Faire l’expérience cruelle de l’industrie d’armement israélienne

 

Matt Kennard – Electronic Intifada – Ramallah -27/12/ 2016

Des manifestants palestiniens dans un nuage de gaz lacrymogène lancé par les forces israéliennes lors de confrontations dans la ville cisjordanienne de Bethlehem en octobre 2015. Anne Paq ActiveStills.

À l’arrière du principal hôpital de Ramallah se trouve la maison de Iyad Haddad, un enquêteur sur les droits humains de 52 ans. Le bureau qu’il a chez lui est en façade d’un immeuble décrépi et semble, à première vue, un bric-à-brac. Mais les objets placés sur les tables ne sont pas des bibelots d’intérieur. Ces tables sont en fait pleines de munitions utilisées, de grenades lacrymogènes, de balles-éponge et de douilles.

Haddad a passé les trois dernières décennies à documenter la violence des forces israéliennes qui occupent la terre de son peuple. Ces horribles petits objets souvenir constituent son testament à ce processus.

Nombre de ces armes ont été utilisées contre des manifestants pacifiques qui protestaient contre le mur d’Israël et contre les colonies de la Cisjordanie occupée. Les villages de Nilin, Bilin et Nabi Saleh organisent des manifestations régulières depuis des années. À ma grande surprise, Haddad n’approuve pas ces manifestations.

« Parfois, il se servent de nous pour savoir comment utiliser chaque type d’arme » dit-il. « Pour moi, ce genre d’action de la part des Palestiniens devient utile aux Israéliens parce qu’il fait de cette région un laboratoire pour le test de leurs armes, pour leur développement et pour les commercialiser et les vendre à d’autres pays ».

L’idée que l’industrie israélienne d’armement tire avantage de l’occupation en disposant d’une population captive sur laquelle les nouvelles armes peuvent être testées est désormais largement acceptée.

Israël expérimente des armes en Cisjordanie et à Gaza puis les présente comme « éprouvées au combat » sur le marché international.

La grenade lacrymogène ultra-rapide a été lourdement testée à Bilin. En 2009, cette arme a tué Bassem Abu Rahmah, un militant local non armé qui manifestait contre le mur qui pénétrait dans le village. A la fin de 2011, un autre manifestant, Moustafa Tamimi a été tué à Nabi Saleh par une grenade lacrymogène qui l’a frappé à la tête.

On sent une lassitude dans la voix de Haddad. « J’ai vu comment ils développent leur outillage et leur industrie d’armement et leur comportement avec notre communauté » dit-il. « Et en 30 ans, je n’ai jamais entendu qu’un quelconque soldat ait été tenu pour responsable ».

Mais il continue. Il doit continuer.

 “Testé et re testé”

« Le laboratoire des territoires occupés est le lieu où ces choses peuvent être ajustées, testées et re testées » a dit Neve Gordon, un professeur de sciences politiques de l’Université Ben Gourion du Negev. « Ils peuvent dire : ‘eh, cela a été utilisé par l’armée israélienne, ce doit être bon’. Et cela aide la commercialisation de ces produits.»

Plus tard, je me suis assis, à Ramallah, avec Abdallah Abu Rahmah,  le coordinateur  du Comité Populaire de Lutte de Bilin contre le mur et les colonies. Tous les vendredis, depuis dix ans, lui et ses voisins vont au mur en protestation.

Ces actions leur ont valu des attaques de nuit de l’armée israélienne. Abou Rahmah a lui-même été arrêté et emprisonné en Israël à de multiples reprises.

« Nombre de rapports font état de situations dans lesquelles ils (les Israéliens) ont mentionné leur utilisation à Bilin, dans leurs démarches pour vendre des équipements militaires à des acheteurs dit Abou Rahmah. « Des choses comme les eaux sales, c’est dans notre village qu’ils en ont fait usage pour la première fois ».

Ces eaux sales sont un liquide à l’odeur putride dont les manifestants sont aspergés pour qu’ils se dispersent. Bilin est célèbre, c’est pour cela qu’ils viennent parfois lors de nos actions, ils font des vidéos et des photos qui montrent l’efficacité de leurs armes pour faire cesser l’action » a dit Abou Rahmah.

Un jeune Palestinien lance des pierres vers un camion citerne équipé d’un canon à eau sale lors d’une confrontation près de la colonie de Beit El située à côté de la ville cisjordanienne de Ramallah, en octobre 2015. Oren Ziv ActiveStills

Jeff Halper, auteur de Une guerre contre le peuple, un livre sur l’industrie israélienne d’armement et de technologie de la surveillance, a dit « Israël a maintenu l’occupation parce que c’est un laboratoire pour les armes ».

« Bon, il y a toujours eu de la tension » a ajouté Halper qui est aussi un des fondateurs, en Israël, du Comité Contre les Démolitions de Maisons. «  Parce que la droite considère la Cisjordanie comme la Judée et Samarie et Gaza comme Goush Katif et bien sûr Jérusalem Est. Ainsi, ils veulent tout cela en tant que terre d’Israël. Mais il y a aussi une autre partie, en particulier ce que j’appelle les acteurs militaires et économiques, qui disent : ‘eh, c’est un laboratoire, c’est vraiment une ressource pour nous et nous ne devrions vraiment pas le rendre’ ».

Eitay Mack, un avocat de Jérusalem, défenseur des droits humains et militant évoque le fait qu’Israël utilise les Palestiniens comme terrain de test également pour des fabricants d’armes étrangers.

Le test de balles américaines

« À Jérusalem Est, les Américains donnent aux Israéliens des balles-éponge » dit Mack. « Ils ont d’abord commencé avec une balle-éponge bleue mais ils ont ensuite décidé, selon leurs propres termes – que parce que les vêtements des Palestiniens ont plusieurs épaisseurs, ce n’était pas très efficace ; ils ont alors changé pour une balle-éponge noire (plus puissante), qui a causé de graves blessures : des dizaines de Palestiniens ont perdu leurs yeux et d’autres organes ».

Les balles-éponge noires sont fabriquées par Combined Tactical Systems, une société de Pennsylvanie qui fournit aussi Israël en gaz lacrymogène.

Le dépliant de la société présentant ces balles contient un « avertissement » qui précise : « viser la tête, le cou, le thorax, le cœur ou la colonne vertébrale peut entraîner des blessures mortelles ou graves ».

Les troupes israéliennes ont commencé à utiliser ces balles noires en 2014.

L’industrie de l’armement israélienne est dominée par quatre sociétés : Israel Aerospace Industries, Elbit, Rafael et Israel Military Industries.

Plus de 75% de toutes les armes exportées par Israël le sont par les trois premières. En 2015, la valeur totale des exportations d’armes par Israël se monte à près de 5,5 milliards d’euros.

L’attaque sur Gaza en 2014 a permis à Israël de faire la démonstration de quelques unes de ses dernières productions d’armes. Il a par exemple été rapporté que le Hermès-900, un des drones de Elbit, a commencé à être opérationnel dans cet assaut.

Israël consacre plus de 5% de son PIB au budget militaire. Cela veut dire qu’Israël dépense une proportion de son revenu national dans le domaine militaire même plus forte que celle des USA, la seule superpuissance du monde.

La guerre vend des armes”

Quelques vétérans de l’armée israélienne ont fait carrière comme experts dans l’industrie de l’armement.

Shlomo Brom est l’un d’eux. C’est un général de brigade à la retraite qui travaille maintenant à l’Institut d’Études pour la Sécurité Nationale de Tel Aviv.

J’ai demandé à Brom s’il était vrai que les sociétés d’armement israéliennes se servent du fait que leurs produits ont été testés sur des Palestiniens pour remporter des contrats à l’international. « Bien sûr » a-t-il répondu. « Pourquoi pas ? Les commerciaux s’efforcent d’utiliser tous les atouts et s’ils peuvent présenter comme atout que ce système a été testé concrètement et qu’il a marché, ils vont certes s’en servir dans leur démarche commerciale ».

Ouzi Roubin, un des fondateurs d’Arrow, un programme israélien de missiles anti balistiques, est maintenant chercheur au Centre d’Études Stratégiques Begin-Sadat de l’Université Bar Ilan près de Tel Aviv.

Il a pris la défense de la façon dont Israël a fait la promotion commerciale de son armement comme « éprouvée au combat ».

« C’est légitime parce que la guerre du Vietnam a vendu beaucoup d’armes » a-t-il dit. « La guerre vend des armes en général. Mais cela ne veut pas dire qu’Israël cherche la guerre pour vendre des armes ».

Barbara Opall-Rome a passé quelques décennies à couvrir Israël pour Defense News, un magazine commercial des fabricants d’armes. Elle défend l’idée qu’Israël devrait consacrer plus de ressources à ce qu’elle appelle « des technologies moins meurtrières ».

De son point de vue, l’industrie israélienne de l’armement devrait regarder au-delà des armes comme le gaz lacrymogène et l’eau sale déjà déployées en Cisjordanie.

« Je veux parler de l’utilisation du spectre électromagnétique ou de micro-ondes à haute puissance pour étourdir les gens » a-t-elle dit. « Celui qui est étourdi perd l’équilibre. Vous savez je préfèrerais que les gens aient juste mal à l’estomac et qu’ils soient simplement pris de diarrhée au beau milieu d’une manifestation ou qu’ils vomissent leurs tripes plutôt que d’être tués ».

Ses propos sont très révélateurs du sadisme des fabricants d’armes israéliens et de ceux qui font la promotion de leurs produits. Pour eux, les Palestiniens ne sont pas des êtres humains dignes de respect mais des sujets d’expérience les uns après les autres.

Matt Kennard est directeur du Centre de Journalisme d’Investigation de Londres. Il est l’auteur de Une armée irrégulière : comment l’armée américaine a recruté des néo-nazis, des membres de gangs et des criminels pour combattre le terrorisme (Verso, 2012) et de Le racket : Un reporter voyou face à l’élite américaine (Zed, 2016). Son voyage en Palestine a été partiellement financé par le Centre Pulitzer sur l’information de crise.

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Source : Electronic Intifada

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