Par Shatha Khalil – Middle East Monitor – 19 mai 2016
Le photographe japonais, Ryuichi Hirokawa.
Le photographe japonais Ryuichi Hirokawa raconte comment la découverte de ce qui restait de villages arabes près du kibboutz où il s’était enrôlé après l’université a été le déclencheur qui l’a incité à reprendre son appareil photo, et à découvrir et documenter l’histoire.
Adolescent, Hirokawa avait pris des photos lors de ses voyages avec des amis dans les montagnes du Japon, montrant des détails sur des villages isolés, sur Hiroshima ou sur les luttes des aveugles dans le pays. Mais par la suite, « il a oublié les photos ».
« En 1967, après l’université, je suis allé en Israël », explique-t-il. « Je suis entré dans un kibboutz. Au Japon, ils écrivaient que tous les kibboutz étaient des paradis ». Mais la guerre des Six-Jours l’a amené à s’interroger.
« Au Japon, on nous enseignait que la guerre est mauvaise, mais ici les gens se réjouissaient », explique-t-il.
« J’ai trouvé des ruines près du kibboutz, j’ai demandé aux gens ce que c’était que ces ruines, mais personne ne me répondait. Un ami juif m’a dit que c’était écrit à un endroit ». C’est dans ces ruines que Hirokawa est entré dans l’histoire de la détresse des Palestiniens. « J’ai compris que l’histoire se cachait là, en Israël. J’ai recherché des gens qui pouvaient m’apprendre cette l’histoire ».
« J’ai commencé à retrouver des villages et j’ai étudié ce qui leur était arrivé. Cela m’a pris plus de 30 ans, mais j’ai pris des photos et j’ai fait des documentaires sur les villages palestiniens » dit-il.
« Les Palestiniens ont fait de moi un reporter photographe ».
Ce qu’a vécu sur le terrain cet homme de 72 ans ne lui a pas seulement appris l’histoire de la Palestine, mais aussi l’importance de son travail.
Lors de son voyage au Liban en 1982, Hirokawa a visité les camps de Sabra et Chatila, où il a rencontré un père dans la peine : – « Il y avait un vieil homme qui sans cesse me demandait ‘pourquoi venez-vous maintenant ? Pourquoi n’êtes-vous pas venu un mois plus tôt ?’- Je ne comprenais pas ».
« Puis j’ai compris que son fils avait été tué un mois auparavant. Il m’a dit: ‘Si un journaliste avait été là, les soldats n’auraient pas pu tuer mon fils, pas devant un journaliste ».
« Avant cela, j’ai compris que les journalistes pouvaient prendre des photos et faire des reportages, mais il a dit que je pouvais observer les gens » explique Hirokawa. De voir ce père affligé le poussait à entrer dans les camps de Sabra et Chatila après le massacre.
« Je me suis souvenu de cet homme, sans journalistes alors que quelque chose d’horrible se produisait, mais j’avais trop peur. Mon corps me disait de ne pas y aller, que c’était trop dangereux. Le camp de réfugiés était fermé par les chars israéliens, pourtant, j’ai commencé à entrer ».
« Immédiatement, j’ai trouvé un garçon mort, des cadavres ».
Malgré ses craintes, il dit que le souvenir de ce père en deuil l’a poussé à « y aller, et à regarder, et à parler ».
« J’ai pris des photos, juste de ces corps morts. J’avais peur à ce moment-là. J’étais très triste de ne pouvoir prendre que des photos de cadavres. Il me fallait connaître les noms, aussi, j’ai voulu y retourner, mais c’était difficile car Israël bouclait le camp » explique-t-il. « Un ans plus tard, j’ai réussi à pénétrer dans le camp. J’ai retrouvé des familles de victimes et j’ai écrit leurs histoires. Quand j’ai eu fini, un enseignant m’a demandé: ‘pourquoi vous-êtes intéressé à des gens décédés ; pourquoi ne vous êtes-vous pas intéressé aux survivants ?’ Alors j’ai monté une exposition sur la guerre, sur le massacre, avec vingt photos d’enfants ».
Hirokawa a mis 30 ans à documenter ces villages palestiniens, mais durant ce temps, il a aussi mis en place le Comité japonais pour les Enfants de Palestine, une organisation caritative japonaise qui permet aux gens de parrainer des orphelins et d’assister leur éducation tout en instaurant des instituts éducatifs pour eux au Liban.
« Les gens veulent aider » explique-t-il.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: Middle East Monitor