La Palestine crée un précédent avec sa plainte en justice

Par Zaha Hassan – 17 juin 2018

L’attention s’est focalisée sur la récente soumission par l’état de Palestine d’une requête à la Cour pénale internationale (CPI) alléguant que des responsables israéliens ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité envers le peuple palestinien. Pourtant, une autre plainte récemment déposée par l’état de Palestine a reçu beaucoup moins d’attention, bien que ses résultats soient importants pour la construction d’une base factuelle et juridique aux poursuites contre les responsables israéliens qui pourraient comparaître devant la CPI et d’autres forums — ainsi que contre l’état d’Israël lui-même si un avis consultatif était sollicité auprès de la Cour internationale de justice (CIJ).

La signification du dépôt de plainte de la Palestine au CERD

En avril, la Palestine a déposé une plainte auprès du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unis (CERD), concernant de sérieuses violations des droits du peuple palestinien. Comme la requête à la CPI, elle allègue spécifiquement des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Pourtant le dépôt de plainte au CERD est notable pour trois raisons additionnelles : l’ « état de Palestine » est le plaignant ; l’action en justice est contre l’état d’Israël, non contre un individu ; et la procédure permet à des experts juridiques internationaux mandatés pour éradiquer le racisme, la ségrégation raciale et l’apartheid de rendre une décision sur les pratiques israéliennes dans les Territoires palestiniens occupés (TPO), décision qui sera considérée comme faisant autorité par les organismes internationaux comme la CPI et la CIJ.

Ce dépôt de plainte est aussi innovant en ce que la plainte est la première de son espèce. Jamais auparavant un état n’a utilisé ce mécanisme pour se plaindre des violations des droits humains d’un autre état. Si la procédure continue et qu’un panel ad hoc d’experts du CERD est appelé à présenter ses conclusions, ceci réaffirmera le statut d’état de la Palestine et aussi que les TPO sont une unité territoriale de souveraineté palestinienne. Alors que la Knesset israélienne envisage l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie et que le Département d’Etat des Etats-Unis enlève les références à la Cisjordanie et à Gaza comme territoires occupés de ses rapports par pays, avoir un organisme juridique international qui réaffirme que la Palestine a un statut juridique en tant qu’état souligne la position palestinienne et l’illégalité de la conduite d’Israël dans les TPO.

De plus, il n’y a jamais eu d’affaire juridique portée devant un forum international statuant sur les questions de droits humains ou de responsabilité criminelle internationale qui implique les états de Palestine et d’Israël comme parties adverses. Les mécanismes juridiques internationaux existants ne permettent pas à la Palestine de porter plainte contre Israël à propos de telles violations de droits. La CIJ n’a pas compétence pour traiter de litiges [entre deux états] sauf si tous deux acceptent sa juridiction [ce qui n’est pas le cas d’Israël]. Quant à la CPI, elle n’instruit que des affaires contre des individus.

Enfin, contrairement à l’Assemblée générale des Nations Unies ou le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui sont des organes politiques composés d’états, le CERD est un « organe conventionnel »  créé en appui de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et il est composé d’experts juridiques internationaux du racisme et de la discrimination. Le CERD est mandaté pour faire respecter la convention anti raciste, qui est considérée comme un des instruments clés pour les droits humains. Tant la Palestine (en 2014) qu’Israël (en 1979) ont ratifié cette convention, ce qui requiert des deux états de respecter le principe d’égalité devant la loi et d’éradiquer les distinctions fondées sur la race, la couleur, ou l’origine nationale ou ethnique et toutes les pratiques de ségrégation raciale et d’apartheid, en particulier celles ayant lieu dans n’importe quel territoire sous leur juridiction.

Poursuivre l’action à la CPI mais se concentrer sur le CERD

La requête récente de la Palestine à la CPI est importante et a suscité des attentes pour une possible reconnaissance de la responsabilité criminelle de dirigeants israéliens civils et militaires dans des violations des droits humains commis dans les TPO. C’est la première fois que la Palestine a requis que la CPI ouvre une investigation, même si elle avait auparavant fourni de la documentation à la CPI pour son « examen préliminaire » sur des actes commis par Israël depuis l’ Opération Plomb durci de 2014 – un examen qui a avancé à une allure d’escargot et n’a pas abouti à l’ouverture formelle d’une investigation.

La requête à la CPI inclut les violations pendant la suppression des manifestations à Gaza connues sous l’appellation de Grande Marche du retour, la politique de colonisation d’Israël dans les TPO, y compris Jérusalem-Est, et la violence persistante contre les Palestiniens dans le cadre de l’expansion territoriale d’Israël. La requête palestinienne aura de sérieuses ramifications pour l’avenir des relations israélo-palestiniennes et des efforts de paix, et conduira à des lois américaines qui exigent la suspension de l’aide à l’Autorité palestinienne et la fermeture du bureau de représentation de l’OLP à Washington, DC.

Pourtant l’importance de la plainte de la Palestine au CERD ne peut être surestimée. D’autres forums internationaux s’appuient fréquemment sur les résultats factuels et les conclusions juridiques d’organes conventionnels des Nations Unies comme le CERD. Un exemple notable est l’avis consultatif de la CIJ sur la légalité de la construction du mur de séparation d’Israël dans les TPO. Ainsi, si les résultats du CERD suivant la décision sur la plainte de la Palestine contre Israël sont rendus publics, tout avis consultatif futur de la CIJ pourrait potentiellement se fonder sur eux– et ils pourraient faire autorité dans le cas maintenant référé à la CPI pour que des responsables israéliens soient tenus pour criminellement responsables. Ceci est le fait du dépôt de plainte de la Palestine devant l’organe anti-racisme des Nations Unies quelque chose à suivre, particulièrement depuis qu’une des allégations faites dans la requête récente à la CPI est qu’Israël a établi un système d’apartheid dans les TPO.

 

Zaha Hassan
Zaha Hassan, membre d’Al Shabaka, est avocate des droits humains et ancienne coordinatrice et conseillère juridique de l’équipe de négociation palestinienne lors de la candidature de la Palestine aux Nations Unies en 2010-2012. Elle est ME Fellow à la New America Foundation et directrice du Comité directeur palestinien pour la paix et la réforme. Elle a reçu un J.D. de l’université de Californie à Berkeley, un LLM en droit transnational et international de l’université Willamette, et un B.A. en sciences politiques et en langages et civilisations du Proche-Orient de l’université de Washington à Seattle.

Source : Al Shabaka
Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine

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