Par Ali Abunimah – 14 juin 2018
De jeunes palestiniens se tiennent le 2 juin devant une position militaire fortifiée israélienne à la frontière Gaza-Israël, à l’Est de Khan Younis, pendant les manifestations contre le siège israélien et pour le droit au retour. (Ashraf Amra / APA images)
Les dirigeants israéliens responsables de l’assassinat de plus de 100 manifestants palestiniens depuis le 30 mars dans la Bande de Gaza occupée devraient faire face à des sanctions, dit Human Rights Watch.
« Il faut que la communauté internationale détruise les vieux modèles auxquels se réfère Israël et par lesquels les USA font obstacle à sa responsabilisation avec leur veto au Conseil de Sécurité de l’ONU », déclare Sarah Leah Whitson, directrice du groupe Moyen-Orient, dans un nouveau rapport sur les tirs mortels sur plus de 60 Palestiniens en une seule journée le 14 mai.
Whitson dit que le monde doit commencer à faire payer à Israël « le coût réel » de son « mépris flagrant pour la vie des Palestiniens ».
Parmi ceux tués ce jour-là, il y avait sept enfants, dont une fille de 14 ans, Wesal Khalil. Cinq ont été atteints à la tête ou au cou et deux à l’abdomen.
« Les pays tiers devraient imposer des sanctions contre les fonctionnaires responsables de graves violations continues des droits de l’Homme », déclare Human Rights Watch.
Parmi les responsables israéliens nommés dans le rapport comme approuvant la politique du tirer-pour-tuer-ou-mutiler contre des gens qui « ne présentaient aucune menace vitale imminente » il y a le chef des armées Gadi Eizenkot, le ministre de la Défense Avigdor Lieberman et le premier ministre Benjamin Netanyahu.
I believe it’s first time Human Rights Watch calls on third countries to impose targeted sanctions against Israeli officials responsible for serious human rights violations. https://t.co/5SVJvR7T4U
— Jamil Dakwar (@jdakwar) June 13, 2018
De son côté, l’association palestinienne des droits de l’Homme Al-Haq a publié une liste de déclarations publiques de dirigeants israéliens montrant leur intention de commettre des crimes de guerre.
Human Rights Watch a interviewé neuf témoins du massacre du 14 mai, dont sept ont été eux-mêmes atteints par les snipers israéliens à différents endroits le long de la frontière Gaza-Israël où ont pris place les manifestations de la Grande Marche du Retour.
Six des témoins disent qu’ils se trouvaient à 200 à 300 mètres des deux barrières parallèles, qu’Israël a dressées le long de la frontière, quand les forces israéliennes leur ont tiré dessus à balles réelles.
« Parmi les victimes, il y a des journalistes, des membres de la protection civile et des bénévoles qui essayaient d’évacuer les blessés, et un enfant qui s’éloignait en courant des barrières », énonce le rapport.
Trois autres témoins, dont un garçon de 14 ans, précisent qu’ils ont été touchés alors qu’ils étaient à 30 à 40 mètres des barrières.
Un homme blessé, abattu
Lors d’un incident navrant, Samer Nasser, 23 ans, a dit qu’il faisait partie d’un groupe qui avait jeté des pierres et essayé d’approcher de la barrière de barbelés à l’Est de Jabaliya quand quelqu’un près de lui a été atteint au bras.
Nasser a essayé d’évacuer l’homme dans son « tuk tuk » – tricycle motorisé – quand les forces israéliennes ont « entamé un tir nourri ».
« L’homme blessé dans mon tuk tuk a été à nouveau atteint à la tête et est mort sur le coup, et j’ai été atteint à la cuisse », a dit Nasser. « J’ai saigné pendant un quart d’heure et j’ai dû ramper jusqu’à une femme qui m’a aidé. »
Une vidéo prise par un autre résident de Gaza, Jamil Barakat, montre la femme qui s’abrite derrière un rocher tout en faisant signe à Nasser et l’encourageant à ramper jusqu’à elle.
« Heureusement, nous n’avons pas été touchés, mais nous n’avons pu ni avancer ni reculer pendant une demi- heure parce qu’ils ouvraient le feu sur nous », a déclaré Barakat, qui s’abritait aussi derrière le rocher.
Cependant, Maher Harara, 48 ans, du quartier de Shujaiya à l’est de Gaza ville, a dit à Human Rights Watch « qu’il avait vu le doigt d’une femme arraché alors qu’elle faisait le V de la victoire » tandis qu’elle était à environ 40 mètres des barrières.
Harara lui-même a été atteint à la jambe dans la même zone quelques heures plus tard.
« Je ne portais rien, même mon téléphone portable était dans ma poche, et je me tenais tout seul, mais peut-être qu’ils m’ont tiré dessus parce que je portais un pantalon noir et un tee-shirt noir, ce qui leur a fait penser que j’étais un chef, ce que je n’étais pas », dit-il.
Aucune justification
Tandis que Human Rights Watch cite un exemple où quatre hommes armés ont tiré sur les forces israéliennes au nord de Gaza le 14 mai, l’association remarque que la très grande majorité des manifestants n’était pas armée.
L’armée israélienne a admis ce jour-là que « Nos troupes n’ont subi aucun tir direct soutenu » et que personne de Gaza n’a réussi à traverser les barrières à la frontière.
Un témoin a dit à Human Rights Watch qu’il avait eu « connaissance d’une personne qui avait rejoint les manifestations du 14 mai en portant une arme, mais ne l’avait apparemment pas utilisée parce que des membres du Hamas l’avait averti que s’en servir pouvait rapidement conduire les soldats israéliens à viser la zone ».
Israël prétend que ses tirs intensifs à balles réelles, qui ont blessé environ 3.900 personnes, causant quantité de blessures graves et ayant un impact sur le reste de leur vie et qui provoquent une catastrophe médicale, sont nécessaires à son auto-défense.
« L’utilisation de tirs à balles réelles ne peut se justifier par la croyance que tout Palestinien qui essaie d’ouvrir les barrières est une menace vitale imminente », dit Human Rights Watch, mettant l’accent sur le nombre de fois où les victimes ont été atteintes loin des barrières.
L’association réagit aussi aux efforts faits par Israël pour justifier le massacre du 14 mai après coup en prétendant que 50 de ceux qui ont été tués étaient des membres du Hamas.
« L’encouragement du Hamas et son soutien aux manifestations et la participation de membres du Hamas aux manifestations ne justifient pas l’utilisation de tirs à balles réelles contre des manifestants qui ne représentaient aucune menace pour la vie », déclare Human Rights Watch.
L’association exhorte la Procureure en chef de la Cour Criminelle Internationale, Fatou Bensouda, à ouvrir une enquête officielle sur les violations contre les Palestiniens qui pourraient déboucher sur la mise en accusation et le procès de dirigeants israéliens.
USA, Israël isolés à l’ONU
Le rapport de Human Rights Watch est sorti le jour où l’Assemblée Générale de l’ONU s’est réunie pour voter sur une résolution déplorant « tout usage excessif, disproportionné et aveugle de la force par les forces israéliennes contre les civils palestiniens », ainsi que l’utilisation de balles réelles contre les manifestants, enfants, personnel médical et journalistes.
Le texte ressemble à un projet que les Etats Unis ont voté plus tôt ce mois-ci au Conseil de Sécurité.
Malgré l’intense opposition de la part des Etats Unis et d’Israël, l’Assemblée Générale l’a voté par 120 voix contre 8 et 45 abstentions.
#UNGA adopts resolution on Protection of the Palestinian civilian population with vote of 120 countries in favour; 8 against; and 45 abstentions. https://t.co/COtk2FGIlX pic.twitter.com/nl94JKJTxc
— United Nations (@UN) June 13, 2018
La résolution « déplore aussi le tir de roquettes de la Bande de Gaza contre des zones civiles israéliennes » – rare occurrence – mais n’a nommé ni le Hamas ni aucun autre groupe comme jugé responsable.
Les USA avaient essayé d’introduire un amendement condamnant le Hamas, mais il a été rejeté.
La résolution qui a été votée ne demande aucune conséquence spécifique pouvant tenir Israël pour responsable, demandant simplement au secrétaire général de l’ONU de présenter des propositions sur un « mécanisme de protection internationale » pour les Palestiniens qui vivent sous occupation militaire israélienne.
#UNGA adopts resolution on Protection of the Palestinian civilian population with vote of 120 countries in favour; 8 against; and 45 abstentions https://t.co/7U2pfxmCSs #TimeForAction #Accountability pic.twitter.com/qgvioHtsBB
— Al-Haq الحق (@alhaq_org) June 13, 2018
Malgré le manque de mordant de la résolution, le vote a néanmoins fourni un autre signal de l’isolement américain et israélien. Les seuls pays qui ont rejoint la paire en votant contre la résolution furent le Togo, l’Australie et quelques minuscules états insulaires et leurs dépendances, Nauru, la Micronésie, les Iles Marshall et les Iles Salomon.
A remarquer que les pays de l’Union Européenne se sont scindés entre les 12 qui ont voté pour la résolution et les 16 qui se sont abstenus.
La France, la Belgique et l’Irlande ont soutenu la résolution, tandis que l’Allemagne, le Royaume Uni et les Pays Bas ont fait partie de ceux qui se sont abstenus.
Pourtant, même les votes positifs de pays européens ne sont rien de mieux que des déclarations d’intention, étant donné l’énorme et profonde complicité européenne avec le régime israélien d’occupation, de colonisation et d’apartheid.
Le même jour que le vote de l’ONU par exemple, une coalition d’organisations a publié un rapport soulignant le rôle de trois sociétés françaises, dont une succursale des chemins de fer nationaux, dans la construction et le fonctionnement du tramway israélien pour relier ses colonies dans et autour de Jérusalem Est, en violation du droit international.
Le Canada, où le gouvernement libéral de Justin Trudeau a poursuivi la politique résolument pro-israélienne de son prédécesseur conservateur, s’est lui aussi abstenu.
Auparavant, le Canada avait voté pour l’amendement américain rejeté qui voulait faire porter le blâme sur les Palestiniens.
Traduction : J. Ch pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada