Les Palestiniens sceptiques à propos des tractations de réconciliation de Moscou

Une véritable unité exige un engagement sérieux dans la restructuration et la réinvention du système politique palestinien.

Par Alaa Tartir
Alaa Tartir est le directeur de programme d’Al-Shabaka, Réseau Politique Palestinien.


L’annonce de l’intention de former un gouvernement palestinien d’unité nationale fut un des résultats des réunions intensives tenues le mois dernier dans plusieurs villes. [Al Jazeera]

Les nouvelles qui arrivent de Moscou à propos du gouvernement palestinien d’unité nationale posent question au peuple palestinien. D’une part, une décennie d’échecs dans l’aboutissement d’accords de réconciliation entre les deux principales factions palestiniennes, le Fatah et le Hamas, témoigne comme d’habitude de la permanence de cette question (de rivalité).

Depuis longtemps, et le Fatah et le Hamas ont montré de maintes façons qu’ils n’avaient ni la volonté ni l’envie de trouver un accord sincère pour combler le fossé qui sépare les Palestiniens, tandis que le statu quo actuel leur convient, surtout en l’absence de quelque forme que ce soit de responsabilité populaire locale.

D’autre part, les récents développements locaux, régionaux et mondiaux accentuent la pression sur la direction palestinienne afin qu’elle réponde d’avantage aux aspirations de la population et qu’elle assume mieux sa responsabilité dans les torts qu’elle inflige à la lutte des Palestiniens pour la justice et l’autodétermination.

Localement, la vague récente de manifestations populaires à Gaza contre les coupures d’électricité ont choqué le Hamas, le gouvernement qui gère de facto la Bande. Ces manifestations ont témoigné d’une situation fragile qui pourrait exploser n’importe quand et menacer le pouvoir du Hamas.

Cependant en Cisjordanie, le Fatah et l’Autorité Palestinienne font face à trois fronts de pression : l’intention du président américain Donald Trump d’installer l’ambassade américaine à Jérusalem, la popularité croissante chez les leaders israéliens de la stratégie d’annexion, ainsi que les tentatives désespérées de la direction de l’AP pour persévérer dans la voie des négociations avec Israël à la suite de la conférence de Paris pour la paix ce mois-ci.

Les élections de 2009 ont été annulées à cause du conflit Hamas-Fatah et les élections prévues pour 2014 ont été indéfiniment repoussées. (etc…)

Par conséquent, malgré la crise de légitimité qui caractérise le régime politique palestinien et alors qu’une nouvelle réalité régionale et mondiale se déploie, les dirigeants politiques palestiniens se sentent obligés de susciter de nouvelles réalités ou, au moins, de s’engager plus sérieusement dans un processus de changement positif pour affronter les défis à venir et les opportunités politiques.

Ils se sentent contraints à témoigner d’une certaine réactivité aux changements dans la région et au nouvel ordre mondial, surtout du moment où il est évident que la réconciliation entre Palestiniens est une affaire régionale.

La ré-émergence de la Russie en tant qu’acteur clé dans le champ politique intra-palestinien est un indice de ce nouvel ordre mondial.

La déclaration de Moscou sur la formation d’un gouvernement d’unité nationale a été l’aboutissement de réunions intensives le mois dernier à Doha, Montreux en Suisse, le Caire, au Liban et finalement à Moscou.

Cette série de réunions a contribué à l’émergence du « moment de maturité » à Moscou. Tandis que Moscou récoltait le fruit, ailleurs on plantait des graines, y compris en Palestine occupée.

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Les réunions, surtout la réunion informelle menée par la société civile à Montreux, ont témoigné d’un consensus parmi les directions des factions politiques palestiniennes, Hamas compris, sur la formation d’un gouvernement palestinien d’unité nationale.

Il est envisagé que ce gouvernement serait de nature politique et non pas technocratique et qu’il aurait la responsabilité d’atteindre trois buts principaux : unifier les institutions du secteur public entre Gaza et Ramallah, traiter des questions urgentes concernant le secteur de la sécurité palestinienne -l’électricité et la reconstruction de Gaza-, et prévoir un Conseil National Palestinien, un Conseil Législatif Palestinien, des élections locales et présidentielles.

Cependant, ce gouvernement, quand il sera et s’il est constitué, devra surmonter à court terme un double obstacle : réussir l’examen du président Mahmoud Abbas, et affronter la pression de la communauté internationale et des Israéliens.

Savoir si Abbas donnera son feu vert à la mise en place des dispositions prises à Moscou ou s’il continuera à dire avec insistance que ce gouvernement d’unité est le « gouvernement du président » obligé d’accomplir son programme et sa vision politiques, ce n’est pas clair.

Mais Abbas subit une forte pression pour composer et faire face à la réalité de l’ère Trump avec un front palestinien renforcé.

En plus, Azzam al-Ahmad, qui conduit la délégation du Fatah dans les conversations de réconciliation avec le Hamas, a signalé plusieurs fois le mois dernier – et très récemment à Moscou – que le Fatah mettait fin à toutes ses relations avec le Quartet sur le Moyen Orient en tant qu’organe politique, bien qu’il n’ait pas mentionné la conditionnalité du Quartet en tant que telle.

Cela signifie que ce changement découle du rôle problématique du Quartet et de son impact destructeur sur le comblement du fossé qui sépare les Palestiniens.

Le Hamas, de son côté, a annoncé dans la réunion de Montreux qu’il mettait une touche finale à sa nouvelle charte qui est passée par toutes ses structures internes. Ce changement fait ressortir les transformations, largement dues aux dynamiques régionales, par lesquelles le Hamas est passé ces dix dernières années, ce que la communauté internationale serait sage d’utiliser.

 

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En dépit des nouvelles et des développements apparemment positifs, les Palestiniens ne devraient pas s’imaginer qu’ils peuvent parvenir à une véritable unité palestinienne à court terme, ni que la division entre Palestiniens sera réduite rapidement.

Loin de là, surtout alors que les mécanismes de responsabilité font défaut et que leur mise en place sera sujette à des risques et des obstacles semblables à ceux qui ont causé les échecs de ces dix dernières années.

Assurer une véritable unité exige un engagement sérieux dans la restructuration et la réinvention du système politique, des structures et des institutions palestiniennes.

Cela suppose aussi un accord sur un programme politique, des outils et des objectifs qui soient de nature participative et démocratique.

A moins de disposer de mécanismes de responsabilité, le peuple palestinien – spécialement à cause de sa continuelle marginalisation dans son régime politique – a bien des excuses pour rester sceptique concernant le déjà vu de la réconciliation.

Le chemin qui conduit à l’unité palestinienne est clair, mais il exige une volonté politique forte et des sacrifices. La série de réunions du mois dernier a fourni une opportunité précieuse aux dirigeants politiques palestiniens pour qu’ils puissent construire une nouvelle réalité.

La question demeure : Vont-ils vraiment cette fois-ci se saisir de cette chance ?

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Al Jazeera

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