La tentative d’expulsion d’un membre arabe de la Knesset est un signe inquiétant de ce qui est à venir

 

Par Abed Abu Shehada – +972

Le député Basel Ghattas, sur la Liste unifiée, lors de la réunion hebdomadaire à la  Knesset, Jérusalem, le 8 février 2016. (Yonatan Sindel/Flash90)

 

Alors que depuis un an, le gouvernement incite l’opinion contre la société arabe et que les médias poussent vers l’agenda de la droite, la tentative pour expulser le député de la Liste unifiée, Basel Ghattas, semble augurer un avenir inquiétant.

Quand la Knesset a voté la « loi sur l’expulsion » l’été dernier, loi largement considérée comme ciblant les députés arabes, beaucoup ont pensé que cela était sans importance, car aucun vote pour l’expulsion d’un membre de la Knesset n’obtiendrait la majorité nécessaire des deux tiers (90 députés). Ils déclaraient aussi que c’était du rôle des médias que d’être objectifs et de couvrir les informations de façon correcte, afin de ne pas devenir un outil entre les mains du gouvernement contre son opposition.

Mais ces derniers jours, c’est exactement le contraire qui s’est produit : les médias ont mobilisé et ils ont créé un consensus total parmi les députés de gauche comme de droite, pour œuvrer à l’expulsion d’un député de la Knesset, Basel Ghattas, élu sur la Liste unifiée – accusé de passer en fraude des téléphones portables aux prisonniers palestiniens arrêtés pour des raisons de sécurité, dans les prisons israéliennes. Mercredi, la Commission de la Chambre de la Knesset a voté le retrait de l’immunité parlementaire de Ghattas. Montrant ainsi aux autres membres arabes de la Knesset ce qu’il leur arrivera s’ils ne marchent pas droit.

Les soupçons contre Ghattas, membre du parti Balad dans la Liste unifiée, sont d’abord apparus dimanche, quand la police et le service pénitentiaire d’Israël (SPI) ont annoncé qu’ils le soupçonnaient de passer des téléphones portables et des bandes de papier aux prisonniers politiques. Ynet a rapporté que Ghattas « faisait déjà l’objet d’une surveillance quand il est arrivé à la prison » parce que le service de  renseignements du SPI avait été averti qu’il avait l’intention de passer en fraude des téléphones aux prisonniers de sécurité. Le lendemain, il était allégué que Ghattas était déjà dans la clandestinité et que des soupçons lourds se portaient sur des liens de sa famille avec l’ancien député Azmi Bishara, qui a fui Israël après avoir été accusé d’espionnage et de transmettre des informations au Hezbollah au Liban.

Article après article, les journalistes oublient de noter qu’ils n’ont reçu que de fausses informations, comme celle d’un Ghattas prenant la fuite plutôt que de se présenter à son interrogatoire comme cela lui avait été ordonné. Ou bien, ils suggèrent qu’ils ont déjà compris ce qu’il se passait à l’intérieur du parti, même si le parti lui-même l’ignore encore.

Le plus bizarre de tout cela, c’est que personne ne se préoccupe que Ghattas n’a jamais avoué. Channel 2, s’en tenant aux informations reçues de la police, n’a jamais pris la peine de clarifier la position même du député. Déclarant n’avoir jamais manqué à la sécurité de l’État, Ghattas a déclaré : « Mes visites aux prisonniers n’ont d’autres fins qu’humanitaires et morales… Les prisonniers endurent des conditions difficiles et il est de mon rôle de parlementaire et de mon rôle public de m’occuper de cela. Je n’ai rien à cacher ».

Un panneau d’affichage du Balad, à Nazareth, janvier 2013. (GS)

Ce qui est vraiment inquiétant, c’est la vitesse à laquelle tout cela s’est développé. Dans les deux jours qui suivaient l’apparition des soupçons, une proposition du ministre de la Sécurité intérieure, Gilad Erdan, pour interdire aux responsables élus de visiter les prisonniers de sécurité – et visant les députés arabes – était déjà approuvée par une Commission de la Knesset. L’absurdité dans tout cela c’est que personne n’a jamais contrôlé la réalité des faits, et au moment où le gouvernement de droite en finissait avec son expulsion de Ghattas, créant un précédent, le résultat de l’enquête diligentée contre lui n’était pas plus pertinent.

Pour ceux qui ont la mémoire courte, il y a seulement un mois que la droite israélienne – conduite par le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, et le ministre de l’Éducation, Naftali Bennet, accompagnés des médias – incitait contre la société arabe en l’accusant d’avoir organisé une campagne d’incendies criminels. Il est aujourd’hui clair que la plus grande partie des accusations étaient fausses. C’est aussi ce qui est susceptible d’arriver dans le cas de Ghattas : les médias mobilisent et poussent l’opinion ; le public israélien, qui ne cherche pas non plus à contrôler les faits, met la pression sur les députés ; et la décision sera prise de commencer à exclure les députés arabes de la Knesset.

Derrière la vague d’incitations, ce que veut la droite en fait, c’est créer une nouvelle réalité politique – dans laquelle le discours ne fera aucune mention de l’occupation. Le débat autour de Ghattas a démontré cette réalité : dans tout ce qui a été dit à propos de cette affaire ces derniers jours, pas un mot n’a été prononcé sur les prisonniers politiques qui ont été emprisonnés pour avoir voulu vivre dans la dignité. Tout le débat médiatique a été conduit par ceux qui nous prônent la moralité – ceux qui, à l’aide d’une force militaire violente, règnent depuis près de cinquante ans sur des millions de personnes, dont certaines sont assiégées depuis dix ans, sans aucun droit fondamental.

Le discours que la droite tente d’imposer, aidée en cela par des médias le vent en poupe et le silence de la gauche, rompt les liens avec notre propre peuple. C’est la raison pour laquelle le Balad et ses membres élus à la Knesset apparaissent dans les gros titres – parce que nous considérons, à tout instant, que nous faisons partie du peuple palestinien, que l’occupation, c’est l’occupation de notre terre, et que les prisonniers sont nos frères et nos fils.

Au cours des douze derniers mois ou plus, le Mouvement islamique a été interdit ; des dizaines de dirigeants et militants du Balad ont été arrêtés sur de fausses accusations portant sur un comportement financier ; et les projets de loi déposés, tel celui visant à interdire l’appel musulman à la prière, ont été présentés à l’opinion et au gouvernement comme des lois normales. Tout au long, les médias ont aveuglément suivi la droite, maintes et maintes fois. Après tout cela, l’expulsion des membres arabes de la Knesset n’est que la partie visible de ce qui nous attend.

Abed Abu Shehada est un militant du parti Balad, et étudiant au Collège universitaire de Tel Aviv-Yaffo. Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Haokets.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source :  +972

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