Yotam Berger – 20 février 2017
Discrètement, Israël transforme les terres de Cisjordanie en centres commerciaux – dont certains restent vides. Ces zones étendent la présence israélienne dans les territoires, notamment dans les zones non autorisées pour la construction de logements et à l’extérieur des blocs de colonies.
La zone industrielle de Shiloh, qui touche à la colonie du même nom, au milieu de la Cisjordanie, s’est déployée sur 500 dunums (50 ha). Mais une visite sur le site montre que ce n’est pas vraiment une enclave industrielle bourdonnante d’activités, avec des masses de travailleurs allant et venant des usines et des entreprises.
Les quelques petites usines de la zone n’occupent que 28 dunums (soit 5,6 % de la zone) et au total 36 travailleurs. La plus grande partie de la terre est vide. Plusieurs dizaines de bâtiments préfabriqués ont été récemment installées pour les colons évacués de l’avant-poste illégal d’Amona, mais ceux-ci refusèrent d’y venir et les structures restent vacantes.
Cette zone industrielle est l’une des 14 qu’Israël a installées au-delà de la Ligne verte. Si certaines sont prospères et florissantes, avec de forts taux d’occupation, d’autres sont en grande partie vides, ne produisent rien, et certainement pas des emplois.
Mais ces zones industrielles, dont la plupart sont planifiées, et leur région, qui pourrait atteindre plusieurs milliers de dunums, vont permettre à Israël d’étendre sa présence dans les territoires, notamment dans les régions où aucune construction de logements n’a été approuvée. Lorsqu’il a été proposé de loger les évacués d’Amona sur de telles terres, l’Administration civile a indiqué qu’il suffirait d’une courte procédure pour permettre la construction de maisons sur une terre disponible, initialement destinée à l’industrie.
« Nous parlons de zones dans lesquelles Israël, avec sa faim ravageuse de terres, est prêt à investir des millions pour se développer », dit Dror Etkes, de l’organisation de gauche Kerem Navot, qui fait des recherches sur la politique foncière israélienne en Cisjordanie. « Nous voyons cela clairement dans la zone industrielle de Gush Etzion, où il y a des terres vierges de toute construction, et où l’État se précipite pour construire des extensions mais qui restent vides, et resteront vides pendant des années ».
Effectivement, sur les 200 dunums alloués à la zone industrielle d’Etzion, seuls 60 sont utilisés. Cela n’a pas empêché les organismes de planification de l’agrandir de 17 dunums supplémentaires l’année dernière. « La quantité d’industries que vous trouverez dans ces zones est proportionnellement inverse à leur rapacité » ajoute Etkes.
Pendant que la gauche fait ses critiques, les colonies accueillent et justifient ces attributions de terres. Le Conseil régional de Gush Etzion a souligné qu’il y a une demande d’espace dans la région et qu’ils sont en négociation avec un certain nombre de parties intéressées.
Mais il y a plus dans cette l’histoire qu’une zone industrielle spécifique. Si la création de zones industrielles en Cisjordanie est signalée séparément et ne s’intègre dans aucun plan officiel pour y déplacer des commerces et de l’industrie vers l’est, les faits et les plans semblent indiquer une tendance. Selon le ministère de l’Industrie, il y a 91 zones industrielles au financement desquelles il contribue, de sorte que les 14 qui sont en Cisjordanie représentent plus de 15 % du total.
Lentement, la Cisjordanie est en train de prendre plus d’importance en termes de capacités de production. La zone industrielle de Mishor Adumim, qui recouvre plus de 1600 dunums (160 ha) et n’est qu’à 10 minutes de voiture de Jérusalem, emploie plus de 1300 personnes, et il y en aura davantage étant donné qu’il reste encore 500 dunums vacants. La zone industrielle de Barkan, près d’Ariel, est quasiment pleine, avec seulement 14 de ses 728 dunums toujours vacants, tandis que les 203 dunums de la zone industrielle de Shahak-Shaked, dans la Samarie nord, sont tous occupés.
Encore plus d’espace
À quelques dizaines de mètres de la Route 443, à l’est de la barrière de séparation et près de Modi’in, sera construite la 15e zone industrielle de Cisjordanie. L’Administration civile l’appelle la zone industrielle de Kharbata en raison de sa proximité avec le village palestinien de ce nom, et elle occupera 310 dunums.
Kharbata sera rejointe par d’autres zones industrielles de la Cisjordanie qui ont été avancées ces derniers mois. L’une sera située dans la Samarie ouest après qu’une violente dispute opposant le Conseil régional de Samarie et les villes d’Elkana et Oranit a été finalement réglée. Seule, l’intervention du vice-ministre de la Défense, Eli Ben-Dahan, a conduit à un compromis qui a permis au projet d’aller de l’avant.
Pendant ce temps, le Conseil régional du Mont Hébron s’est vu promettre par l’Administration civile la construction de deux zones industrielles, une à Tenne-Omarim et l’autre à Tarqumiya. Les dirigeants du Conseil régional affirment que le projet pour Tarqumiya n’est pas lié à une promesse du gouvernement de faire installer une zone industrielle pour les Palestiniens dans cette région.
Deux zones industrielles existent déjà dans la région du Mont Hébron, aucune n’est particulièrement un succès. L’une est Kiryat Arba, légèrement à l’est de Tarqumiya, qui s’étend sur plus de 200 dunums et est vide à 75 %. Non loin de la zone planifiée à Tenne-Omarim, se trouve l’autre, la zone industrielle de Shima-Meitarim, où 60 % des 220 dunums sont inutilisés. Les dirigeants du Conseil régional ont toutefois déclaré que plusieurs entreprises s’étaient engagées à construire dans la zone industrielle de Shima-Meitarim et que la région est en fait « pleine à ras bord ».
Une paix économique ?
Ben-Dahan évoque l’importance des zones industrielles en tant que centres d’emplois. « Le but est de créer des emplois, pour attirer plus de résidents » dit-il. « C’est le but réel. Le but réel est, pour la Judée et la Samarie, de se développer, de sorte que les gens n’aient pas à se rendre dans le centre du pays (pour travailler). C’est important aussi pour les habitants palestiniens, car en fin de compte, ils bénéficieront eux aussi des zones industrielles près de chez eux ».
En effet, les colons aiment présenter ces zones industrielles comme un outil de promotion de la « paix économique » en fournissant des emplois tant aux juifs qu’aux Palestiniens.
« Je vois en cela quelque chose de très important et significatif, parce que ma vision du monde est que la paix va surgir d’en bas, entre gens et voisins » dit Yochai Damari, président du Conseil régional du Mont Hébron. « Au moment où le système économique peut créer des partenariats, il y aura une véritable capacité à créer un mode de vie basé sur des intérêts communs et une confiance commune ».
Il admet que les zones industrielles ont des retombées économiques importantes pour ces conseils locaux qui profitent des impôts fonciers payés par les locataires, impôts qui, dans certains cas, aident à maintenir les villes qui en profitent à flot. Mais à Damari, le plus gros avantage est d’ordre diplomatique. « Je vois ces choses d’un point de vue diplomatique, plus avec les yeux de quelqu’un qui vit ici depuis près de 40 ans, et qui a quatre générations dans la région du Mont Hébron » dit-il. « Finalement, ni nous, ni eux (les Palestiniens) ne bougeons d’ici ».
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: Haaretz