Par Jonathan Ofir, le 21 mars 2018
Ahed Tamimi (image : Katie Miranda)
Lundi en Israël, il y a eu deux événements parallèles :
1) La cour d’appel militaire d’Israël a refusé à Ahed Tamimi, 17 ans, sa requête d’un procès public pour les accusations découlant du fait qu’elle avait giflé, le 15 décembre dernier, un soldat israélien qui occupait sa maison, en déclarant qu’un procès à huis clos était « tout à son intérêt ».
2) La commission militaire israélienne des libérations conditionnelles a réduit à 9 mois la peine de prison d’Elor Azarya pour avoir, en 2016, tué un suspect palestinien dans l’incapacité d’agir en lui tirant dans la tête à bout portant, ceci après que le chef d’état-major des armées a réduit la peine originelle de 18 mois à 14 mois.
Ces deux histoires se regardent en miroir.
Dans l’affaire Tamimi, beaucoup d’Israéliens veulent qu’elle paie le prix pour avoir giflé un soldat d’occupation israélien. Certains ont suggéré qu’on devrait la punir « dans le noir, sans témoins ni caméras » (le journaliste israélien ‘centriste’ Benn Caspit), ou qu’elle devrait « finir ses jours en prison » (le ministre de l’Education Naftali Bennett). La décision de tenir son procès à huis clos a d’abord été prise le mois dernier pour sa première audience. Le juge militaire a émis l’avis qu’il était dans le plus grand intérêt d’Ahed, en tant que jeune, d’avoir un procès à huis clos et le juge d’appel a renchéri sur cet avis – en dépit du fait que le procureur militaire n’avait pas émis d’objection à un procès public.
« La cour a décidé ce qui est le mieux pour la cour, et non pas ce qui est bon pour Ahed », a dit l’avocate de la défense Gaby Lasky le mois dernier aux reporters, et elle recommence la même chose.
La cour d’appel militaire a essayé d’expliquer son refus en se présentant comme si elle était un tribunal civil normal.
« L’expérience accumulée pendant les huit années d’existence de ce tribunal militaire pour mineurs nous a appris que, donner au mineur et à sa famille une véritable chance de développer leurs arguments dans un cadre confidentiel des procédures qui ne soit pas ouvert au grand public, c’est une composante fondamentale pour des poursuites honnêtes et justes. Sous cet aspect, le processus judiciaire dans les tribunaux militaires n’est pas du tout différent du processus devant un tribunal civil. Par conséquent, même si le processus devant un tribunal militaire pour mineurs est légèrement différent de celui qui existe devant un tribunal civil, je suis moi aussi d’accord que tenir le procès à huis clos dans le cas de prévenus mineurs doit être la règle et cela exprime généralement au mieux les intérêts du mineur. » (Cité dans Haaretz)
Le concept tout entier selon lequel le système de tribunal militaire est un système de justice ‘normal’ est contredit par l’éminent défenseur israélien des droits Michael Sfard :
« La législation militaire israélienne ne s’intéresse pas à la justice », a-t-il dit le mois dernier. «Elle est là pour traiter tout acte de résistance, violent ou non violent, de criminel » et le système de tribunal militaire n’est qu’une autre branche de l’armée d’occupation. « Il ne s’intéresse pas à la justice », précise-t-il. « Son principal objectif est de brider toute tentative de résistance et d’augmenter le contrôle sur la population. »
Fadi Quran, important militant de l’organisation civique Avaaz basée aux Etats Unis et coordinateur de la campagne Libérez les Tamimi, a dénoncé l’hypocrisie de la décision prise lundi :
« Bien que les militaires et le juge aient prétendu qu’ils voulaient un procès à huis clos pour protéger la vie privée d’Ahed, Ahed a été menacée d’agression sexuelle et de meurtre, l’armée a télévisé son arrestation et attaqué sa famille », a dit Quran à Yumna Patel. « Israël a fait d’immenses efforts pour la mettre en danger en la mettant publiquement sous les projecteurs pendant ces quatre derniers mois et en ciblant sa famille ces dix dernières années. C’est faire maintenant preuve d’hypocrisie de prétendre vouloir protéger son intimité quand ils l’ont déjà violée des centaines de fois. »
Tout ceci ne va pas beaucoup déranger la plupart des Israéliens, qui veulent que la question d’Ahed disparaisse tranquillement. Qu’elle « en paye » le prix dans le noir, sans témoins ni caméras – nous n’avons pas besoin d’en savoir plus.
Passons maintenant à la question parallèle qui intéresse énormément tant d’Israéliens : la libération rapide d’Elor Azarya.
Les demandes de grâce immédiate et totale pour Azarya sont venues l’année dernière de tout le spectre politique israélien, y compris de la responsable de la gauche sioniste Shelley Yachimovitch.
En ce qui concerne sa récente libération conditionnelle, « il est vraisemblable que la libération précoce par la commission de libération conditionnelle des FDI (Forces de Défense Israéliennes) soit acceptée positivement par la majeure partie de la classe politique du pays ».
Israël devait simuler un procès aboutissant à une courte peine afin de fournir un semblant de justice dans une affaire où un meurtre de sang-froid avait été filmé au grand jour. Dès le départ, l’accusation a bien-sûr été réduite de meurtre en ‘homicide’, parce que, comme le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ne cessait de le dire : « Nos soldats ne sont pas des meurtriers. » Jusqu’à suggérer même que cette possibilité soit considérée comme outrancière et dangereuse en Israël ; la législatrice palestinienne-israélienne Haneen Zoabi a été suspendue du parlement la semaine dernière simplement pour l’avoir affirmé.
Sacs plastiques représentant Elor Azarya
Ainsi Azarya est une sorte de héros pour quantité de gens en Israël, où on le considère comme une sorte de bouc émissaire qui ‘paie pour nous tous’. Le juger était important pour les libéraux, afin qu’on ne pense pas qu’Israël accorde l’impunité totale à des meurtriers. Bien que les camarades d’armée d’Azarya eux-mêmes aient affirmé que des choses de ce genre arrivaient « quantité de fois » mais sans être filmées, Azarya a été traité, c’était commode, comme une aberration. Mais pour ses supporters qui pensent qu’il a fait ce qu’il fallait, Azarya est lui-même le héros qui paie pour les péchés des ‘politiquement corrects’ qui, pour commencer, le traduisent en justice. Il faudrait noter que, immédiatement après son tir meurtrier, des enquêtes ont montré que 57 % des Juifs israéliens pensaient que le cas d’Azrya ne nécessitait aucune enquête, ni détention et 95 % des Juifs israéliens pensaient qu’il ne s’agissait pas d’un meurtre. Ces sondages montrent essentiellement que la plupart des Israéliens pensent qu’il devrait être possible de tuer des Palestiniens impunément.
Une autre affaire récente témoigne de cette attitude : Dans un développement récent d’une affaire concernant l’assassinat d’un jeune Palestinien de 16 ans, Samir Awad à Budrus, les avocats de la défense des deux soldats ont présenté comme argument que « reconnaître des soldats coupables correspondrait à une application sélective de la loi puisqu’il est rare qu’une accusation soit portée contre des soldats des Forces de Défense Israéliennes qui tirent et tuent des Palestiniens » (comme rapporté par Haaretz). Les avocats ont présenté des documents militaires montrant que, ces sept dernières années, sur 110 cas où des soldats avaient visé et tué des Palestiniens, seules quatre accusations avaient été portées. Tristement et bizarrement ils défendent un cas – le plus souvent, on n’applique pas la justice aux soldats qui tuent – pourquoi faire cas particulier d’un soldat et lui refuser l‘impunité habituelle ?
Cette impunité est aussi morale. Les soldats qui ont occupé la maison et le village des Tamimi sont supposés avoir de la moralité. Les gifler, c’est pécher contre cette grandeur morale. Ne vous avisez pas de gifler ces soldats israéliens si moraux qui tirent dans la tête de gamins – comme ils l’ont fait sur le cousin d’Ahed Tamimi, Muhammed, juste avant sa fameuse gifle sur le soldat. Ne vous avisez pas de les affronter ainsi. Ce genre d’action est condamné à « retourner l’estomac » de n’importe quel Israélien (pour citer à nouveau Ben Caspit) et de lui retourner les sangs.
Ainsi, Ahed Tamimi peut et doit être emprisonnée jusqu’à la fin des procédures parce qu’elle pourrait, à Dieu ne plaise, gifler à nouveau, et qui sait quelle serait la durée de sa peine de prison pour cette gifle. On estime qu’elle pourrait atteindre 10 ans. Pourtant, son procès doit se tenir à huis clos. Parce que, à la différence du meurtre évident, filmé alors qu’Azirya le commettait (ce que presque tous les Israéliens ne peuvent même pas voir quand ils le regardent), son cas à elle comporte une bien plus grande complexité. La preuve n’est guère compromettante (quelle loi existe-t-il contre le fait de gifler des soldats ?), et le regard d’un vaste public pourrait démontrer la parodie de ce procès, dans lequel les ‘façonneurs’ de l’occupation ont besoin de façonner une affaire pour Ahed afin d’en faire une terroriste.
Azarya va sortir de prison au plus tard le 10 mai – juste 9 mois après le début de sa peine. Des sources proches du président Rivlin laissent entendre qu’il pourrait commuer encore plus la peine d’Azarya. Rivlin avait d’abord refusé de gracier Azarya après la réduction de peine du Chef de Cabinet, mais ces sources laissent entendre qu’il pourrait cependant ajouter sa grâce en toute fin de compte dans cette affaire, et retrancher quelques semaines de plus à la peine afin qu’Azarya soit libéré pour la célébration du Jour de l’Indépendance le 18 avril et avant l’ouverture prévue de l’ambassade américaine à Jérusalem.
De même qu’Israël célèbre son ‘indépendance’, sa libération par-dessus la ruine et l’exil des Palestiniens, ainsi Elor Azarya va célébrer sa ‘libération’ par-dessus la ruine de la vie d’Ahed Tamimi, sans fin de sa captivité en vue.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss