Des militants juifs et palestiniens essaient de construire un cinéma à Hébron

Dahlia Scheindlin

le 15 juillet 2016

Sous le regard de soldats et de colons, des dizaines de Juifs étrangers rejoignent des Palestiniens dans la ville d’Hébron soumise à la ségrégation pour essayer de ‘rendre l’insupportable un peu plus supportable’. La police détient six Israéliens de ce groupe et en empêche d’autres de les rejoindre.

Palestinian, Israeli and American activists take part in cleaning around Palestinian houses in Tal Rumaida in the divided West Bank city of Hebron, July 15, 2016. Youth against settlements and the center of Jewish non violence helped Palestinians to clean around houses which is near to Israeli settlements, since Palestinians can not use machines for the cleaning due to security measures by the Israeli army. Photo by Wisam Hashlamoun/FLASH90
Palestinian, Israeli and American activists take part in cleaning around Palestinian houses in Tal Rumaida in the divided West Bank city of Hebron, July 15, 2016. Youth against settlements and the center of Jewish non violence helped Palestinians to clean around houses which is near to Israeli settlements, since Palestinians can not use machines for the cleaning due to security measures by the Israeli army. Photo by Wisam Hashlamoun/FLASH90

 

Sous le regard de soldats et de colons israéliens, des militants du Centre pour la Non-Violence Juive débroussaillent la cour de ce qui devrait devenir un cinéma, à Hébron le 15 juillet 2016. (Wisam Hashlamoun/FLAH90)

Dans cette partie d’Hébron contrôlée par Israël, les rues étaient ensoleillées et silencieuses vendredi à 9 heures du matin. Les boutiques palestiniennes des rues principales étaient toutes fermées, comme la plupart d’entre elles le sont depuis 20 ans. Les Juifs étaient chez eux à préparer le Shabbat.

Dans une rue en pente du quartier de Tel Rumeida où, en avril, un agresseur au couteau palestinien a été blessé, puis exécuté, règne une certaine confusion. Un groupe épars de soldats israéliens, de policiers en uniforme bleu et de quelques colons locaux s’agite autour d’une palissade délabrée, scrutant à l’intérieur comme s’il s’agissait d’une cage de zoo.

A l’intérieur, il y a un groupe de quelques dizaines de Juifs de la diaspora, majoritairement américains, et quelques Israéliens. Ils chantent des chansons et leurs T.shirts disent « L’Occupation n’est pas notre Judaïsme ». Au milieu de chants militants des années 1960 pour la lutte pour les droits civiques aux Etats Unis, ils psalmodient : « Les Juifs de la diaspora disent : ‘dai l’kibush !’ [mettez fin à l’occupation], et, avec l’accent hébreu, un chant que l’on traduit ainsi : « Vous n’avez pas honte ! Il n’y a rien de saint à propos d’une ville occupée ! » Par moments, ils chantent des mélodies juives traditionnelles, par exemple celles contre la guerre « lo ysah goy el goy herev » et « hineh ma tov u’ma naim ».

Mais leur principale activité, c’est le nettoyage. Le bout de terre grillagé dans lequel ils travaillent contient quelques bâtiments délabrés, principalement remplis de débris – objets métalliques tordus, pierres, barils rouillés et anciens tas de détritus naturels. Avec leurs t.shirts bleu vif et leurs grands râteaux jaunes, les militants lancent des cris d’acclamation tout en ratissant, ramassant et faisant passer les lourds débris par la file des militants.

Palestinian, Israeli and American activists take part in cleaning around Palestinian houses in Tal Rumaida in the divided West Bank city of Hebron, July 15, 2016. Youth against settlements and the center of Jewish non violence helped Palestinians to clean around houses which is near to Israeli settlements, since Palestinians can not use machines for the cleaning due to security measures by the Israeli army. Photo by Wisam Hashlamoun/FLASH90
A Hébron, le 15 juillet 2016, des militants du Centre pour la Non-Violence Juive déblaient, sous le regard de soldats et de colons, la cour de ce qui devrait devenir un cinéma. (Wisam Hashlamoun/FLASH90)

Cette association, qui s’appelle « Centre pour la Non-Violence Juive » (CJNV), a été invitée par les Jeunes Contre les Colonies, organisation palestinienne basée à Hébron, pour installer un cinéma dans la ville palestinienne d’Hébron parce qu’elle n’en a pas. « Nous voulons rendre l’insupportable un petit peu plus supportable », a dit l’une des participantes juives, qui a demandé à ne pas être nommée pour des raisons professionnelles. « Nous travaillerons jusqu’à ce que ce ne soit plus possible. » Leur intention, dit-elle, est de travailler jusqu’à la fin de la journée, ou jusqu’à ce qu’on les arrête.

L’association CJNV travaille dans les territoires palestiniens depuis une semaine, avec l’aide planifiée d’une autre association militante, Tout ce Qui Reste [ou Tout Cela c’est la Gauche], menant d’autres actions avec des partenaires palestiniens dans les villages des Collines Sud d’Hébron, Umm el-Kheir et Susya.

Enrico est un Juif italien de 27 ans qui a étudié la résolution des conflits à l’université de Tel Aviv. Il travaille maintenant avec les réfugiés et les demandeurs d’asile en Italie. « Je suis Juif, je me sens donc responsable », dit-il. « Je m’intéresse à Israël – Je ne suis pas religieux, mais je pense qu’il est important pour tous les Juifs de s’intéresser à Israël et au Judaïsme. Et le statu quo est insupportable. »

Les colons derrière la palissade continuent à observer. Ce sont des enfants. Certains crient que tout cela, c’est leur terre. D’autres essaient de comprendre ce qui se passe exactement. Quelques informations filtrent et une fille dit : « Attendez, ce sont des Juifs ? »

« Oui », dit son amie. « Tu ne sais donc pas que les plus cinglés sont parmi les nôtres ? »

Un garçon d’environ 12 ans, avec de longues papillotes brossées ondulées, lance des propos hargneux à un participant palestinien à travers les fils de fer tordus. « Allez, continue, ramasse tout ça ! » Puis il lui dit : « Tu es feintée ! Tu travailles pour moi. »

Quand il réalise que je parle hébreu, il dit : « Il y a de la merde par terre là où tu es, va la ramasser. » Le Palestinien est perplexe. Je détourne les yeux et vais parler à un petit groupe de filles de colons, également d’à peine treize ans, observant toutes rassemblées.

L’une demande : « Qu’est-ce qu’ils chantent ? » J’explique que ce sont des chants que chantaient les blancs et les noirs aux Etats Unis lorsqu’ils luttaient ensemble pour les noirs qui vivaient sous oppression. Ses yeux s’agrandissent en m’écoutant. Encouragée, J’ajoute que beaucoup de Juifs ont rejoint le combat pour les droits des noirs américains, et des rabbins aussi. Ses yeux s’élargissent encore. « Alors c’est comme si les noirs et les blancs revenaient ? »

Abed el-Rahman est un militant de 23 ans des Jeunes Contre les Colonies qui vit dans la rue Shuhada. Il explique que nous sommes sur un terrain privé qui appartient à la famille Abu Aishe. En fait, quand la police israélienne raconte que les militants violent cette propriété, les membres de la famille du propriétaire les convainquent que cette terre leur appartient et qu’ils approuvent cette action.

Mais les forces israéliennes ont fait obstruction à cette tentative par d’autres moyens : la police qui se tenait à l’un des principaux checkpoints à la sortie de Jérusalem a renvoyé un bus rempli de militants israéliens qui venaient rejoindre l’action.

Abed est un professeur d’anglais. Il explique que cette tentative fait l’objet d’une manifestation pacifique, de celles qui peuvent procurer une sensation de fierté. « Il y a des ordures ici. Nous voulons les déblayer et nettoyer ! Nous voulons un cinéma. C’est pacifique. Nous ne violons les droits de personne. »

Comme pour prouver son évocation des détritus, un rat géant sort de ce qui a dû être son paisible logement depuis longtemps. Il se fraie un chemin à travers les files de travailleurs, qui s’écartent d’un bond, et se frotte contre la cheville de ce reporter sans peur, au milieu des exclamations, avant de disparaître.

Des militants juifs et palestiniens essaient maintenant de construire un cinéma, avec l’armée et les colons à la grille.

Parmi les Américains se trouve le journaliste et auteur Peter Beinart. Il reconnaît qu’il est plus habitué à lire et à écrire qu’à participer à des actions comme celle-ci, mais il est curieux de voir où elle pourrait le conduire. Une grande partie des jeunes Juifs américains est issue d’un environnement relativement traditionnel religieux, observe-t-il, ce qui signifie une sorte d’écart générationnel. « Cela fait qu’il est plus difficile de n’en pas tenir compte », dit-il. Et la combinaison d’un environnement juif traditionnel avec les valeurs anti-occupation représente une identité dans laquelle il se sent personnellement à l’aise, explique-t-il.

Tous ne sont pas aussi à l’aise. Une autre jeune femme est une étudiante en premier cycle de retour chez elle où elle milite contre les incarcérations de masse et le racisme institutionnel, en plus du militantisme juif contre l’occupation. Elle voulait « mettre ses paroles en actes » en rejoignant les Palestiniens ici, mais elle aussi a demandé à ne pas être identifiée. Sa famille est religieuse traditionaliste et ne soutient pas ce qu’elle fait ici. Elle ne veut pas parler d’eux davantage. « Je veux respecter leur intimité. »

Les encouragements auto-entretenus des chansons et l’aura de justice dans les yeux des participants rappellent un étrange parallèle de fabrication idéologique d’une autre ère : le légendaire Seder pascal fêté au Park Hotel d’Hébron en 1968, juste après la prise de la Cisjordanie. A la fin du Seder, les Juifs nationalistes religieux qui l’avaient organisé refusèrent de partir. C’est devenu un moment pierre de touche spirituelle pour la naissance de l’entreprise coloniale en extension. Peut-être cette action est-elle l’autre extrémité de 1968, le commencement d’une résistance populaire juive et palestinienne à la prise sans fin de la terre. Mais il est peu probable que créer « des faits sur le terrain » puisse marcher pour la Gauche comme cela a marché pour les colons.

Aujourd’hui, les militants anti-occupation parlent d’installer un cinéma ; très peu, voire aucun, y croient vraiment. Quelques jours plus tôt, ils avaient pris part à une formation à la militance non-violente et avaient élaboré un plan en cas d’arrestation, éventualité que beaucoup parmi les étrangers, mais aussi les Israéliens, envisageaient. Comme si c’était écrit, vers 11 heures du matin, les autorités israéliennes donnèrent l’ordre au groupe de partir. Moriel Rothman-Zecher, militant israélo-américain, informa les officiers que le groupe n’obéirait pas.

CJNV-sit-in-Dahlia

Les militants du Centre de Non-Violence Juive se prennent par les bras et s’assoient par terre tandis qu la police leur ordonne de partir, à Hébron le 15 juillet 2016. (Dahlia Scheindlin) La police a gardé en détention six militants israéliens pendant sept heures.

Les militants s’assirent alors par terre – en rangées bien alignées, presque comme au théâtre – les bras liés, et ils chantèrent.

Un commandant de police israélien entra dans la parcelle, avec quelques soldats suivis de quelques policiers anti-émeute, et annonça qu’en réalité, à, partir de maintenant, cette zone était une zone militaire fermée. Les militants avaient trois minutes pour partir – « et sinon, nous vous aiderons à partir, y compris par la force », dit-il en anglais. Les militants ne bougèrent pas. Les policiers anti-émeutes se penchèrent et aidèrent chaque personne à se lever en trébuchant, faisant sortir la première rangée.

(vidéo)

Six militants munis de cartes d’identité israéliennes furent arrêtés et emmenés au poste de police de Givat Avot (« Colline des Patriarches »), quartier colonial à une seule rue avec un poste militaire et une grille à l’entrée, près de Kiryat Arba. Le reste du groupe supposa que seuls les Israéliens avaient été arrêtés parce que la police souhaitait éviter l’image désagréable d’autorités israéliennes arrêtant des Juifs de la diaspora. Ils décidèrent de défiler sous le soleil alors brûlant d’Hébron, en descendant la rue Shuhada soumise à la ségrégation jusqu’au poste de police à 20 minutes de là, en haut de la colline.

Sur un chemin broussailleux, les soldats les arrêtèrent. Une militante de 27 ans, qui venait d’obtenir son doctorat de philosophie, insista pour dire qu’ils souhaitaient rejoindre leurs amis détenus et qu’ils exigeaient qu’on leur parle en anglais. « Il ne s’agit pas d’un dialogue », répondit un des soldats. « Vous ne passez pas. » Elle demanda à voir l’ordre militaire qui l’autorisait à les arrêter. Il appela par radio une base quelque part. « J’ai besoin de l’ordre », dit-il en hébreu. « Photographiez le simplement et envoyez le moi. » Un autre soldat murmura à l’autre : « Ouah, ils sont tenaces. »

Sept heures plus tard, la police libéra les six militants à condition qu’ils ne reviennent pas à Hébron pendant 15 jours.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Médias Palestine

Source : +972

Retour haut de page