Un message d’un artiste aborigène qui trouve un écho en Palestine

Joharah Baker The Electronic Intifada Jérusalem 21 Octobre 2016

3-2

 

La tente-ambassade aborigène de Richard Bell. (Aline Khoury)

 

« Survivre est un instinct très fort ».

Ces mots ont une résonnance en Palestine, même lorsqu’ils sont exprimés dans une autre langue par un homme qui se consacre à une lutte différente et vit aux antipodes.

Beaucoup de ce qu’avait à dire Richard Bell, l’artiste aborigène australien, le 14 octobre à Jérusalem, aurait certes pu être prononcé par tout Palestinien de la ville, de Gaza ou de la diaspora.

Et quant à montrer qu’il y a un langage commun parmi les opprimés           de ce monde, Qalandiya International, la biennale d’art contemporain qui a pour tire cette année Cette mer est mienne, a été un succès.

Reste à savoir combien de Palestiniens étaient là pour profiter de cette sagesse.

Bell a pris la parole lors d’une soirée à Jérusalem sur « l’art et le dialogue », où sa Tente- Ambassade aborigène – un hommage à la Tente Ambassade érigée devant le parlement australien quelque 40 ans plus tôt – figurait au stand n°8 de Qalandiya International à Jérusalem nommé Avant et Après les Origines.

Assis à l’intérieur de cette simple tente, dont les côtés avaient été relevés pour laisser la possibilité aux visiteurs de voir dedans et qui était signalée par une affiche en arabe, Bell, d’apparence impressionnante, parlait avec passion sur comment son peuple avait été opprimé, déplacé, déraciné, appauvri et aliéné dans sa propre patrie.

« Les forces coloniales ont créé des divisions chaque fois qu’elles le pouvaient et partout où elles le pouvaient » a dit Bell sur le toit de la Fondation Al-Ma’mal pour l’art contemporain dans la vieille ville de Jérusalem où sa tente avait été montée. « Nous devons trouver tous les moyens possibles pour que nos messages circulent ».

« Le retour au pays » est le fil rouge de Qalandia International cette année. À travers pays et frontières, les événements de la biennale – depuis les expositions de photos et les performances individuelles jusqu’aux projections de films et aux présentations orales comme celle de Bell – se tiennent dans toute la Palestine historique, les Hauteurs du Golan occupé, Amman, Londres et Beyrouth, et cela jusqu’à la fin octobre.

Selon Vivian Ziherl, la commissaire des manifestations qui se déroulent à Jérusalem, le but de Qalandiya International est de maintenir un lien entre ceux qui subissent le colonialisme et l’occupation, c’est à dire les peuples opprimés du monde.

« Personnellement, je vois le concept du retour du point de vue d’une colonie de peuplement », dit Ziherl, se référant à sa propre origine anglo-australienne, « reconnaissant que la question du retour des Palestiniens ne lui est devenue familière que récemment.

 

Le retour comme échange culturel

À Jérusalem, le concept du retour a été présenté sous la forme d’un échange et d’une expression culturels dans différents lieux.

Sur le toit d’Al Ma’mal, Richard Bell a fait le lien entre la lutte des Aborigènes pour la reconnaissance de leurs droits et tout simplement de leur existence, et la lutte des Palestiniens pour recouvrer leurs droits et leur terre. Pour les Aborigènes comme pour les Palestiniens, a-t-il dit, la perte de la terre est partie intégrante de la lutte.

À côté de la tente-ambassade, une affiche en arabe disait ceci : « Envahisseurs blancs, vous vivez sur une terre volée ».

La pertinence dans la situation locale n’a pas échappé aux visiteurs.

Remplacez simplement le mot « blancs » par « sionistes » a dit Nuri al-Uqbi, un Bédouin palestinien du Nakab (Néguev en hébreu), lors d’un échange de questions – réponses à la suite de l’exposé de Bell, « et voilà ce qu’est notre situation ».

Al-Uqbi a rappelé la façon dont sa communauté a été dépossédée. Il pouvait se rappeler, disait-il, le jour où Israël a occupé Bir al-Saba (le nom arabe d’origine de Beersheva).

Il a rappelé comment, en dépit d’un accord entre les cheikhs locaux des tribus bédouines du Nakab (dont son père), le gouverneur militaire israélien leur a signifié en 1951 un ordre d’expulsion de leur terre, du village d’al-Araqib, et de transfert vers une localité beaucoup plus reculée, dépourvue d’école et d’eau.

« Il y a 200 000 Arabes dans le Nakab et aucun d’eux ne possède la moindre parcelle de terre », dit Al-Uqbi.

 

5

Membres du Collectif de cinéma Karrabing en conversation avec Richard Bell (deuxième à partir de la droite) sous la Tente Ambassade aborigène. (Isa Freij)

 

Le même sentiment de dépossession et de perte de la terre a été perceptible dans les propos de Yasser Khanjar, un poète pensif et éloquent des Hauteurs du Golan.

Khanjar a décrit son identité nationale comme celle d’un Syrien dont la vie quotidienne sous occupation israélienne a fait de lui un Palestinien dans tous les aspects pratiques. Il a parlé de la façon dont Israël a essayé, au fil des années, de forcer sa communauté à l’assimilation dans la société israélienne en préservant les villages druzes du Golan et en détruisant des centaines d’autres pendant l’occupation de 1967.

« Ils voulaient que nous nous mélangions avec les Druzes de Galilée » a-t-il expliqué, se référant à la minorité religieuse dont les dirigeants ont souhaité l’assimilation après la déclaration de l’État d’Israël en 1948. « Ils voulaient faire de nous des Israéliens ».

Mais, tout comme Bell, qui proteste depuis 40 ans avec son projet de Tente-Ambassade, Khanjar maintient son identité syro-palestinienne contre toutes les tentatives de l’étouffer.

« Il y a une colonie israélienne, Kiryat Shmona, qui est à peine à 23 km à l’est de Majdal Shams » a-t-il lancé come une boutade, en se référant à sa ville natale. « Mais je ferais les trois heures et quelque de voyage pour Jérusalem plutôt que de passer par là ».

 

Peu de fréquentation locale

Faire le lien entre des peuples déplacés et opprimés, par l’art et la culture, est une noble entreprise, mais il faut que cela soit partagé par la population. Il ne semble pas que cela ait été le cas avec Qalandiya International cette année, au moins si l’on en juge par les deux manifestations du 14 octobre à Jérusalem.

Le toit de Al-Ma’mal – comme l’immense salle de la Société de la Communauté Africaine où le Collectif de Cinéma Karrabing, un groupe de cinéastes indigènes d’Australie, projetait son film Sel – a eu une bonne audience mais pas de la part de la population locale.

Des présentations ont été faites par des Jérusalémites et on pouvait identifier tel artiste ou spectateur palestinien dénotant dans l’assistance, mais la majorité des spectateurs étaient étrangers. Vivian Ziherl a dit que le problème venait en partie de la difficulté de venir à Jérusalem – les checkpoints et l’armée israélienne règnent sur la ville.

Mais d’autres croient que la question est plus profonde.

Bisan Abou Eisheh, un artiste qui vit entre Jérusalem et Glasgow en Écosse, et qui collabore à Qalandiya International, a dit que le problème se situait à plusieurs niveaux.

« En Palestine, l’art est devenu un luxe pour l’élite » dit-il. « Je suggèrerais aux institutions palestiniennes de mieux impliquer les habitants dans des projets éducatifs et culturels pour qu’ils soient davantage partie prenante ».

il a mentionné la période qui a suivi les accords d’Oslo comme le point de départ de ce déclin d’intérêt, dû en partie au système oppressif israélien d’isolement et de division imposé aux territoires palestiniens, en particulier à Jérusalem.

« Avant, les gens étaient beaucoup plus engagés dans l’art, la danse et la musique. Maintenant le niveau de désintérêt s’est considérablement élevé ».

Un cas qui illustre parfaitement cette déconnexion est le fait que la Tente Ambassade était prévue dans le camp de réfugiés de Shouafat, le seul camp situé à l’intérieur des limites autoproclamées par Israël de la ville de Jérusalem. Mais les organisateurs ont été obligés de changer d’emplacement, Ziherl ayant simplement déclaré qu’il avait été « extrêmement difficile d’entrer en relation avec la population du camp ».

Elle a dit qu’il n’en était pas ainsi au début de la semaine, lorsque la partie de Jérusalem incluse dans Qalandiya International cette année avait ouvert, avec des « centaines » de Palestiniens présents.

Peut-être. Sous le régime israélien de restriction des déplacements, les Palestiniens ne peuvent pas facilement voyager vers Jérusalem (ou vers le Golan ou Haïfa) s’ils ont des cartes d’identité de Cisjordanie – ce qui s’ajoute à l’isolement total de Gaza. De ce fait, le puissant message de Richard Bell et d’autres artistes qui participent en ville à la manifestation n’atteindront qu’une fraction des Palestiniens.

Pour autant, les liens entre les opprimés sont indéniables. En réponse à une question sur le but ultime de la population indigène d’Australie, Bell a fait entendre un sentiment qui n’est que trop familier aux Palestiniens.

« Moi ? Je veux tout ».

 

Joharah Baker est une écrivaine freelance qui a travaillé pour des media palestiniens, régionaux et internationaux. Elle est aussi traductrice pour un certain nombre d’organisations palestiniennes.

Traduction :SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Electronic Intifada

Retour haut de page