Charlotte Silver- Electronic Intifada- 3 janvier 2017
Des soldats israéliens protègent des colons juifs lors d’une visite d’une semaine dans la Vieille Ville d’Hébron en Cisjordanie occupée le 4 juin 2016.
(Wesam Al Hashlamoun / APA images)
Alors que l’attention internationale revient sur les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, il faut regarder de plus près la façon dont les colonies réservées aux seuls Juifs affectent les Palestiniens.
Les colonies ne sont pas simplement illégales, comme le confirme la résolution récemment votée par le Conseil de Sécurité de l’ONU, mais elles sont dévastatrices pour ceux qu’elles excluent.
Les colonies ne se réduisent pas simplement à la création de logements pour un seul groupe ethno-religieux, elles comportent aussi une myriade de décisions politiques qui ghettoïsent les Palestiniens et les chassent hors de leurs maisons et de leur terre.
Depuis 2014, Badil, association qui milite pour les droits des réfugiés palestiniens, a publié une série d’études sur le transfert forcé de populations en Palestine.
La dernière publication de Badil se concentre sur Hébron au sud de la Cisjordanie.
Une poigne de fer
Avec plus de 200.000 résidents, Hébron est l’une des plus grandes villes de Cisjordanie.
La Vieille Ville d’Hébron a été construite autour de la mosquée d’Abraham qui est supposée héberger les tombeaux de plusieurs prophètes.
En février 1994, Baruch Goldstein, né aux Etats Unis, a pénétré dans la mosquée d’Abraham, vêtu de son uniforme militaire, et a abattu 29 Palestiniens, hommes et jeunes garçons, pendant les prières du Ramadan, en blessant au moins 100 autres.
Goldstein, membre de la Ligue de Défense Juive et du parti politique Kach du rabbin Meir Kahane, tous deux considérés comme des organisations terroristes par les Américains, a été encerclé et battu à mort par les Palestiniens survivants dans la mosquée.
La réponse d’Israël à ce massacre fut d’imposer un régime de lourdes restrictions aux Palestiniens de la Vieille Ville, zone d’un seul kilomètre carré qui fut autrefois le coeur commercial de la Cisjordanie.
Israël a d’abord interdit aux Palestiniens l’entrée de la mosquée, puis a converti plus de la moitié de ce bâtiment historique en synagogue.
Conformément aux accords d’Oslo, la Cisjordanie a alors été divisée en zones avec une gradation de contrôles palestiniens ou israéliens.
En tant qu’une des principales villes palestiniennes, Hébron aurait dû faire partie de la zone A et se retrouver sous contrôle administratif et « sécuritaire » de l’Autorité Palestinienne.
Mais – à cause du Protocole d’Hébron de 1997 – on a fait une exception. Ce document, signé par Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine, a divisé Hébron en deux zones.
Quatre-vingt pour cent de la ville, étiquetés H1, sont passés sous contrôle de l’AP ; les vingt pour cent restants, étiquetés H2, sont passés sous total contrôle israélien.
H2 héberge environ 40.000 Palestiniens et c’est là que quelques centaines de colons juifs ont installé quelques unes des plus importantes colonies. H2 comprend aussi la Vieille Ville.
Aujourd’hui, Israël exerce son contrôle sur les Palestiniens de H2 avec une poigne de fer. Lorsque les confrontations entre les Palestiniens et les forces israéliennes se sont intensifiées en octobre 2015, Israël est tombé sur les Palestiniens avec une force meurtrière et a rehaussé les restrictions de circulation.
Vingt-deux Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes dans la Vieille Ville ou près des colonies israéliennes environnantes entre octobre 2015 et mars 2016.
Entre novembre 2015 et mai 2016, Israël a bouclé la zone de Tel Rumeida à Hébron et a obligé ses résidents à se faire inscrire auprès de l’armée. L’accès fut contrôlé par un checkpoint militaire et réservé aux seuls résidents. Parents et amis des habitants de Tel Rumeida ont été interdits de visite s’ils vivaient en dehors du quartier.
Israël a strictement restreint l’utilisation de certaines rues de la ville, telle l’artère principale, rue al-Ibrahimi, aux seuls Juifs.
« La vie est anormale »
Badil reconnaît que le Comité de Réhabilitation d’Hébron et d’autres associations similaires accroissent la population de la Vieille Ville depuis qu’elle a atteint son nadir en 1996 avec simplement 400 résidents. Ce chiffre représentait une chute de 95 % depuis le début de l’occupation israélienne de la Cisjordanie en 1967.
Le Comité de Réhabilitation d’Hébron a fait croître la population de la Vieille Ville à son niveau actuel de 6.500 personnes en rénovant environ 1.000 logements et en fournissant une aide économique aux Palestiniens volontaires pour supporter cet environnement dangereux.
Mais Badil estime que – avec un taux de croissance annuel de 3,5 % entre 1967 et 2005 – la population palestinienne de la Vieille Ville d’Hébron aurait dû atteindre le chiffre de 25.000 en 2005.
Lundi, les forces israéliennes ont arrêté cinq employés du Comité de Réhabilitation d’Hébron alors qu’ils travaillaient sur une maison de la rue Shuhada, autrefois artère commerciale principale de la Vieille Ville d’Hébron qu’Israël a largement interdite aux Palestiniens.
Le directeur de l’association, Imad Hamdan, a dit que ces arrestations et d’autres antérieures « ont pour but d’entraver le travail du comité qui veut maintenir l’aspect culturel d’Hébron et la protéger des tentatives d’Israël pour la judaïser », a déclaré l’Agence d’information Ma’an.
Israël « infiltre tous les aspects de la vie quotidienne » et « crée un environnement coercitif » pour les Palestiniens, selon Badil. En agissant ainsi, Israël « provoque un transfert forcé, en violation directe de la législation humanitaire internationale et des droits de l’Homme », ajoute la dernière étude de l’association.
Le Protocole d’Hébron a créé un « régime de permis » qui a restreint l’accès à la Vieille Ville.
En décembre 2015, il y avait 95 obstacles physiques, dont 19 checkpoints avec un personnel permanent, dans la zone H2. Quelque 4.200 enfants palestiniens qui vont dans les 15 écoles d’Hébron sont obligés de passer par des checkpoints tous les jours.
En septembre 2015, une jeune Palestinienne de 18 ans a été abattue par des soldats israéliens à un checkpoint de la Vieille Ville, premier exemple d’une vague renouvelée d’assassinats, souvent dans des circonstances similaires, qu’Amnesty International a décrits comme de possibles exécutions extrajudiciaires.
Les soldats israéliens bénéficient de l’impunité dans ce genre d’assassinats, pour lesquels les enquêtes ne sont presque jamais indépendantes ni transparentes.
En décembre 2012 par exemple, une soldate israélienne a abattu Muhammad al-Salaymeh, le jour de ses 17 ans, à un checkpoint à quelques mètres de chez lui, près de la mosquée d’Abraham.
La responsable du tir, Nofar Mizrahi, n’a souffert d’aucune conséquence, même alors qu’elle a donné une version des événements contredite par la preuve de la vidéo.
« La vie ici est anormale », a dit à Badil, au début de cette année, un résident de Tel Rumeida, qu’on a appelé Imad. « Nous passons par le checkpoint tous les jours sans exception et nous rencontrons des difficultés chaque fois que nous voulons apporter quelque chose à la maison, y compris l’alimentation et des objets aussi élémentaires qu’une bonbonne de gaz. »
D’autres choses qui font que l’occupation rend la vie des Palestiniens « anormale » c’est qu’elle empêche les services d’urgence tels que les ambulances ou les camions de pompiers d’atteindre les maisons des Palestiniens.
Le Croissant Rouge palestinien estime que les bouclages accroissent le temps qu’il faut pour atteindre les patients dans la Vieille Ville de 7 à 17 minutes en moyenne. Si une équipe médicale doit passer par un checkpoint militaire, la durée moyenne est de 47 minutes.
Ces délais excessifs ont causé la mort de Palestiniens d’après Badil. Son rapport cite un résident de Tel Rumeida nommé Taysir qui a dit : « Nous avons perdu deux bébés alors que ma femme accouchait » à cause des restrictions israéliennes. A l’une de ces occasions, Israël avait retenu pendant une heure une ambulance qu’il avait appelée chez lui après que sa femme soit entrée en phase de travail.
Un autre résident de Tel Rumeida – qu’on appelle Abdul Majid – a dit à Badil que la maison de son voisin avait été victime d’un incendie en 2015 pendant que les pompiers attendaient l’autorisation des officiers israéliens pour se rendre sur les lieux.
« Notre maison a brûlé l’année dernière également quand un colon y a jeté une torche », a dit Abdul Majid. « Elles [les autorités israéliennes] ont refusé de laisser passer le camion des pompiers. »
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : Electronic Intifada