Jihad Abu Raya – Middle East Eye – 24 décembre 2016
Le membre arabe-israélien de la Knesset, Basel Ghattas (Photo : Yonatan Sindel/Flash90 )
Depuis la Nakba, Israël regrette l’ « erreur » de David Ben-Gourion de n’avoir pas expulsé tous les Palestiniens de leurs terres.
La détention et le harcèlement des Palestiniens et de leurs dirigeants dans la Palestine de 1948, y compris du membre de la Knesset Basel Ghattas, s’intègrent dans une stratégie qu’Israël poursuit depuis la Nakba contre ses citoyens arabes. Cette stratégie vise à domestiquer et à vaincre les Palestiniens, et à punir quiconque est tenté de défier l’État juif.
Bien des Israéliens pensent que David Ben-Gourion a commis une erreur historique en ne mettant pas en œuvre le « Plan D », lequel aurait impliqué l’expulsion de tous les Palestiniens de leurs foyers. Au lieu de cela, 85 % d’entre eux furent bannis, laissant 150 000 Palestiniens dans le pays.
Israël traita ces Palestiniens comme des ennemis, ou comme des bombes à retardement, alors qu’ils avaient reçu la nationalité israélienne. En 2009, l’historien israélien Benny Morris a accusé Ben-Gourion de ne pas avoir rempli sa mission de nettoyer le pays des Palestiniens. Morris affirme que cela fut un gros danger pour l’avenir d’Israël. Certains dirigeants israéliens continuent, encore aujourd’hui, de demander que l’ « erreur » de Ben-Gourion soit corrigée.
Les Palestiniens restés dans le pays vécurent dans un état de peur extrême. Un tiers d’entre eux furent forcés de quitter les villes où ils vivaient depuis toujours et de s’installer dans des villes voisines. On commença à les appeler l’ « éléphant dans le salon » et ils finirent comme « orphelins assis autour de la table d’un avare », sans dirigeants pour les guider.
Ils se sentirent sans pouvoir et sans aide, menacés de bannissement, de déplacement, de vol et d’usurpation, horrifiés par les récits de viols et de massacres dans les villes voisines, récits que les bandes sionistes tenaient à faire connaître afin d’intimider et chasser les Palestiniens.
Des familles furent divisées. Certains membres furent forcés de partir à l’étranger, tandis que d’autres restèrent à l’intérieur du pays. Des mères furent séparées de leurs fils et de leurs filles, et des dizaines de milliers d’hommes furent entassés dans des camps de détention ; leur seule préoccupation étant de gagner leur vie.
Après la fin des combats, Israël se jeta sur les Palestiniens restés dans le pays comme un loup se jette sur sa proie, aggravant l’état de peur dans lequel ils vivaient et la crise psychologique précipitée par la Nakba. Il les traita comme s’ils étaient des ennemis sur lesquels il lui fallait prendre sa revanche. Ainsi s’instaura une domination militaire, qui dura jusqu’en 1966.
C’est ainsi que leur mobilité fut réduite et qu’ils furent dépouillés de leur liberté. Il leur fut interdit de communiquer entre eux. Leurs villes furent transformées en ghettos. Ils ne pouvaient plus ni sortir ni entrer dans ces villes sans une autorisation de l’armée. Une vaste campagne fut alors lancée pour confisquer ce qui leur restait de terres, qui constituaient leur principale source de subsistance.
L’objectif d’Israël était de développer une nouvelle personnalité arabe, la personnalité d’un l’Arabe vaincu, sans pouvoir et sans aide, un Arabe ne croyant pas dans la capacité d’un Arabe de changer et prêt à considérer les juifs comme les maîtres de la terre.
Petit à petit, les blessures des Palestiniens de 1948 se mirent à guérir, et ils commencèrent à exiger leurs droits. Israël fut disposé à les écouter tant que ces demandes concernèrent leurs droits individuels, comme le droit de se déplacer et de travailler librement. Mais quand il fut question des droits collectifs nationaux, alors sa réaction devint violente.
Israël se servit de la détention et des déclarations d’illégalités comme d’une arme. C’est ce qu’il advint au Mouvement de la Terre, créé en 1959 et qui exigeait les droits nationaux pour les Palestiniens. À la veille de la guerre de 1967, Israël déclara le mouvement illégal, exila et bannit certains de ses dirigeants.
L’occupation du reste de la Palestine en 1967 eut un impact positif sur les Palestiniens de 1948. C’était la première fois depuis la Nakba qu’ils pouvaient communiquer avec une autre partie de leur peuple. Ils réalisèrent qu’ils n’étaient pas seuls dans la bataille, et que leur identité palestinienne commençait à émerger. Leurs voix se firent plus fortes, exigeant le rapatriement de ceux qui avaient été forcés de quitter leurs villages, et l’annulation des ordonnances de confiscation de leurs terres.
Ce mouvement atteignit son apogée avec la grève générale du 30 mars 1976, jour devenu depuis la Journée de la Terre. L’objectif de la grève était d’exiger l’abrogation des ordonnances des autorités israéliennes de confisquer les terres arabes. Israël essaya une variété de moyens pour entraver la grève générale et l’a traita comme une rébellion et une désobéissance civile. Quand toutes ses tentatives eurent échoué, il envoya l’armée dans les villes arabes, qui tua de sang-froid six Palestiniens de 1948 et en blessa des centaines d’autres.
Dans les années 1990, les Palestiniens de 1948 développèrent un nouveau discours, discours qui contestait les prétentions des Israéliens à la démocratie et à l’humanité, dont ils se vantaient auprès du monde. Les Palestiniens limitèrent leur discours à ce qui était permis par la loi israélienne, mais dans le même temps, ils révélaient l’absence de fondement de l’argument selon lequel Israël était « un État pour tous ses citoyens ».
Le discours progressiste et libéral adopté par les Palestiniens perturba Israël et l’embarrassa, car Israël est un État qui croit vraiment exister exclusivement pour les juifs. Le discours palestinien mit en lumière la faiblesse de la démocratie d’Israël, et l’insignifiance de sa prétention à être une démocratie libérale.
Alors que les Palestiniens de 1948 menaient leur lutte à l’intérieur des limites légales fixées par Israël, ils continuèrent d’être harcelés et mis en détention. Dans une lettre envoyée en 2007, Yuval Diskin, le responsable des Renseignements israéliens, admettait que les agences de sécurité poursuivaient les militants palestiniens même quand leur activité était légale et dans les limites de ce que la démocratie israélienne permettait.
Il affirme que cela se produisait à chaque fois que ces activités sapaient la judaïté de l’État d’Israël. Il y reconnaît aussi que l’agence de renseignement et la police, dans de nombreux cas, arrêtèrent et mirent en détention des Palestiniens – des citoyens de l’État d’Israël – comme un avertissement et une dissuasion, alors qu’ils n’avaient rien fait d’illégal.
Ces dernières années, Israël a arrêté et détenu un grand nombre de dirigeants palestiniens de 1948, tentant ainsi de « brûler la conscience », de domestiquer le discours palestinien et de se venger des dirigeants palestiniens qui avaient réussi à le perturber, à l’embarrasser et à entraver ses plans. La liste des détenues se complète alors par le Sheikh Raed Salah, actif dans la préservation des lieux saints islamiques et chrétiens, et en particulier la mosquée Al-Aqsa, ce qui agaçait le gouvernement israélien.
Parmi les détenus, il y eut aussi le membre de la Knesset, Said Nafa, arrêté à cause de ses activités parmi les Druzes du pays, avec l’objectif d’établir des liens entre eux et les Druzes des pays arabes voisins. Le gouvernement israélien s’alarma de ses activités et craignit de le voir inciter les Druzes contre l’État d’Israël.
C’est là toute l’histoire qui se cache derrière la détention du membre de la Knesset, Basel Ghattas. Une tentative de le punir pour ses activités nationales de grande envergure au cours de ces dernières années, spécialement celles qu’il menait au niveau international.
Ses activités ont inclus sa participation à la Troisième Flottille de la Liberté qui voulait briser le siège imposé à Gaza, et sa participation à la Semaine contre l’Apartheid israélien qui était organisée au Canada, en plus de ses communications avec les institutions internationales.
Pour Israël, s’engager dans de telles activités au niveau international revient à franchir une ligne rouge. Ce sont des activités légales. Mais comme d’habitude, Israël cherche un poids légal pour mettre en détention, punir et bannir les militants comme Basel Ghattas.
Jihad Abu Raya est un avocat et un militant palestinien, basé dans le nord d’Israël. Il est un fondateur du Mouvement Falastenyat.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source : Middle East Eye