Par Boudour Youssef Hassan – Electronic Intifada – 14 mars 2017
On va entendre plusieurs témoignages de ce qui s’est passé vers Ramallah le 6 mars 2017, lorsque Bassel al-Araj a été tué lors d’une attaque militaire israélienne.
Combien de temps a duré la confrontation entre Bassel et les soldats israéliens ? La vidéo publiée par Israël prétendait-elle montrer l’incident tel qu’il s’est passé ? Est-ce qu’il est arrivé à Bassel de blesser l’un des soldats ?
Nous ne saurons peut-être jamais. Mais une chose dont on peut être sûrs c’est que Bassel ne s’est jamais rendu.
« La pire insulte à l’égard d’un martyr serait de dire qu’il était obéissant, soumis et poli face à ses tueurs » a dit un jour Bassel.
Bassel était tout sauf obéissant.
Il avait choisi la résistance. Il n’y avait pas été conduit par la dépression, l’inquiétude économique ou le manque d’opportunités mais plutôt par un engagement indéfectible pour la lutte palestinienne pour une libération complète, inconditionnelle.
Des images mises en circulation par des Palestiniens sur les réseaux sociaux après l’assassinat de Bassel sont porteuses d’une immense symbolique. Elles montrent des taches de sang, la chaussure bleue typique de Bassel, son keffieh, un revolver et une pile de livres.
Parmi les livres que Bassel a laissés s’en trouvait un sur l’idéologie du marxiste italien Antonio Gramsci. C’était pertinent car Bassel incarnait l’intellectuel organique évoqué par Gramsci dans ses écrits.
« Si vous voulez être un intellectuel, il faut vous engager » a dit Bassel dans une des tournées qu’il a organisées à Jénine, une ville du nord de la Cisjordanie occupée. « Si vous ne voulez pas vous engager – si vous ne voulez pas vous confronter à l’oppression, votre rôle en tant qu’intellectuel est inutile».
Bassel croyait à la possibilité de rendre la connaissance accessible à tout le monde. Cela implique d’atteindre les gens, de leur parler directement dans un langage qui ne les aliène pas, sans être simpliste ni paternaliste.
Un autre livre trouvé dans l’abri de Bassel était un livre de Mahdi Amel, un marxiste libanais assassiné à Beyrouth il y a 30 ans.
Tout comme Mahdi, Bassel a mené un combat perdant, au sens tactique. Bassel était un frêle militant devenu un guerrier, sans expérience militaire et qui n’appartenait à aucune faction politique.
Il n’avait aucune chance contre l’armée israélienne, son dispositif de renseignement et ses « sous-traitants » de l’Autorité Palestinienne.
Persécuté
« Bassel portait un lourd fardeau sur ses épaules » m’a dit son ami Muhannad Abou Gosh.
Ma première rencontre avec Bassel a eu lieu en 2012 dans une manifestation de soutien aux prisonniers palestiniens qui étaient alors en grève de la faim dans les prisons israéliennes.
Bassel et moi avons eu beaucoup de conversations depuis lors. Certaines de nos discussions étaient vives mais elles faisaient toujours réfléchir. Bassel m’a appris qu’à long terme, il vaut toujours la peine de résister, même si nous n’en recueillons pas les fruits du temps de notre vivant.
Il m’a appris que pour faire partie d’un véritable mouvement de libération, il faut aimer et respecter son peuple et penser au-delà du salut individuel.
Chaque martyr palestinien nous laisse avec un sentiment accru de responsabilité.
Alors que nous luttons toujours pour nous résoudre à la perte physique de Bassel, nous devons combattre pour les idéaux pour lesquels il a vécu et péri.
Récemment, j’ai parlé aux amis et à la famille de Bassel à al-Walaja, son village en Cisjordanie occupée.
En dépit de la terrible douleur du meurtre de Bassel, la fierté de sa famille est intacte.
« Je suis fier de lui pour toujours » a dit son frère Saeed. « Il a vécu dans l’honneur et il est mort en héros ».
Les membres de la famille de Bassel ont ouvert leur cœur et leur maison à tous les Palestiniens souhaitant leur présenter des condoléances, mais ils ont insisté sur le fait que l’Autorité Palestinienne et ses représentants n’étaient pas bienvenus.
Siham al-Araj, la mère de Bassel a dit que son fils « effrayait les deux États », désignant ainsi Israël et l’Autorité Palestinienne. « Des soldats israéliens l’ont tué mais l’AP leur a pavé le chemin ».
« Nous n’accueillerons pas les media qui ont abandonné Bassel et ses camarades lorsqu’il faisaient la grève de la faim dans les prisons de l’AP l’an dernier» a dit Doha al-Araj, la sœur de Bassel. « L’AP est complice du meurtre de Bassel et nous n’attendons rien d’elle ».
L’AP a persécuté Bassel pendant des années.
Bassel a pris part à de nombreuses manifestations contre la coopération de l’AP avec Israël. Des manifestations ont continué après sa mort et elles ont été violemment attaquées par les forces de l’AP.
Bassel savait ce que c’était que subir la répression de l’AP.
À l’été 2012, il a été transporté à l’hôpital après avoir été frappé à la tête par les forces de sécurité de l’AP. Les coups ont été donnés lors d’une manifestation contre un projet de visite de Shaul Mofaz, un ancien ministre de la défense d’Israël, au siège de l’AP à Ramallah.
En juillet et août 2013, Bassel a participé à une série de manifestations contre la décision de l’AP de reprendre les négociations avec Israël.
Pourtant Bassel insistait sur le fait qu’il luttait principalement contre le sionisme, l’idéologie d’État israélienne et contre le projet colonial de peuplement engagé au nom de cet État, plutôt que contre l’AP. « Cet État colonial de peuplement a tenté d’exterminer chaque aspect de notre identité, y compris notre cuisine » : voilà comment Bassel décrivait Israël.
Même si l’AP doit être combattue, voire renversée, les Palestiniens devraient consacrer l’essentiel de leurs efforts à lutter contre l’occupation israélienne. Il était important, selon Bassel, de comprendre que la collaboration de l’AP avec Israël était structurelle.
Torturé
Bassel n’a jamais insulté la police de l’AP ni les agents de sécurité qui l’ont battu.
Il a reconnu qu’il y avait un aspect de classe significatif dans le recrutement par l’AP des hommes les plus pauvres et les plus opprimés de la société palestinienne pour réprimer les manifestations. Bassel croyait que les militants devraient rallier ces hommes et ne pas les traiter comme des ennemis.
Bassel a été arrêté l’an dernier par les forces de sécurité de l’AP. Lui et quatre autres jeunes hommes ont passé plus de cinq mois détenus par l’AP sans accusation ni procès.
Il a été torturé pendant sa détention, d’après Siham, sa mère. On lui a confisqué ses lunettes et refusé un traitement médical.
C’est seulement après sa mise en prison que Siham a appris qu’il été atteint de diabète. Il lui avait caché son état pendant des années pour qu’elle ne s’inquiète pas pour lui.
La presse palestinienne est principalement restée silencieuse sur l’arrestation de Bassel. L’absence de protestation de la part des media ou de la population les a incités lui et cinq autres hommes à entamer une grève de la faim.
« Bassel m’a dit que la grève de la faim avait été la chose la plus difficile de sa vie » dit Siham. Elle a ajouté qu’il avait été nécessaire aux six hommes de se laisser mourir de faim pour s’assurer de leur libération.
Après sa libération, Bassel n’est jamais retourné dans la maison familiale. Il savait que ce n’était qu’une question de temps pour qu’Israël le trouve. Il avait raison.
Quatre autres hommes ont été arrêtés peu après leur sortie des prisons de l’AP. Une fois de plus, mais cette fois par Israël, ils ont été détenus sans accusation ni procès. Israël nomme cette pratique « détention administrative ».
« Les forces d’occupation israéliennes ont attaqué notre maison 11 fois à la recherche de Bassel » a dit Thaira al-Araj, la sœur de Bassel. « Un soldat pensait que Bassel était membre du Hamas, visiblement il ne savait pas ce qu’il disait ».
L’intensité des attaques a fait craindre le pire à la famille. Ses membres n’ont pas eu de contact avec Bassel depuis qu’il se cachait en septembre dernier.
« Sa mort n’a pas été une surprise. Nous nous attendions à ce que les soldats le tuent une fois qu’ils l’auraient trouvé » dit Mahmoud al-Araj, le père de Bassel. « Mais le fait de s’y attendre ne rend pas les choses plus faciles du tout ».
Acte final de rébellion
L’acte final de rébellion de Bassel, les six mois pendant lesquels il a résisté à l’arrestation, ont fait de lui une icône. Pourtant Bassel était lui-même fortement opposé à la mythification d’individus.
Des récits de combattants résistants, en particulier de ceux qui sont absents des données officielles, doivent être immortalisés. Mais même de grands leaders ne doivent pas rester dans les mémoires comme des surhommes ou des hommes parfaits.
« Bassel voulait créer un modèle de résistance que les Palestiniens puissent admirer et auprès duquel ils puissent apprendre » a dit Abboud Hamayel, un proche ami de Bassel. « Il n’était pas naïf au point de penser que son assassinat enflammerait un soulèvement. Il a toujours maintenu que même si notre génération ne libérait pas la Palestine, son devoir était de préparer le terrain pour la génération suivante. Et si nous ne faisons pas cela, l’histoire ne nous le pardonnera jamais ».
Quand il était enfant à al-Walaja, Bassel avait coutume de passer des heures à écouter les récits de son grand père sur l’histoire de la Palestine et de ses grands révolutionnaires. C’est son grand père qui lui a enseigné que les Palestiniens devaient reconquérir leur histoire.
Bassel a hérité de son grand père le don de raconter des histoires. Les gens pouvaient l’écouter pendant des heures lorsqu’il se mettait à parler de l’histoire de la révolte des années 1930 en Palestine, de la guerre d’indépendance de l’Algérie ou du mouvement de libération du Vietnam.
En Bassel se mêlaient la passion et le savoir.
Bassel a étudié la pharmacie en Égypte et a travaillé quelque temps comme pharmacien dans le camp de réfugiés de Shouafat, dans Jérusalem Est occupée. Mais son cœur était ailleurs.
Bassel dévorait des ouvrages d’histoire, d’anthropologie, sur les mouvements sociaux, la politique et la philosophie. Il reliait ses lectures à son militantisme de terrain.
Bassel était fortement engagé dans un projet connu sous le nom d’Université Populaire. Dans ce cadre, il a conduit des tournées en Cisjordanie, dans le but de redonner vie aux récits de révolutionnaires oubliés et d’actes de résistance.
L’Université Populaire a été montée par le département d’études coloniales Souleiman al-Halabi. Ainsi nommé d’après le nom d’un combattant contre les forces coloniales françaises en Égypte au 18ème siècle, le département rassemble des volontaires qui se consacrent à enseigner des matières négligées dans les écoles et collèges habituellement. Ce sont par exemple la littérature de la résistance palestinienne, les mouvements sociaux en Amérique latine et l’histoire des Black Panthers au États Unis.
« Deux signes distinctifs de Bassel : son amour de la Palestine et son honnêteté » : c’est ce qu’a écrit Khaled Odetallah, directeur du Département Souleiman al-Halabi, en hommage. « Il aimait sa terre, tous ses recoins, chacune de ses pierres, chacun des récits de ses combattants ».
Bassel a également travaillé en tant que chercheur à temps partiel au Musée Palestinien avant son inauguration.
Son ami Yara Abbas a confirmé que les écrits et les recherches de Bassel n’ont pas encore été tous publiés. Sa recherche couvre la révolte palestinienne des années 1930, dont le théâtre et la littérature qui y sont associés, et l’histoire de la première intifada. Il avait aussi entrepris une recherche sur la Main Noire, un groupe antisioniste formé en Palestine sous le mandat britannique.
Bassel se décrivait lui-même comme un anti autoritaire dont le nationalisme palestinien, le panarabisme, la culture islamique et l’internationalisme avaient façonné l’identité. Il insistait sur le fait que les différentes idées qui l’inspiraient n’étaient pas en conflit les unes avec les autres.
Les écrivains qui ont le plus influencé sa pensée sur la politique et la résistance étaient Frantz Fanon, le penseur anticolonial né en Martinique et Ali Shariati, l’intellectuel, révolutionnaire et sociologue iranien.
Hanadi Qawasmi, un journaliste palestinien, dit que Bassel espérait retourner à l’université pour étudier l’histoire ou la sociologie.
« Il n’était pas du tout intéressé à obtenir un quelconque diplôme » dit Qawawmi. « Mais il voulait se rapprocher d’étudiants de premier cycle. Il croyait qu’ils ont beaucoup d’énergie et de potentiel à l’état brut à mobiliser et à comprendre ».
Bassel a énormément aidé les jeunes de al-Walaja.
« Quand j’ai décidé d’étudier l’obstétrique à l’université, tout le monde m’a découragé » dit Alaa Abu Khiyara, cousin de Bassel. « Bassel a été la seule personne à m’encourager et à croire à mes capacités. Son soutien a été crucial ».
Les écrits de Bassel vont lui survivre. Le Département Souleiman al-Halabi a entrepris de rassembler tous ses articles et discours dans l’espoir de les publier prochainement.
Ce serait un hommage approprié à Bassel al-Araj, un intellectuel et combattant de la liberté, un homme de passion et de principe.
Boudour Youssef Hassan est un écrivain palestinien diplômé en droit de Jérusalem occupée. Blog: budourhassan.wordpress.com
Traduction SF pour l’Agence Media Palestine
Source: Electronic Intifada