Par Maram Humaid & Farah Najjar, 29 mai 2018
Gaza, Palestine – Une flottille avec à son bord au moins 25 malades, étudiants et militants, a rompu la frontière imposée par Israël sur la côte de la Bande de Gaza, pour la première fois depuis plus d’une décennie.
Le groupe a pris la mer mardi matin depuis la Bande de Gaza assiégée, espérant briser le siège écrasant d’Israël sur l’enclave, siège qui a pris au piège plus de deux millions de Palestiniens depuis 2006.
Au milieu de la journée, le bateau avait traversé neuf miles nautiques (16 km), flanqué par quatre navires de guerre israéliens.
« Nous sommes encerclés par des navires de guerre israéliens, à gauche, à droite, devant et derrière. Nous sommes coincés au milieu », a dit aux journalistes un militant à bord de la flottille.
« Nous sommes sains et saufs et vous demandons de prier pour nous ».
Selon les Accords d’Oslo signés en 1993, Israël a l’obligation de permettre la pêche jusqu’à 20 miles nautiques, mais cela n’a jamais été exécuté.
La distance la plus grande qu’Israël ait autorisée dans le passé est de 12 miles nautiques (22 km), et à certains moments, la limite a été réduite à un mile nautique.
Les bateaux sont souvent bloqués à six miles nautiques (11 km), et les forces israéliennes lancent régulièrement des tirs d’avertissement sur les bateaux qui tentent de briser cette limite.
La flottille de mardi emmenait des malades, des étudiants et des manifestants qui ont été blessés au cours des manifestations de plusieurs semaines appelées La Grande Marche du retour – tous espérant atteindre Limassol, à Chypre, qui est situé au nord de Gaza.
Les organisateurs et les autorités ont dit à Al Jazeera que tous ceux à bord avaient des passeports valides, et que les blessés avaient fait des arrangements pour recevoir un traitement médical en Turquie.
Des centaines d’autres ont embarqué sur plus de 30 bateaux en soutien au bateau principal, mais ils ont dit qu’ils ne dépasseraient pas la limite autorisée.
Les bateaux, pour la plupart de petits bateaux de pêche, emmènent surtout des hommes et des femmes d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années. Mais quelques familles ont dit qu’elles étaient arrivées avec des bagages et des passeports, espérant quitter Gaza pour de bon.
Un des blessés de la Grande Marche du retour marche le long du port de mer de Gaza pour regarder les bateaux prendre la mer
[Hosam Salem/Al Jazeera]
« La vie est insupportable »
Pour Mona al-Araysha, 50 ans, qui fait partie des personnes espérant quitter Gaza, la vie dans l’enclave est devenue « insupportable ».
Cette mère de cinq enfants a dit que les résidents aspiraient à « sortir de là ».
« Nous ne pouvons pas simplement rester sans rien faire, nous devons être proactifs et c’est juste une façon de montrer au monde ce que nous pouvons faire », a-t-elle dit à Al Jazeera avant que le bateau ne prenne la mer.
Après l’assaut israélien de 2014 sur Gaza, trois des enfants de Araysha ont fui vers l’ Europe via la Méditerranée.
Elle avait espéré suivre leurs pas avec ses deux plus jeunes enfants.
Zakaria Nabhan, de Al-Breij, souhaitait aussi embarquer sur l’un des bateaux, espérant obtenir des soins après avoir reçu une balle dans le genou.
Nabhan s’est fait tirer dessus par les forces israéliennes le 30 mars, alors qu’il manifestait près de la clôture avec Israël dans le cadre des manifestations qui ont duré toute la semaine.
Il est maintenant sur des béquilles et a dit qu’il avait un besoin urgent de soins médicaux, comme des milliers d’autres, piégés à l’intérieur de la Bande.
« Le siège viole nos droits basiques et nos rêves », a dit à Al Jazeera Nabhan, qui souhaite aussi partir pour continuer son éducation, avant que le bateau principal ne prenne la mer.
« Nous avons besoin de passages frontaliers pour partir, nous avons besoin d’hôpitaux qui fonctionnent et d’un accès aux médicaments. »
Nabhan et al-Araysha n’étaient pas sur le bateau principal, mais avaient espéré embarquer sur l’un des bateaux de soutien.
Le mouvement coïncide avec le huitième anniversaire de l’attaque d’Israël sur la flottille turque Mavi Marmara, attaque qui a tué neuf ressortissants turcs alors que leur bateau était dans les eaux internationales.
Les garde-côtes de Gaza étaient sur place mardi, gérant la foule et demandant aux bateaux de ne pas franchir la limite nautique autorisée de crainte d’une réaction israélienne.
Les forces israéliennes ont pendant les quelques dernières semaines attaqué deux bateaux que le comité d’organisation comptait utiliser pour l’initiative.
En 2016, il y a eu 126 incidents au cours desquels la marine israélienne a fait feu sur des pêcheurs palestiniens et leurs bateaux. Cette année, 12 pêcheurs ont été blessés et 121 mis en détention, selon le Centre palestinien pour les droits humains, basé à Gaza (PCHR).
Plus tôt cette année, les forces israéliennes ont ouvert le feu sur Ismail Saleh Abu Riyala, un pêcheur de 18 ans, alors qu’il se préparait pour une nuit de pêche.
Riyala naviguait à trois miles nautiques de la côte de Gaza quand les forces israéliennes ont violemment ouvert le feu sur lui.
« Rompre le siège »
Avant que les bateaux ne prennent le large mardi, une cérémonie inaugurale a été organisée par des membres du comité d’organisation de la flottille qui sont aussi impliqués dans la campagne de la Marche du retour.
Pour montrer leur soutien, des membres de diverses factions, dont le Front populaire pour la libération de la Palestine, le mouvement du Jihad islamique, et le Hamas – le groupe qui gouverne la Bande de Gaza – ont assisté à l’inauguration.
Ils ont dit aux centaines de personnes près du port de Gaza qui y assistaient que le principal objectif du voyage était de « rompre le siège jusqu’à ce que nous obtenions notre droit au retour ». Ramadan al-Hayek, un militant de 30 ans, a déclaré à Al Jazeera que les marques d’agression d’Israël envers le peuple palestinien ne montrent « aucun signe de se terminer maintenant ».
« Aujourd’hui, les passagers, y compris les malades, les personnes blessés et les étudiants vont transmettre leur message en tant que Palestiniens de la Bande de Gaza – à savoir que nous voulons la liberté », a dit al-Hayek.
« Ils s’attendent à être attaqués par des [soldats] israéliens mais ils sont déterminés à atteindre Chypre quelque soient les circonstances », a -t-il dit.
Les organisateurs ont répété que le voyage était une continuation de la Marche du retour, qui a commencé le 30 mars avec des Palestiniens manifestant pour le droit au retour des réfugiés vers leurs maisons et leurs villages, dont ils ont été expulsés par la force en 1948.
Depuis le 30 mars, les forces israéliennes ont tué au moins 120 Palestiniens dans l’enclave côtière et blessé au moins 13000 autres.
En 2007, après la victoire électorale du Hamas et le postulat que le groupe prendrait le contrôle sur le territoire, Israël a imposé un blocus strict de Gaza, par terre, par air et par mer.
Et en 2013, l’Egypte voisine, qui a en grande partie fermé son passage frontalier avec Gaza, a bloqué des tunnels connectant Gaza avec el-Arish en Egypte, coupant la seule autre route hors de la Bande.
Des civils attendent d’embarquer à bord d’un bateau à destination de Chypre
[Hosam Salem / Al Jazeera]
Source : Al Jazeera
Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine