Des décombres de la guerre, une artiste néerlandaise crée de la beauté

Hamza Abou Eltarabesh – 27 janvier 2017

Marianne Teeuwen a utilisé des matériaux récupérés pour son installation ”Maison Détruite à Gaza.” (Abed Zaghout)

Juma Shaath prit une profonde respiration.
L’homme de 56 ans, ancien négociant en produits de l’agriculture, aujourd’hui sans  emploi, regardait la transformation des ruines de sa maison de Khan Younis au sud de la bande de Gaza occupée. C’est la troisième forme qu’elle prend en moins de trois ans : d’une maison à un site bombardé, puis à une installation artistique.

Cette idée inhabituelle est une invention de l’artiste néerlandaise Marianne Teeuwen qui travaille depuis des années sur l’idée que des bâtiments peuvent devenir des sculptures : elle ajoute un sentiment de temporalité en travaillant sur des bâtiments voués à la démolition.

Sept installations de ce type ont été créées : cinq dans sa Hollande natale, une en Afrique du Sud et une en Russie. Mais Gaza fut un nouveau départ pour elle, à plus d’un égard : ici, le bâtiment était déjà détruit.

La maison de Shaath – dans sa dernière configuration « Maison détruite à Gaza » – a été l’objet d’un bombardement aérien lors de l’assaut israélien de 2014 sur Gaza. Des avions de chasse israéliens ont pratiquement soulevé la maison de deux étages et pas le moindre début de reconstruction n’a eu lieu depuis.

« Je vis toujours avec ma famille dans une maison que je loue » dit Shaath. « Nous attendons toujours le démarrage de la reconstruction, mais on dirait que cela ne se fera jamais, vu tous les obstacles financiers, politiques et autres ».

Shaath dit qu’il espérait que les responsables à Gaza hâteraient la reconstruction, mais avec peu d’espoir que l’argent nécessaire serait disponible de si tôt. «  Nous nous noyons dans nos illusions sur la reconstruction ».

Pendant de ce temps, l’installation de Teeuwen a apporté quelque espoir à ce père de cinq enfants – dont l’un a été tué lors de l’attaque de la maison par les Israéliens.

« C’est la première fois que je ressens un peu de joie dans cette maison depuis qu’elle a été détruite. J’espère que cette belle oeuvre d’art attirera l’attention sur l’agression sauvage dont Gaza a souffert en 2014 ».

La beauté tirée des décombres
La reconstruction de Gaza a été un processus lent et douloureux. Selon le Bureau du Coordinateur des Affaires Humanitaires de l’ONU, OCHA, à la date de novembre 2016, à peine 39% des 17 800 unités d’habitation détruites ou gravement endommagées par les bombardements israéliens de 2014 ont été reconstruites.

Cela laisse plus de 10 000 familles, dont celle de Shaath, déplacées, selon OCHA, soit un total d’environ 53 000 personnes.

Et, alors que des sommes importantes ont été affectées à la reconstruction de Gaza, les promesses ne sont pas encore devenues réalité. OCHA estime que 22% des maisons détruites n’ont encore reçu aucun financement pour leur reconstruction. D’après la Banque Mondiale, des 3,2 milliards d’euros promis en 2014 au Caire, seuls 46% étaient décaissés à la fin de juillet 2016.


“Venir à Gaza ne signifie pas que je sois une politicienne ou une journaliste, a dit l’artiste Marianne Teeuwen. (Abed Zagout)

Dans ce paysage de décombres et de désespoir, Teeuwen a vu une opportunité  de création artistique à partir de la destruction et de remise en ordre d’un monde en miettes. « La guerre » écrit-elle dans un communiqué de presse à propos de son installation, « est un chaos total et l’ordre c’est la beauté ».

Elle a travaillé avec une équipe locale de constructeurs et d’artisans, à raison de quarts de six heures tous les jours pendant trois mois pour réaliser ce travail. Elle n’a pas utilisé de matériaux de construction neufs, qui sont rares à Gaza où Israël restreint l’entrée de matériaux tels que le ciment et le métal, ce qui retarde aussi le processus de reconstruction. Elle a plutôt réutilisé des matériaux trouvés dans les décombres de la maison, ou le bois et la peinture qu’elle a pu trouver sur place.

Un témoignage de la barbarie
Des barres de fer des décombres ont été utilisées pour soutenir les murs ; des objets domestiques abandonnés, des assiettes et ustensiles de cuisine aux jouets et aux vêtements, ont été utilisés dans la construction. Elle a décoré deux colonnes de béton avec du gypse blanc mélangé à de la peinture et elle a érigé des colonnes de bois pour soutenir des parties de ce qui restait du plafond et les a recouvertes de béton.

« Venir à Gaza ne signifie pas que je sois une politicienne ou une journaliste » a dit Teeuwen à l’Electronic Intifada. « Je suis une artiste. Ma vie se déroule d’une étrange manière bipolaire, par une approche de la destruction et de la construction, en liant l’ordre et le désordre, en me redressant et en tombant. Cette polarité est une question essentielle dans ma vie, comme dans la vie de tout un chacun ».

À Gaza, cette dialectique a été biaisée en faveur de la destruction, dit Teeuwen, avec trois guerres en 10 ans qui n’ont pas laissé le temps du rétablissement.

Et la réalité de la situation désespérée de Gaza n’est jamais très loin. Tandis que Teeuwen parlait, une femme est entrée, a salué tous les présents, puis s’est tenue dans un coin de la pièce, priant et pleurant.

Mariam, la femme de Shaath, pleurait son fils Muhammad, mort dans la maison lorsqu’elle fut frappée par un missile israélien, le 28 juillet 2014. Il avait 30 ans lorsqu’il a été tué avec trois amis d’une même famille. C’était la première fois que Mariam, âgée de 51 ans, revenait à sa maison, une visite déclenchée par l’action de Teeuwen.

« Quand j’ai vu la maison, j’ai ressenti deux sentiments opposés, la tristesse et le bonheur » dit Mariam. « J’ai eu du chagrin à me remémorer la perte de mon fils, mais j’ai été heureuse de voir ma maison transformée en objet d’art ».

 


Vue intérieure de “Maison détruite Gaza.” (Abed Zagout)

Comme son mari, Mariam a aussi pressé les autorités d’accélérer le rythme de la reconstruction, tout en admettant avoir des pensées conflictuelles à propos de sa maison.

« Nous vivons maintenant dans une petite maison qui manque beaucoup de confort. Mais après la réalisation de cette œuvre artistique superbe dans notre vieille maison, je suggère de la garder comme un témoignage de l’agression sauvage de Gaza et de nous donner en compensation un appartement vivable ».

Une installation permanente conviendrait parfaitement à Teeuwen, elle dont le travail a une durée de vie déterminée par les décisions de démolition.

Ce fut un processus plein d’obstacles. Muhammad Abou Daqqa, âgé de 37 ans, un des artisans qui ont travaillé le plus étroitement avec l’artiste néerlandaise pendant son séjour à Gaza, a dit que les compagnies d’assurance refusaient même d’assurer la sécurité des travailleurs sur le site.

Cela ne l’a pas dissuadé. « Ce travail a été très dur et m’a beaucoup coûté, mais l’artiste était très déterminée à accomplir son projet » dit Abou Daqqa. « J’espère que cette maison représentera un message pour le monde sur la souffrance des gens de Gaza à cause de l’occupation sauvage et de ses crimes de guerre ».

« Maison détruite à Gaza » est ouvert au public jusqu’à la fin de janvier et Teeuwen a encouragé tout le monde à aller visiter cette installation. Les Palestiniens de Gaza, a-t-elle dit, lui ont montré qu’ils « aiment la vie et l’art en dépit du siège et de la guerre ».

Hamza Abou Eltarabesh est un journaliste free lance et écrivain de Gaza.

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Source : Electronic Intifada

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