Tamara Aburamadan – The Electronic Intifada – 31 janvier 2018
« Je ne suis qu’un malade atteint d’un cancer. Quelle menace je représente ? » demande Khalil Abdullah. (Mohammed Asad)
En apprenant que l’hôpital Augusta Victoria ne recevrait plus de nouveaux malades, Khalil Abdullah s’inquiète énormément.
Ce malade atteint d’un cancer de 21 ans, de Jabaliya dans la bande de Gaza occupée, est seul à pouvoir subvenir aux besoin d’une famille de six personnes. Peintre et décorateur, Abdulah a dû s’arrêter de travailler quand on lui a diagnostiqué un cancer des testicules et qu’il lui a fallu subir une opération chirurgicale.
« Mon père nous a quittés quand j’étais très jeune », dit Abdullah à The Electronic Intifada. « Aujourd’hui, mes sœurs et ma mère dépendent de moi. Il faut que je trouve un traitement ».
L’unique hôpital, pour la Cisjordanie et la bande de Gaza, pouvant fournir les soins nécessaires pour Abdullah est Augusta Victoria, à Jérusalem-Est, en Cisjordanie occupée. Mais fin octobre, l’hôpital a cessé de recevoir les malades de Cisjordanie qui ne sont pas de Jérusalem-Est, et ceux de Gaza, informant ceux qui avaient déjà été dirigés vers lui de ne pas essayer de venir à Jérusalem.
Les administrateurs de l’hôpital ont déclaré au Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR) que la décision avait été prise après que le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie ait omis de régler les sommes dues à cet hôpital privé.
Selon le directeur général de l’hôpital, Walid Nammour, l’AP a une dette d’environ 35 millions de dollars envers l’hôpital.
Un différend qui gronde
La dette s’est accumulée sur quatre ans, et l’AP a du mal à suivre. Mais tout en reconnaissant la dette, la réponse de l’AP à la décision de l’hôpital de ne plus recevoir de malades a été laconique.
Dans une déclaration diffusée par Palestine News Network en octobre, le ministère des Finances de l’AP, qui alloue les fonds aux différents ministères dont le ministère de la Santé, a déclaré qu’il était engagé dans un « effort unique » afin de soutenir Augusta Victoria.
Il a annoncé le transfert de près de 15 millions de dollars directement à Augusta Victoria en octobre, en plus des quelques 2,2 millions de dollars que le ministère de la Santé verse chaque mois.
Le ministère des Finances a demandé à l’administration d’Augusta Victoria de se pencher sur ses propres pratiques et de vérifier ses coûts opérationnels, avant de dénoncer la façon dont le différend a été diffusé dans la presse et les médias sociaux, suggérant que les administrateurs de l’hôpital avaient fait le choix de le rendre public.
Mais de telles récriminations ne viennent guère en aide à des malades comme Abdullah, qui a dû arrêter de prendre des analgésiques à cause d’une malformation cardiaque congénitale et qui, maintenant, souffre de nuits sans sommeil douloureuses.
Le PCHR a demandé, tant à l’AP qu’à Augusta Victoria, de résoudre le problème le plus rapidement possible.
Mohammed Bseiso, un avocat du PCHR, a indiqué à The Electronic Intifada que sur les centaines de malades qui étaient dirigés sur Augusta Victoria chaque mois, depuis Gaza, ils n’étaient pas plus de « 50 à 70 % environ » à obtenir le permis.
En effet, en juillet 2017, l’Organisation mondiale de la Santé a constaté qu’il y avait 547 malades de Gaza à être dirigés sur Augusta Victoria. L’armée israélienne – qui contrôle les mouvements des Palestiniens entre Cisjordanie et bande de Gaza – n’a accordé le permis qu’à seulement 57 % d’entre eux, les autorisant à traverser le check-point d’Erez pour aller recevoir des soins.
Il est bien connu que le processus par lequel un malade demande à la fois le transfert et le permis israélien pour quitter Gaza est long et lent.
D’abord, il faut qu’un médecin conclue que le malade ne peut pas recevoir les soins appropriés à Gaza – scénario plausible alors que les dix années d’un blocus aggravé par les sanctions punitives de l’AP infligées au territoire administré par le Hamas, qui en a la direction depuis le printemps dernier, ont conspiré pour laisser la bande côtière démunie des 223 médicaments indispensables, selon l’OMS.
Un processus interminable
Ensuite, le dossier du malade est transmis pour approbation au Département chargé du transfert des malades à l’étranger au ministère de la Santé de Gaza – une impasse politique amère a conduit à ce que ce soit des gouvernements palestiniens séparés qui gèrent les affaires intérieures de la Cisjordanie, et de la bande de Gaza.
Les responsables de ce Département déterminent alors où le malade serait le mieux traité. S’il faut que la personne traverse le check-point d’Erez pour être soignée en Cisjordanie ou dans un établissement israélien, une demande en urgence est déposée au Bureau de coordination du district de l’AP, laquelle dépose une demande pour un permis de voyager auprès de son homologue israélien, à savoir la Coordination des activités gouvernementales dans les Territoires, ou COGAT.
Des malades de Gaza, l’an dernier, sont décédés après que le ministère de la Santé de l’AP en Cisjordanie ait mis en attente leurs demandes de transfert vers des centres médicaux israéliens ou de Cisjordanie.
Le ministère de la Santé de Cisjordanie doit approuver ces demandes avant qu’Israël ne le décide car c’est lui qui règle les factures médicales de tous les dossiers de transferts validés.
Le processus est long, et de plus en plus susceptible de se terminer par une déception. Selon l’OMS, 2017 était bien partie, jusqu’en octobre, pour connaître le pire taux d’acceptation pour les malades faisant la demande de quitter Gaza depuis que l’Organisation a commencé à suivre ces données, en 2006.
De plus, en octobre, le COGAT d’Israël a publié de nouvelles lignes directrices pour le temps alloué au processus d’une demande de permis, indiquant que les dossiers médicaux « non urgents » devaient s’attendre à un délai de 23 jours ouvrés avant de recevoir une réponse.
Abdullah a suivi tout ce processus. Il a d’abord déposé une demande en juillet 2017 pour un permis de voyager. Mais au moment de son rendez-vous à l’hôpital, le 19 novembre, la seule réponse qu’il a reçue, telle que retransmise par le Bureau palestinien de coordination de district, a été : « En attente d’un contrôle sécurité ».
« Je ne fais partie d’aucun groupe armé » a dit Abdullah à The Electronic Intifada. « Je ne suis qu’un malade atteint d’un cancer. Quelle menace je représente ? »
Le Centre palestinien pour les droits de l’homme, qui apporte une assistance juridique et communique avec le côté israélien, « se bat sur deux tableaux » a dit Bseiso à The Electronic Intifada.
Il essaie d’aider les malades palestiniens à démêler les procédures complexes des Israéliens pour parvenir aux hôpitaux à l’extérieur de Gaza, tout en luttant aussi contre les atermoiements de l’Autorité palestinienne, en aidant les hôpitaux à assurer les services médicaux.
Ainsi, lorsque Augusta Victoria a appelé les malades pour leur demander de ne pas se présenter à leur rendez-vous, le PCHR s’est activé intensivement.
« Une chose est sûre, c’est que cela a provoqué une crise dans notre travail. Nous avons dû reporter des rendez-vous et recommencer les processus de demande de permis », dit Bseiso.
Cependant, pendant ce temps, l’état d’Abdullah empire. Une tumeur maligne a également été découverte dans ses ganglions lymphatiques, et il a un besoin urgent de traitement.
« Ce cancer malin se baigne dans mon corps. Je meurs lentement » dit-il. « Et depuis le début, c’est simplement dans l’attente d’un permis israélien ».
Une course contre la montre
Pour Narjiss al-Hasani, à 47 ans, qui est atteinte d’un cancer du sein, dans sa maison du camp de réfugiés de la Plage de Gaza, il ne reste pas non plus beaucoup de temps.
« Cinq mois se sont écoulés et il n’en reste plus qu’un seul pour obtenir un traitement » a dit cette mère de deux enfants à The Electronic Intifada.
Al-Hasani, professeure d’études sociales dans une école gérée par les Nations-Unies dans le camp de la Plage, s’est vu diagnostiquer un cancer en janvier 2016, et elle a subi une mastectomie ainsi que huit séances de chimiothérapie dans un hôpital de Gaza.
Maintenant, elle a besoin d’une radiothérapie, ce qui signifie, qu’elle doit être soignée à Augusta Victoria.
Khalid Thabet, le chef du département d’oncologie à l’hôpital al-Rantisi de Gaza où al-Hasani a suivi la chimiothérapie, a dit à The Electronic Intifada que les malades de cancer ont « un créneau de six mois » pour bénéficier d’une radiothérapie.
Depuis la fin de sa chimiothérapie, al-Hasani a déposé trois demandes successives de permis de voyager. À chaque fois, la réponse est tombée : « En attente d’un contrôle sécurité ».
« En recevant ces trois renvois, et en m’informant sur Augusta Victoria, je me suis sentie anéantie » dit al-Hasani. « Et tout le processus douloureux des soins que j’ai déjà subis pourrait s’avérer vain sans la radiothérapie ».
Tamara Aburamadan est une militante des droits de l’homme, et une auteure basée à Gaza.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: Electronic Intifada