Par Gideon Levy, 5 avril 2018, Haaretz.
La plupart des Israéliens, qui n’ont jamais parlé à un seul Gazaoui, savent seulement que la bande de Gaza est un nid de terroristes. C’est pourquoi il est convenable de les fusiller. Choquant ? Oui, mais vrai.
On peut se déchaîner contre le premier ministre autant qu’on le veut ― il le mérite. Mais en définitive il faut se rappeler : Ce n’est pas Benjamin Nétanyahou. C’est la nation. Au moins la plus grande partie de la nation. Tout le déploiement de férocité de ces derniers jours et toute cette farce ont été conçus pour satisfaire les désirs les plus malicieux et les instincts les plus vils des Israéliens. Les Israéliens voulaient du sang à Gaza, autant que possible, et des expulsions de Tel-Aviv, autant que possible. Il n’y a aucun moyen de l’embellir ; il ne faut pas brouiller les faits. Nétanyahou ― faible, pathétique, méchant ou cynique – était mu par un seul motif : satisfaire les Israéliens et réaliser leurs désirs. Et ce qu’ils voulaient, c’était du sang et de l’expulsion.
Si seulement le problème résidait en Nétanyahou et son gouvernement. Alors, en une élection, ou peut-être deux, le problème pourrait être réglé. Les gentils reprendront le contrôle, Gaza et les demandeurs d’asile seront libérés, la provocation fasciste s’arrêtera, la probité des tribunaux sera assurée et Israël sera à nouveau un endroit dont on peut être fier. C’est une chimère. C’est pourquoi la campagne contre Nétanyahou est importante, mais certainement pas décisive. La vraie bataille est beaucoup plus désespérée et sa portée est beaucoup plus large. C’est une bataille pour la nation, parfois même contre elle.
Même les critiques de Nétanyahou admettent qu’il sait identifier les désirs de la population. Il a reconnu que la majorité voulait le nettoyage ethnique à Tel Aviv, l’ultranationalisme, le racisme et la cruauté. Nétanyahou, n’étant pas tout aussi méchant que ses supporters, a essayé un autre chemin pour un moment ― plus humain et plus rationnel. Mais quand il s’est brûlé et s’est rendu compte qu’il avait négligé le désir du peuple, il a rebroussé chemin en un temps record et est redevenu lui-même. La base, l’électorat, la majorité veut le mal. C’est ce qu’il a fourni, et c’est quelque chose qu’aucune élection ne changera. La vraie calamité n’est pas Nétanyahou ― c’est le fait que toute manifestation d’humanité en Israël est un suicide politique.
Une ligne droite du mal et du racisme s’étend de la frontière de Gaza à Tel-Aviv. Dans les deux cas, les Israéliens ne voient pas les êtres humains devant eux. Le Gazaoui et l’Érythréen sont une seule et même chose : des sous-humains. Ils n’ont aucun rêve, aucun droit et leur vie ne vaut rien.
À Gaza, les tireurs d’élite de l’armée israélienne ont abattu des manifestants non armés comme s’ils se trouvaient sur un champ de tir, salués par un concert de jubilations des médias et des masses. Dans le sud de Tel-Aviv, ils reprennent les arrestations et expulsions ― cela aussi, au son des célébrations.
C’est ce que la nation demande, et c’est ce qu’elle va obtenir. Même si des soldats tuent des centaines de manifestants à Gaza, Israël ne cillera pas. La raison : la méchanceté et la haine envers les Arabes. Gaza n’est jamais perçue comme elle est vraiment, un lieu habité par des êtres humains, une énorme et terrible prison, un immense site d’expérimentation humaine. La plupart des Israéliens, qui ― comme leur premier ministre ― n’ont jamais parlé à un seul Gazaoui, savent seulement que la bande de Gaza est un nid de terroristes. C’est pourquoi c’est convenable de les fusiller. Choquant ? Oui, mais vrai.
C’est la même chose au sud de Tel Aviv. Quand on parle des « résidents du sud de Tel Aviv », on entend par là seulement les Juifs racistes parmi eux. Les Noirs qui y vivent ne sont pas davantage considérés comme des résidents que les souris qui y vivent. Le degré de haine accumulé contre eux s’est manifesté dans la réaction au compromis présenté par Nétanyahou. Pourquoi les expulser en Europe et au Canada ? Pourquoi pas en Afrique ? Pourquoi pas par la force ? C’est un sentiment difficile à comprendre. Nétanyahou n’a fait que naviguer sur la vague de ces sentiments méprisables. Il ne les a pas générés. De toute évidence, un leader de stature les aurait combattus, mais un tel leader n’apparait même pas à l’horizon en Israël. Remplacer la nation n’est pas non plus une option viable pour l’instant.
Des Israéliens aussi s’opposent à tout ce mal bien sûr. Il n’y a pas de raison de ne pas les étiqueter par le bon nom : meilleurs, plus humains, remplis de compassion, consciencieux, moraux. Ils ne sont pas une minorité négligeable, mais la guerre menée contre eux par la majorité et le gouvernement les a paralysés. L’excuse du présentateur de radio Kobi Meidan pour avoir ressenti de la honte indique que ce camp est vaincu. Si le massacre de Gaza et l’expulsion depuis le sud de Tel-Aviv ne les font pas sortir enragés dans les rues, tout comme le massacre de Sabra et Chatila, alors ils sont une espèce en voie d’extinction.
Nous restons une nation de la majorité.