieurs pièces, dont « Le brainstorming de la Nakba » qui est un des premiers poèmes que j’ai publiés. Ce poème aborde les différents aspects de ce que c’est que grandir en tant que Palestinienne en dehors de la Palestine.

″Nous sommes des bâtards de tirets, de compléments et de phrases qui commencent par je suis originaire de… » dit un des poèmes que vous avez lu. Quel est le rôle des écrivains et artistes de la diaspora dans la lutte palestinienne ?

Bseiso: Il y a plus de 6 millions de Palestiniens en diaspora et nous avons un rôle important et croissant pour prôner le changement, nous exprimer contre l’injustice et apporter un témoignage douloureux même de loin – que ce soit par l’art, la politique ou l’activité économique. Le choix est très simple : nous pouvons soit nous nous en remettre à l’état de diaspora comme une sorte de néant ou transformer cela en un acte de résistance significatif à travers frontières et continents. Le mois dernier mes poèmes ont été publiés avec ceux de deux autres poètes palestiniens de la diaspora, Ramzy Baroud et Samah Sabawi. Dans cette collection, qui a pour titre « Je me souviens de mon nom », un de mes poèmes, « Gaza depuis la diaspora » parle du défi que représentent des témoignages indirects, mais aussi de leur importance.

 

Vous faites aussi partie d’un collectif régional de poésie appelé Les Poéticiens. Qu’est ce qui a fait se constituer ce groupe ?

Bseiso: Il a été monté à Beyrouth par la réalisatrice et auteure Hind Shoufani. Il procure un réseau informel à des écrivains et poètes de différents pays de la région pour lire et publier ensemble. Nous sommes un groupe qui se décrit comme élastique, sans règles, sans limites, sans censure, sans système ou structure d’appartenance. Une des deux anthologies que nous avons publiées contient de mes écrits. À Beyrouth mais aussi à Dubaï et à Amman, Les Poéticiens ont organisé des soirées d’expression libre. Pour moi ce fut le début de la poésie sur scène, à voir mes mots faire un saut de la page à la scène.

 

Un des thèmes récurrents des lectures du PalFest était de relier différentes luttes. Saidiya Hartman a parlé de race et d’esclavage. Coetzee a tracé un parallèle entre les systèmes oppressifs d’ici et de l’Afrique du Sud de l’Apartheid, exhortant ironiquement les gens à « tirer leurs propres conclusions ». Faites-vous ce lien ?

Bseiso: Oui. Les luttes sont liées, notre humanité est quelque chose qui nous est commune à tous ; donc qu’il s’agisse du mouvement pour les droits civiques, la lutte contre l’apartheid, contre l’incarcération, les frappes de drones, les systèmes injustes, nous sommes tous en relation, tous reliés, c’est pourquoi les gens qui sont impliqués dans la situation en Palestine devraient aussi s’engager sur d’autres lutes.

Le Palestine Festival de Littérature (PalFest) a été créé en 2008 dans le but de présenter et de soutenir la vie culturelle en Palestine, de briser le siège culturel imposé aux Palestiniens par l’occupation militaire israélienne et de renforcer les liens entre la Palestine et le reste du monde.

 

Certains des auteurs internationaux qui participent au festival ont vécu ici auparavant et sont engagés vis-à-vis de ce pays, d’autres non. Pensez-vous que l’importance des récits vienne de qui les dit ? Est-ce que les Palestiniens possèdent leur propre récit ?

Bseiso: Bien sûr. Dans le groupe il y avait trois Palestiniens de la diaspora – il devait y en avoir quatre mais Ahmed Masoud n’a pas eu le droit d’entrer (au passage de la frontière israélienne). Les Palestiniens possèdent effectivement leur récit, certains d’ici et d’autres de l’étranger.

Un de mes premiers poèmes avait pour titre « le Brainstorming de la Nakba » ; j’y exprime que lorsque nous avons trouvé le moyen de nous faire entendre, nous avons appris à parler depuis les marges de la page, depuis la périphérie. Donc c’est là que ça commence. Cela fait partie de la lutte et du thème dont nous discutons. Reconquérir le récit, reconquérir la légitimité. Comprendre ce qu’il se passe ici. Pour moi qui suis palestinienne, c’est incroyable de faire partie d’une délégation internationale, parce que je me sens chez moi mais je me sens aussi étrangère parce que je n’ai pas grandi ici. Je suis née à Los Angeles, j’ai été élevée en Jordanie et j’ai fait mes études au Liban. Ma famille est de Gaza, ma mère est née à Shejayea, le quartier qui a été complètement détruit (pendant la dernière guerre). Je n’y suis jamais allée, bien que ce soit la deuxième fois que je viens ici. Il faut que je trouve un moyen d’aller à Gaza.

 

Écrivez-vous pour un public situé en Palestine ou en dehors de la Palestine ?

Bseiso: J’écris en anglais avec des mots arabes transcrits. Je crois que mon public est un peu des deux – quand je suis arrivée ici j’ai réalisé que ça peut être les deux. Prenez, par exemple, ce que j’ai écrit sur la guerre à Gaza, « Gaza depuis la diaspora ». Je m’adresse bien sûr à des gens qui sont en dehors de la Palestine. C’est pourquoi je voulais publier sur des sites tels Electronic Intifada et Palestine Chronicle. Je voulais que les gens intéressés à ce qu’il se passe en Palestine considèrent la poésie comme un moyen d’avoir de l’information. Mais aussi – et c’est quelque chose que j’ai beaucoup ressenti pendante cette visite – j’écris pour les gens qui vivent ici. Parce que lorsqu’ils me regardent et qu’ils voient que je suis d’ici et que je suis connectée à ces thèmes – thèmes qui sont transversaux et transcontinentaux, c’est important.

Ylenia Gostoli

Traduction: SF pour l’Agence Media Palestine

Source: © Qantara.de 2016

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