Diana Buttu, 4 avril, The Washington Post.
Diana Buttu a été conseillère de l’équipe des négociateurs palestiniens et a été directement impliquée dans les négociations avec Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine.
Le meurtre de 18 manifestants palestiniens à Gaza vendredi dernier était tout à fait prévisible. Il était aussi tout à fait évitable. Les victimes prenaient part à la marche annuelle du Jour de la Terre en commémoration du meurtre, en 1976, de six Palestiniens qui protestaient contre la confiscation par Israël de milliers de mètres carrés de leurs terres. L’événement de cette année marque aussi les 70 ans de nettoyage ethnique des Palestiniens et l’expulsion de leurs terres lors de la création de l’État d’Israël. Les participants ont marché vers la limite Est lourdement fortifiée entre Gaza et Israël, dans une démonstration symbolique de retour vers leur terre et vers les maisons dont eux et leurs familles sont originaires. Mais, avant même que la marche n’ait débuté, Israël annonçait qu’il déploierait plus de 100 snipers, des hélicoptères chargés de gaz lacrymogène et des tanks pour tirer sur les manifestants. Au bout d’une journée, les soldats israéliens avaient tué 18 Palestiniens à balles réelles et en avaient blessé plus de 1 700. Et ce, en dépit du fait qu’aucun soldat israélien n’a subi de préjudice ni n’a même été en danger.
C’est bien là que réside la tragédie : les Palestiniens manifestant contre le meurtre de Palestiniens non armés se font eux-mêmes tirer dessus par l’armée israélienne.
L’armée israélienne a tweeté que « tout a été sous contrôle, tout était pertinent et mesuré, et nous savons où chaque balle a abouti ». Le tweet a vite été détruit quand une vidéo est sortie montrant des soldats tirant dans le dos sur Abed el-Fatah Abed el-Nabi, âgé de 19 ans.
La tragédie ne réside pas seulement dans le meurtre de Palestiniens, mais dans les réponses d’Israël et des États Unis à ce massacre. C’est devenu un lieu commun, certes attendu, que le meurtre de Palestiniens soit ignoré, mais, ce qui est plus effrayant, applaudi par les Israéliens comme l’a été le massacre de plus de 2 200 Palestiniens à Gaza en 2014. Avigdor Lieberman, le ministre de la défense d’Israël – qui un jour a appelé à la décapitation de citoyens palestiniens d’Israël qu’il estimait déloyaux – s’est bien sûr empressé de féliciter l’armée israélienne, déclarant que ses soldats « méritent un éloge ». Les appels de Palestiniens, de l’Union Européenne et des Nations Unies pour une enquête indépendante furent promptement rejetés, Israël et l’administration Trump se rejoignant pour bloquer toute approbation d’une enquête par le Conseil de sécurité. Israël a aussi immédiatement annoncé qu’il ne passerait même pas par la mise en scène consistant à mener sa propre enquête interne. Le message envoyé par Israël et par les États Unis est que les vies des Palestiniens sont superflues, ne valent la peine d’aucune enquête, même lorsqu’il est clair que leurs vies leur ont été ôtées dans l’illégalité.
Une enquête indépendante mettrait en lumière le fait que Gaza demeure sous le régime militaire d’Israël vieux de 50 ans et sous dix ans de blocus, coupé du monde. Cela soulignerait sans aucun doute qu’en plus de la barrière électrifiée sur ses côtés est et nord, Gaza est enfermée par un mur de béton côté sud et par le blocus naval à l’ouest. Elle mettrait en relief que tous les Palestiniens qui ont été tués l’ont été à l’intérieur de Gaza, et dans la « zone tampon » imprécise imposée par Israël qui, en de nombreux endroits coupe le territoire de Gaza, de zones de pas moins de 300 mètres. Selon les mots de l’ami d‘un manifestant tué vendredi : « nous n’avons pas pénétré la zone tampon, c’est la zone tampon qui est venue à nous ». Une enquête indépendante mettrait sans doute en évidence qu’on ne peut tirer que contre des combattants engagés dans une action militaire. Tuer des gens n’est ni un jeu vidéo ni un sport. En somme, une enquête révèlerait que pour Israël, peu importe que des Palestiniens manifestent, nos vies sont considérées superflues.
C’est pour ces raisons qu’Israël et l’administration Trump bloquent catégoriquement toute enquête sur ce qu’il s’est passé vendredi. C’est pourquoi le temps est venu pour un embargo sur les armes et pour des sanctions contre Israël de l’apartheid, à l’image de l’embargo sur les armes imposé par les Nations Unies contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce n’est pas sans précédent aux États Unis, où la loi sur le contrôle de l’exportation d’armes a le pouvoir d’assurer que des armes ne soient pas données à un gouvernement « qui s’engage dans un modèle persistant de graves violations des droits humains reconnus au niveau international ». Une semblable législation existe dans l’UE. Ce qui manque c’est la volonté politique. Au contraire, tandis que les États Unis et l’UE continuent à essayer de rassurer Israël, les Palestiniens paient le prix – de leur vie.
Source : The Washington Post
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine