Par Gregory Shupak, lundi 19 février 2018
Ce qui arrive à Gaza, c’est une calamité politique qui requiert une solution politique : la libération des Palestiniens.
Photo: Mohammed Asad (Gaza, 2009)
On décrit souvent les conditions de vie à Gaza dans la langue neutre de l’humanitarisme et de la pauvreté. Un document émis le 6 février par le Bureau de l’ONU pour la Coordination des Affaires Humanitaires fait remarquer que : « Le carburant de secours pour les installations vitales à Gaza sera épuisé dans les dix prochains jours » et que « sont en danger les services d’urgence et de dépistage tels que les IRM, scanners et radiologies, les unités de soins intensifs et les salles d’opération dans 13 hôpitaux publics ; quelques 55 bassins d’eaux usées, 48 usines de désalinisation, et la capacité de collecte des déchets solides ».
Le document décrit cette situation comme « une catastrophe humanitaire induite par la crise de l’énergie » sans produire aucune information sur les causes ou la responsabilité de cette crise.
Un langage dépolitisé
Un rapport de l’Unicef sur la pauvreté à Gaza fait remarquer que « les conditions économiques » se sont détériorées dans la Bande et que « 40 % des familles palestiniennes de la Bande de Gaza vivent sous le seuil de pauvreté et que 70 % dépendent d’une forme ou d’une autre d’aide extérieure ». A aucun moment cet article ne mentionne Israël ou les Etats Unis ou leurs partenaires.
Les perspectives économiques pour la Palestine données en octobre 2017 par la Banque Mondiale indiquent que le chômage à Gaza est de 44 % et qu’il s’élève à 60 % pour les gens âgés de 15 à 29 ans. Ce document lui aussi se refuse à mentionner Israël ou aucun de ses alliés et ne fait que vaguement référence aux « contraintes incessantes sur la compétitivité économique » sans donner aucune indications de ce que sont ces contraintes, qui les a mises en place, ou pourquoi.
C’est trompeur de caractériser les énormes défis auxquels font face les résidents de Gaza en utilisant, uniquement ou principalement, le langage dépolitisé de l’humanitarisme et de la pauvreté.
Présenter les problèmes que doit résoudre la population de Gaza de cette façon laisse entendre que ces problèmes sont survenus naturellement, occultant ainsi le fait qu’ils sont le résultat d’une politique délibérée des USA-Israël-AP-Egypte.
Israël contrôle l’accès à Gaza par terre, son espace aérien, et il assiège la Bande depuis 2006. Israël occupe Gaza et, selon le droit international, les puissances occupantes sont responsables du bien-être de la population dans le territoire qu’elles occupent.
Le fait qu’Israël gère l’économie de Gaza fait ressortir à quel point il est responsable de la pauvreté et du chômage dans la Bande et de leurs répercussions. Israël décide quelles marchandises méritent d’être fabriquées à Gaza et vendues à l’extérieur, « influençant la rentabilité et la viabilité de différentes branches de l’industrie », selon les mots de l’association de défense des droits de l’Homme Gisha.
L’organisation fait remarquer que le contrôle par Israël du seul passage terrestre par lequel entrent et sortent les marchandises de Gaza lui permet de contrôler ce qui entre et sort si bien qu’il « influence presque tous les aspects de l’économie de Gaza et du marché du travail ». Comme Israël est « pour ainsi dire l’unique source de tous les produits et marchandises qui entrent à Gaza », il a aussi « une influence cruciale sur le coût de la vie dans la Bande ».
Les crimes d’Israël contre les Palestiniens
En attendant, les restrictions israéliennes sur les exportations de Gaza laissent ce territoire « isolé et sans réelle opportunité de développement économique ». Israël a mené trois attaques militaires majeures sur Gaza en moins de dix ans, tuant des milliers de Palestiniens.
Par ailleurs, comme le fait remarquer l’organisation de défense des droits de l’Homme Al Haq, Israël a créé autour de Gaza une « zone tampon » qui a réduit la terre disponible pour l’agriculture et Israël a également restreint par la force l’accès des Palestiniens à la mer au point que : « A Gaza, environ 17 % de la terre a été désignée comme zone d’accès restreint, rendant plus de la moitié des terres agricoles et 85 % de l’espace maritime inaccessibles. Etant donné que la pêche et l’agriculture sont les principaux piliers de l’économie palestinienne, le blocus a eu un effet dévastateur sur la vie dans la Bande de Gaza. »
Lorsque Israël décide que des pêcheurs palestiniens sont trop loin du rivage, la marine israélienne les attaque fréquemment avec des grenades assourdissantes, détruit leurs bateaux, les arrête ou leur tire dessus, tuant cinq pêcheurs entre 2007 et juillet 2013 et au moins un de plus en mars 2015 et un autre en juin 2017.
Israël n’agit pas seul. Les Etats Unis continuent de fournir à Israël les moyens nécessaires pour assiéger Gaza – et pour accomplir tous les autres crimes contre les Palestiniens et les pays voisins – sous forme d’aide militaire et de protection politique.
Le gouvernement égyptien, bénéficiaire d’une généreuse aide militaire et opposant au gouvernement du Hamas au pouvoir à Gaza, a, à de rares et brèves exceptions près, renforcé le blocus à son passage vers Gaza. L’été dernier, l’Autorité Palestinienne qui, à maints égards, a fonctionné comme mandataire américano-israélien, a baissé les salaires payés à ses fonctionnaires à Gaza et a fait pression avec succès pour qu’Israël coupe l’électricité dans la Bande afin d’affaiblir ses rivaux du Hamas.
Il y a peu de raisons de croire qu’Israël et les Etats Unis vont améliorer de sitôt la vie des résidents de Gaza à un moment ou à un autre.
Gisha remarque que : « Tout au long de 2017, des mesures nouvelles ou intensifiées ont encore restreint les possibilités de se déplacer vers ou depuis Gaza » et qu’elles ont été mises en place sans « fournir aucune justification quant à leur but et, semble-t-il, aucune considération de l’impact qu’elles pourraient avoir sur la population civile de Gaza, déjà sous grande contrainte ».
Comme le rapporte le journaliste palestino-américain Ali Abunimah, en janvier, les Etats Unis ont décidé de retenir plus de la moitié de leur contribution mensuelle de 125 millions de dollars à l’Office de Secours et de Travaux de l’ONU (UNRWA), sapant les possibilités de l’organisation de fournir « les services basiques de santé, d’éducation et d’urgence humanitaire aux cinq millions de réfugiés palestiniens » et provoquant « la pire crise financière de l’histoire de l’UNRWA », selon son porte-parole.
Gaza n’a donc pas un problème humanitaire. Elle a un problème politique. Elle a un problème d’impérialisme. Elle a un problème colonial.
Les fausses solutions
Décrire les difficultés auxquelles font face les résidents de Gaza principalement en termes d’humanitarisme et de pauvreté laisse entendre que ces problèmes peuvent et devraient être résolus grâce à l’aide internationale et aux ONG plutôt que par une solution politique de la question de la Palestine qui conduirait à la liberté des Palestiniens.
Tariq Da’na nous informe sur le fait que les Palestiniens ont été entraînés de force dans une situation de dépendance institutionnalisée à une « industrie de l’aide » mondiale parce que l’aide arrive assortie de conditions.
Celles-ci écrit-il, ont dramatiquement rétréci l’espace politique des Palestiniens en exigeant qu’ils adhèrent au « processus de paix », faux nom pour les relations entre Palestiniens et Israéliens depuis les Accords d’Oslo de 1993 au cours desquels Israël a plus que doublé le nombre de ses colons illégaux en Cisjordanie, y compris Jérusalem Est, réduit Gaza à son état actuel, tué des milliers de Palestiniens et où l’autodétermination des Palestiniens ne s’est pas rapprochée de sa réalisation.,
Comme le fait ressortir Max Ajl, quelque soit le haut degré de sympathie des équipes des ONG à Gaza avec les Palestiniens, le mandat de ce genre d’institutions « ne va pas jusqu’à traiter la cause profonde du siège » et leur tâche « consiste au mieux à geler la situation en temps utile… pour garder en vie les Palestiniens de la Bande ».
Ce qui arrive à Gaza est une calamité politique qui exige une solution politique : la libération des Palestiniens.
-Greg Shupak écrit de la fiction et des analyses politiques et il est professeur d’Etudes Médiatiques à l’université de Guelph-Humber. On peut commander son livre, The Wrong Story : Palestine, Israel, and the Media, à OR Books.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : Middle East Eye