Par Alaa Tartir – Opendemocracy – 16 novembre 2016
Dans un contexte d’injustice croissante, reconquérir l’importance et le sens du mot résistance est plus urgent que jamais.
Une vue du mur de séparation, près du camp de réfugiés d’Aïda à Bethlehem. Photo Richard Gray EMPICS entertainment. Tous droits réservés.
Le (dés)ordre du monde continue de se développer et prend différentes dimensions et formes, et il perpétue aussi l’injustice. Les normes démocratiques sont en crise et le fossé avec la représentation politique continue de s’élargir.
De nouveaux conflits n’arrêtent pas d’éclater dans ce monde hautement titrisé, et de nouvelles technologies pour l’oppression et l’agression ont été déployées. Les citoyens du monde se sentent de plus en plus dépossédés de leurs droits, et loin du cœur de leur système politique. La réponse à tout cela, c’est la résistance.
De nombreuses voix dans le monde œuvrent dur pour faire du mot résistance un « mot sale », arguant qu’il n’est pas compatible avec la paix mondiale et la justice. D’autres tentent même de criminaliser la résistance. Les institutions mondiales qui ont à charge d’assurer la justice, telles les Nations-Unies, ont été incapables à de nombreuses reprises d’inverser et de contester les conditions agressives.
Pourtant, la résistance, et de fait, la résistance populaire en particulier, devrait être la règle plutôt que l’exception sous une occupation, la colonisation, la répression et l’autoritarisme. Au lieu de criminaliser la résistance, les institutions mondiales chargées d’assurer la justice doivent défendre, célébrer, et adopter la résistance comme un moyen de vivre jusqu’à ce que la justice et l’égalité soient acquises.
Tout cela est compatible avec les résolutions des Nations-Unies qui donnent le droit aux peuples d’utiliser tous les moyens disponibles pour parvenir à leur autodétermination et se libérer d’une domination coloniale et étrangère. La preuve par l’histoire suggère une règle simple : quels que soient le moment ou le lieu où l’oppression existe, la résistance créative est la réponse.
L’acte de résistance est par conséquent fondamental pour assurer une autonomie, une véritable habilitation, et que le peuple soit au centre de son système politique et de ses luttes. La résistance signifie aussi que la probabilité d’atteindre une paix juste et durable est plus élevée, bien qu’il ne s’agisse aucunement d’une équation linéaire ou simple et directe.
Quel que soit l’adjectif qui précède le mot résistance (populaire, armée, pacifique, non violente), ce qui compte, c’est la façon dont l’idée et l’acte de résistance sont perçus en tant que valeur humaine fondamentale. Certains trouvent cela angoissant, d’autres trouvent cela beau. Mais entre ces deux points de vue, ce qui est certain c’est que cette résistance est un processus difficile qui exige persistance, éducation et sacrifice.
Résister, affronter, confronter, contester, refuser, ne pas coopérer avec les « maîtres », avoir des principes, tenir ferme, et persister, tous ces actes sont des actes de résistance qui ne doivent pas être ôtés aux opprimés. Dans un futur ordre mondial, personne ne devrait avoir le droit de demander au peuple opprimé de transiger avec ces droits basiques et fondamentaux. Ceux qui cherchent à le faire se mettent du côté de l’oppresseur et contribuent au maintien de l’injustice.
Cela peut sembler être une observation évidente, mais dans notre réalité présente, elle est à peine visible dans les pratiques de ceux qui se livrent à la mise en œuvre de l’ordre mondial actuel. Pour être plus explicite, de nombreux gouvernements occidentaux se félicitent des formes pacifiques de résistance, mais quand il s’agit du vrai test, ils ne collent pas à leurs paroles et à leurs déclarations flamboyantes ; ils échouent lamentablement.
Bien sûr que le monde d’aujourd’hui est différent du monde colonial, mais malheureusement l’oppression et l’agression prennent d’autres formes, et les néo-colonialistes disposent d’autres moyens pour exercer leur domination. Par conséquent, il existe deux variables constantes : l’absence de justice et le déni des droits, et l’expansion et la croissance des outils et de la créativité permettant au peuple de résister et de faire face à l’injustice.
Les principes de Gandhi sont toujours célébrés comme la voie à suivre, mais si Gandhi vivait dans le monde d’aujourd’hui, il aimerait être célébré de la bonne manière : en s’occupant des racines de l’injustice et en s’opposant à ce que les mêmes, si ce n’est des plus dures, pratiques coloniales se reproduisent.
Le monde célèbre les longs jeûnes de Gandhi, sa persévérance dans les prisons, et son boycott efficace contre les colonisateurs. Mais le monde d’aujourd’hui trahit aussi la pensée de Gandhi en abandonnant à leurs sorts les prisonniers palestiniens en grève de la faim dans les geôles israéliennes, en rejetant la douleur des milliers d’autres prisonniers palestiniens, tout en accusant les Palestiniens et ceux qui les soutiennent d’être des antisémites parce qu’ils défendent et œuvrent au boycott d’Israël pour ses violations constantes du droit international et des droits de l’homme.
La trahison de Gandhi atteint un niveau encore plus élevé dans ce nouvel ordre du monde, par la criminalisation des actes de résistance créative et populaire, sous l’égide de l’État de droit et de la démocratie. Ces exemples, illustratifs de la Palestine occupée, ne sont que quelques-uns des nombreux exemples s’inspirant du monde entier.
Par conséquent, la leçon clé qui peut être tirée de cela est simple : les différentes formes de désobéissance civile, de résistance, de confrontation, de coopération non violente et de boycott, doivent être maintenues au cœur des peuples pour conduire leurs actions.
En fin de compte, la résistance est le plus court chemin vers la justice mondiale parce qu’elle met la dignité humaine au cœur des actions. Quand la dignité est le principal point de référence pour toute lutte, alors les aspirations du peuple deviennent centraux, et leurs voix et exigences entraînent le système politique et la lutte.
Quand la dignité est la clé, la négociation avec le « maître » a un goût différent, et la paix a une signification différente. La dignité est un concept unificateur, et l’unité est la clé pour une résistance efficace.
Note : Une version de cet article a été présentée par l’auteur à une table ronde sur « la résistance pacifique pour une justice durable au niveau mondial » lors de la Semaine pour la Paix, à Genève, à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), le mardi 8 novembre 2016.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: OpenDemocracy
À propos de l’auteur
Alaa Tartir est le directeur de programme d’Al-Shabaka : le réseau politique palestinien, universitaire d’après-doctorat au Centre de Politique de sécurité à Genève (GCSP), et chargé de recherches invité au Centre sur les Conflits, le Développement et la Consolidation de la Paix (CCDP), à l’Institut de Hautes Études internationales et du Développement (IHEID), à Genève, Suisse. Suivez Alaa@alaatartir, et lisez sa publication sur www.alaatartir.com