Johara Baker – The Electronic Intifada – 28 novembre 2016
Les nouvelles réglementations ajoutent un autre obstacle que les Palestiniens doivent franchir pour protéger leur droit de vivre à Jérusalem. (Saeed Qaq – APA Images)
Plus tôt dans l’année, de nouvelles réglementations ont été rendues obligatoires pour tous les résidents palestiniens de Jérusalem ayant des autorisations provisoires de regroupement familial pour qu’ils souscrivent une assurance maladie israélienne.
La loi, qui est entrée en vigueur le 1er août, impose aux personnes concernées une cotisation mensuelle en plus d’un important rappel non récurrent antidaté.
Elle a déclenché un tollé de colère chez les Palestiniens de Jérusalem qui la voient comme une nouvelle tentative de la part des autorités israéliennes pour cibler leur communauté et faire que leur existence pourtant précaire dans la ville soit remise en cause.
Premièrement, la loi ne touche que ces milliers de Palestiniens qui ont la carte d’identité verte de Cisjordanie, qui ne peuvent entrer dans Jérusalem qu’avec une autorisation israélienne, qui ont une épouse ou un époux détenteur de la carte d’identité bleue, et qui sont résidents permanents de la ville. Le statut de résident permanent a été imposé à la population palestinienne après qu’Israël eut occupé la moitié orientale de Jérusalem, et qu’il l’eut finalement annexée – en violation du droit international – au territoire sur lequel l’État a été déclaré en 1948.
Les détenteurs de la carte d’identité verte vivent dans la ville sous des conditions déjà difficiles, craignant en permanence que leur autorisation de rester dans la ville – et par conséquent, avec leurs familles – leur soit retirée, Israël ayant déjà annulé les droits de résidence d’au moins 14 000 Palestiniens depuis 1967.
Chaque année, ces personnes doivent faire la preuve à la satisfaction des bureaucrates du ministère de l’Intérieur israélien que leur « centre de vie » est bien Jérusalem. Il ne leur suffit pas, autrement dit, d’être marié à une personne détentrice de la carte d’identité de Jérusalem pour détenir des droits dans la ville. Il leur faut encore prouver en permanence qu’ils résident dans la ville ; qu’ils s’acquittent d’impôts dans la ville, notamment de l’Arnona ou de l’impôt foncier ; qu’ils travaillent dans la ville ; que leurs enfants y vont à l’école.
Et ça ne s’arrête pas là. Les époux-ses et les enfants doivent également prouver qu’ils sont inscrits auprès d’une société d’assurance maladie et que leur conjoint travaille dans la ville. Si la famille ne répond à aucune de ces exigences, alors la visite annuelle au ministère de l’Intérieur israélien pour le renouvellement de leur autorisation peut très bien se terminer avec un tampon de rejet.
Une cotisation antidatée
Voyons la nouvelle réglementation. Le problème immédiat auquel beaucoup sont confrontés est qu’ils n’ont tout simplement pas été informés de ces nouvelles réglementations. Les sociétés d’assurances disent avoir envoyé des lettres aux détenteurs du droit de résidence israélien, dans chaque famille concernée, lettre adressée au conjoint qui a l’autorisation de résidence.
Mais, affirme Nasrat Dakwar, avocat de la Société de St Yves, un centre catholique pour les droits de l’homme, si des lettres ont été envoyées, alors beaucoup n’ont pas été reçues.
Puis il y a la redevance. Les lettres – reçues ou non – informaient les époux des détenteurs de la carte d’identité bleue qu’ils avaient 60 jours à compter du 1er août pour payer un rappel de cotisations de 7695 NIS (nouveau shekel israélien, près de 1900 €), en plus d’une nouvelle cotisation mensuelle de 285 NIS (70 €) pour pouvoir être enregistrés pour une assurance maladie complète.
Aucune explication n’était fournie quant à la raison de cet énorme rappel de cotisations qui leur était imposé, et aucun destinataire n’était pleinement informé que ce paiement était obligatoire.
Il sera certainement difficile pour beaucoup de s’en acquitter. Selon une étude réalisée en 2015 par l’Association pour les droits civils en Israël, un taux stupéfiant de 75 % des Palestiniens de Jérusalem vivent dans la pauvreté. L’Institut national d’assurance d’Israël considère qu’une personne vit en dessous du seuil de pauvreté si elle gagne moins de 792 dollars (738 €) par mois.
Rana, du village de Beitin près de Ramallah en Cisjordanie, est mariée depuis 15 ans à un Jérusalémite. Elle vient seulement de découvrir, auprès d’une amie, les nouvelles réglementations pour l’assurance maladie, dit-elle, elle n’a rien reçu de la poste.
« C’est une charge financière bien sûr », dit cette mère de quatre enfants. « Je ne sais pas comment les gens vont pouvoir payer. Nous payons, même en plusieurs versements. Mais nous n’avons pas le choix ».
Elle n’a vraiment pas le choix. Dawkar dit que non seulement il est devenu obligatoire pour tous les Palestiniens ayant une autorisation de résidence de se faire inscrire auprès d’une société d’assurance maladie, mais ils se retrouveront inscrits, qu’ils l’aient fait eux-mêmes ou non.
Si les gens laissent passer la date limite des 60 jours pour leur paiement, les sociétés médicales israéliennes enregistreront leur nom à leur insu. Quand finalement, celui ou celle qui est « client » sans le savoir le découvre, ses dettes se sont déjà accumulées.
« Le pire, c’est que si vous avez finalement les moyens de payer les premiers 7695 NIS un mois ou deux après la date limite, il vous faudra alors payer les intérêts pour le retard, et aussi, attendre deux mois supplémentaires pour avoir droit à de réels services médicaux », dit Dakwar.
« Ils vous maintiennent dans une spirale de dettes, sans les services, et c’est une situation énormément difficile pour beaucoup ».
Des rappels de cotisations
Le deuxième piège est que la loi diffère pour les Palestiniens ayant une carte d’identité de Cisjordanie selon qu’ils sont mariés à des résidents permanents de Jérusalem, comme Rana, ou que leur conjoint est citoyen israélien. Plus particulièrement, ces derniers n’ont à payer qu’un rappel de redevance de 450 dollars (420 €).
« Israël a quelque chose qu’il appelle « procédure douce » pour ceux qui souhaitent obtenir l’autorisation de résidence israélienne, à Jérusalem ou en Israël. Pour ceux qui sont mariés à un résident de Jérusalem, cette période est de 27 mois à partir du moment où la demande de regroupement familial est acceptée par le ministère de l’Intérieur israélien ; ces demandeurs reçoivent alors ce qui est appelé un permis B1. Pour les personnes mariées à un citoyen israélien, le temps d’attente est seulement de six mois » explique Dakwar.
C’est ce qui explique la divergence entre les conjoints des résidents permanents de Jérusalem dont le rappel de cotisation est évalué à 285 NIS (70 €) multiplié par 27, et les citoyens israéliens qui ne doivent payer que l’équivalent de six mois d’assurance.
En 2003 cependant, le parlement israélien a adopté une ordonnance temporaire, constamment renouvelée, qui gèle tout droit au regroupement pour les Palestiniens, leur rendant impossible l’obtention d’une carte d’identité de Jérusalem ou de la citoyenneté israélienne. Ainsi, les 27 mois sont hors propos en termes d’obtention d’une autorisation de résidence permanente.
La Société de St Yves a déposé un recours contre cette disposition de la loi que ses avocats qualifient de discriminatoire, devant la Haute Cour israélienne.
La loi n’est pas seulement partiale à l’encontre des résidents permanents de Jérusalem, dit Dakwar, elle est aussi injuste, étant donné qu’aucun service médical n’a été reçu durant cette période. « Tout compte fait, vous payez rétroactivement pour 27 mois d’une assurance maladie que vous n’avez jamais reçue » dit Dakwar.
L’avocat Mohammad Abbassi, du Centre d’aide juridique et des droits de l’homme de Jérusalem, affirme qu’il existe un autre problème avec cette nouvelle loi.
« La plupart des résidents permanents ont déjà signé en privé avec une société d’assurance maladie, et déjà payé une cotisation mensuelle » explique-t-il. « La nouvelle loi ne prend pas en considération les montants ainsi acquittés au cours des mois ou des années où ils étaient membres. En réalité, beaucoup de gens payent le double pendant un certain temps ».
Ceci est vrai pour Rana, qui a été cliente des services de santé israéliens Meuhedet pendant trois ans, et qui a payé des cotisations mensuelles pour toute cette période. De plus, elle détient en décembre une carte d’identité de Jérusalem temporaire du fait que sa demande de regroupement familial a été accordée avant 2002, une disposition récemment introduite par le ministère de l’Intérieur israélien.
Elle a pourtant payé les 2000 dollars (1864 €), disant qu’elle ne voulait pas risquer son statut de Jérusalem, notamment donner l’occasion à Israël d’annuler totalement sa procédure de regroupement familial.
Autoriser seulement le bon type de Palestinien
Même si Dakwar et Abbassi affirment que les nouvelles réglementations pour l’assurance maladie n’ont rien à voir avec le processus de regroupement familial, les craintes de Rana ne sont pas infondées. Israël a retiré à moult reprises l’autorisation de regroupement familial à des Palestiniens de Jérusalem pour une foule de raisons, comme avoir un membre de la famille impliqué dans des attaques contre des Israéliens.
Et certaines sociétés semblent se saisir de ces craintes. Dakwar indique que des prospectus anonymes ont été distribués dans Jérusalem-Est, avertissant les gens que leur processus de regroupement familial serait interrompu s’ils ne payaient pas immédiatement.
« Il n’y avait aucun nom au bas des prospectus, mais nous savons tous qui c’était » dit-il, se référant aux sociétés d’assurance maladie israéliennes. « C’était de la pure intimidation ».
Lui et Abbassi pensent que le motif derrière la loi est purement monétaire.
« Elles veulent faire de l’argent, et en la rendant obligatoire, elles le font couler à flot » souligne Dakwar.
« L’idée (de l’assurance maladie pour les résidents) est bonne d’une manière générale », dit-il. « C’est sa mise en œuvre qui ne l’est pas ».
Si finalement Rana a bien obtenu une carte d’identité temporaire pour Jérusalem – valable pour deux ans avant qu’un nouvel examen soit effectué pour décider s’il peut lui être accordé une autorisation de résidence permanente -, les 2000 dollars qu’elle a payés ne lui seront pas rendus. Ce qui fait l’objet d’une autre réclamation que, indique Dakwar, St Yves a soulevé devant le ministre de la Santé israélien.
Mais Rana soutient qu’il y a dans la loi plus que d’essayer simplement de gagner plus d’argent.
« Israël veut d’un certain type de Palestinien à Jérusalem et c’est un moyen pour arriver à cet objectif. Les Israéliens veulent de ceux qui ont les moyens d’alimenter financièrement l’occupation, et ils veulent qu’ils restent ensuite aussi effacés que possible pour qu’ils ne sabotent pas leur statut dans la ville ».
Rana a choisi de ne pas utiliser son nom de famille en raison de son futur entretien au ministère de l’Intérieur israélien. Ses sentiments en reflètent des milliers d’autres qui font profil bas dans la ville, simplement pour ne pas être chassés de leurs maisons.
Le plan d’Israël, cependant, n’est pas non plus infaillible. Les gens vont payer de lourdes cotisations d’assurance maladie, ils payeront leurs impôts Arnona et des loyers élevés, et ils supporteront les sévères mesures israéliennes particulières au secteur oriental de la ville.
Ils le feront aussi pour prouver autre chose : que Jérusalem est leur foyer, et qu’ils ne partiront pas.
Joharah Baker est une auteure indépendante qui a travaillé avec des médias palestiniens, régionaux et internationaux. Elle est également traductrice pour un certain nombre d’organisations palestiniennes.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: Electronic Intifada