Par Amjad Ayman Yaghi, 28 Décembre 2017
Aseel Nawas, à droite, et Ghadir Shalabi, au centre, figurent parmi les 20 joueuses de l’équipe junior de football féminin de Khadamat al-Nuseirat. (Mohamed Hajjar)
Aseel Nawas est passionnée de foot. Après l’école et les devoirs, la première chose que la jeune fille de 15 ans fait est de se tenir au courant des dernières actualités footballistiques, surtout sur le Real Madrid, son équipe préférée.
Elle joue aussi. Tous les lundis et les jeudis, Assel s’entraine avec l’équipe junior féminine Khadamat al-Nuseirat dans le camp de réfugiés de Nuseirat au centre de la Bande de Gaza.
« Avant je jouais au foot dans le quartier avec mes amis » explique Aseel à The Electronic Intifada, à propos de sa passion qui s’est révélée à l’âge de 8 ans. « Le football est la meilleure chose qui me soit arrivée et j’espère qu’un jour je pourrais aller au Brésil car les femmes peuvent y jouer librement. »
Aseel, dont la famille s’est retrouvée réfugiée à Nuseirat après avoir été expulsée du village aujourd’hui démolit de Huj – un village au Nord-Est de Gaza – par les forces sionistes en 1948, fait partie des palestiniennes qui, de plus en plus nombreuses, envisagent de faire carrière dans le sport. Ce n’est pas un choix facile, d’autant plus que la Bande de Gaza est assez conservatrice.
Son équipe, les juniors, compte 20 joueuses et s’est établi en 2016, lorsque le club a annoncé qu’il voulait encourager les filles à s’inscrire, en partie motivées par le succès du sport féminin en Cisjordanie.
L’initiative a été coordonnée avec l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, mais le premier obstacle a été de convaincre les familles, d’après Hussam Abu Dalal, le responsable des relations publiques du club.
« Au début, ça a été difficile pour nous à cause de cette idée répandue dans la société que c’est un jeu réservé aux hommes, et les familles refusaient de laisser jouer leur filles » explique Abu Dalal.
Les membres du club ont alors pris l’initiative d’aller voir les familles chez elles afin de gagner leur confiance et de les motiver à donner à leurs filles l’opportunité de casser les préjugés sociaux. Finalement un certain nombre de filles se sont inscrites, nous dit Abu Dalal, et aujourd’hui les familles viennent régulièrement aux entrainements pour les encourager.
Un tournant
Le football féminin palestinien a réellement commencé en 2004, lorsque la première équipe nationale de football féminin s’est établie. De 2005 à 2008, des équipes locales ont commencé à fleurir en Cisjordanie, dont Sareyyet Ramallah, Baladna à Jéricho, et al-Assema. En 2008, le premier tournoi de football féminin a été organisé en Cisjordanie avec la participation de six équipes.
D’après l’Association palestinienne de Football, il existe 12 équipes de football de femmes en Cisjordanie, mais seulement six équipes juniors pour des joueuses âgées de 12 à 16 ans à Gaza.
Ghadir Shalabi, 16 ans, est milieu de terrain dans l’équipe de Khadamat al-Nuseirat mais a dû se battre bec et ongle avec sa famille pour pouvoir le faire.
« J’ai dû argumenter sérieusement, insister et promettre que le football n’affecterait pas mes études » explique Ghadir, dont la famille est originaire de Isdud, au Nord-Est de Gaza.
Le père de Ghadir, Muhammad Shalabi, 42 ans, explique qu’il n’était pas enthousiaste à l’idée qu’il y ait une équipe de foot féminin, surtout une équipe à laquelle appartiendrait sa fille.
« Maintenant, je vois bien qu’elle est différente » explique Muhammad à The Electronic Intifada. « Elle a tellement d’énergie, elle a organisé son temps pour pouvoir étudier et jouer au foot. Je suis fier d’elle. Je conseillerais à mes amis et à tout le monde de laisser leurs fils et leurs filles pratiquer le sport qu’ils et qu’elles aiment. »
Dans l’équipe de Ghadir, jouent les jumelles Maysa et Jumana al-Tawil, 12 ans, dont la famille est originaire de Al-Maghar, un village de la Palestine historique détruit par les forces sionistes en 1948. Toutes les deux jouent en défense et toutes les deux ne rêvent que de ramener une coupe internationale à la maison.
« Nous portons le même ruban » dit Maysa. « Avec le nom de notre club. Et tout ce dont nous parlons c’est de gagner un tournoi international et de rentrer à la maison avec la coupe. »
Des obstacles pour tous
Mais la compétition reste un rêve lointain, qu’elle soit internationale ou même nationale. La capacité à voyager est l’un des principaux obstacles au sport en Cisjordanie et à Gaza, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Tandis que l’argent, particulièrement dans la Bande de Gaza ruinée, est un problème constant, l’accès au monde extérieur condamne les sportifs(ves) palestiniens(nes) à vivre dans l’isolement.
Israël interdit les voyages que ce soit à l’étranger ou entre Gaza et la Cisjordanie, et a arrêté plusieurs athlètes quand ils ont essayé de le faire.
En Février, Khadamat al-Nuseirat a remporté un tournoi local et a attiré l’attention des clubs de Cisjordanie. L’équipe reste cependant coincée à Gaza depuis qu’Israël ne délivre pas de permis de voyager en Cisjordanie par le check-point d’Erez. Par conséquent, aucune équipe de Gaza ne participe au championnat national palestinien.
Et Israël n’est pas le seul obstacle. En Septembre, Khadamat al-Nuseirat a été invitée à s’entrainer et à jouer en Egypte. Mais le passage de Rafah, contrôlé par l’Egypte, au Sud de Gaza, reste généralement fermé et est difficile à passer même lorsqu’il est ouvert. Une telle participation reste un rêve chimérique pour les jeunes ambitieux.
« Nous devons développer les capacités de nos sportives dans la Bande de Gaza » explique Ahmad Haroun, conseiller sportif à Khadamat al-Nuseirat. « Les filles sont passionnées par le jeu et depuis qu’elles ont gagné le tournoi ici, elles sont avides de participer au championnat de Cisjordanie. Mais à cause du blocus imposé par l’occupation cela est impossible. »
Haroun nous explique que, malgré les difficultés, Khadamat al-Nuseirat espère développer le sport féminin avec des projets d’équipes de tennis et de volleyball. Et Suha Abu Dalal, la coach de l’équipe de filles, nous dit que tout ça concerne bien plus que le sport.
« Les filles adorent le foot » explique Abu Dalal. « Mais jouer, ici dans le camp de Nuseirat, avec toutes les difficultés financières que nous rencontrons, est aussi un message au reste du camp que la volonté peut dépasser tous les problèmes. »
Amjad Ayman Yaghi est un journaliste basé à Gaza.
Traduction: Lauriane G. pour l’Agence Média Palestine
Source: Electronic Intifada