Par Suhad Bishara, Haokets, le 21 juin 2018
Des protestations contre des familles arabes qui emménagent dans des villes juives nous rappellent que, tant que tout le monde ne sera pas libre de choisir où il veut vivre, le régime israélien restera fondamentalement ségrégationniste et raciste.
Image de manifestation d’israéliens d’extrême-droite
Les résidents juifs d’Afula, ville du nord d’Israël, ont protesté la semaine dernière contre la vente d’une maison à une famille arabe et la possibilité que la ville ait une population mixte juive et arabe.
Je ne doute pas une seconde que toute personne croyant à la liberté et à la justice verrait cette protestation comme l’expression d’un racisme pro-ségrégationniste rappelant l’apartheid sud-africain.
Cette protestation arrive juste quelques mois après que Sivan Yehieli, président du Conseil Municipal de Kfar Vadim, a annoncé que sa ville champêtre devait conserver son caractère juif-sioniste après que 58 citoyens arabes ont remporté le droit de construire leur maison dans la ville.
Disons les choses clairement : 150 protestataires, ce n’est pas une aberration en Israël. Ils ont simplement exprimé ouvertement la ségrégation raciste sur laquelle le régime a été fondé. C’est précisément la façon dont l’autorité militaire – en fait de 1949 à 1966 – a géré les citoyens arabes d’Israël : « nettoyer » de vastes étendues de terre afin d’y établir des Juifs et s’assurer des réserves de terre qui continueraient à servir exclusivement aux Juifs israéliens.
Ce processus de « nettoyage » a été mis en place, entre autres, par la construction de centaines de nouvelles villes et communautés juives, ainsi que par l’établissement de comités d’admission dans les kiboutzs, les moshavs et autres communautés.
Yehieli représente fidèlement la politique des autorités israéliennes de planification qui vise à restructurer démographiquement le pays. Il représente un système juridique israélien qui a refusé d’accorder l’installation de sa propre décision d’autoriser les résidents palestiniens d’Iqrit et de Bir’im déplacés intérieurement à retourner dans leurs villages, ce qui a donné le feu vert à la Loi des Comités d’Admission et qui donne le droit à l’État de déraciner les résidents d’Umm al-Hiran afin de les remplacer par des citoyens juifs – exactement comme pendant et immédiatement après la Nakba. Et nous pouvons en attendre encore beaucoup plus.
Des Bédouines ramassent leurs biens dans les ruines de leurs maisons détruites dans le village d’Umm al-Hiran, dans le désert du Negev, le 18 janvier 2017.
(Hadas Parush/Flash90)
Ce n’est pas une coïncidence si la loi fondamentale proposée pour l’Etat-nation comporte une clause autorisant l’État à « permettre à une communauté, y compris celles n’appartenant qu’à une seule religion ou une seule nationalité, de conserver une vie en société séparée ». Cette proposition de loi fondamentale confirmera sur un plan constitutionnel et normatif la politique israélienne de ségrégation. En réalité, la citoyenneté des Arabes restera conditionnelle, pourvu qu’elle n’entre pas en conflit avec l’indépendance et la suprématie juives et le ‘droit’ des citoyens juifs de choisir de vivre séparément sans que d’autres citoyens puissent saboter leur désir d’homogénéité.
L’essentiel de la critique adressée au racisme des résidents d’Afula vise le manque de développement des communautés arabes, ce qui oblige les jeunes citoyens arabes à chercher des solutions de logement près des villes juives.
Ce raisonnement empêche d’envisager une situation dans laquelle un citoyen arabe d’Israël aurait le droit de choisir où elle/il souhaite vivre, simplement parce que cela lui convient de vivre là. Il adopte le paradigme d’un régime territorial discriminatoire, raciste et semblable à de l’apartheid, qui les oblige à trouver une explication circonstancielle au phénomène plutôt que de l’appeler par son nom : racisme et ségrégation.
Imaginez un scénario dans lequel le gouvernement israélien entamerait des démarches sans précédent pour allouer de la terre pour le développement des communautés arabes. Imaginez qu’il commence à développer les communautés arabes de toutes sortes – villes, villages et communautés agricoles – tout en assurant le développement de zones industrielles et commerciales conformément aux principes de justice distributive et réparatrice.
Et pourtant, même dans ce scénario, reste le droit de tout citoyen arabe de décider où il ou elle veut vivre – que ce soit à Kfar Vadim, Tel Aviv ou Afula.
Tant que les autorités de l’État d’Israël ne pourront ou ne voudront pas imaginer la terre de ce pays comme ouverte à tous, nous ne pourrons parler de justice ou de droits constitutionnels. Le régime israélien restera fondamentalement ségrégationniste et raciste. Vivre en ségrégation restera raciste, même sous la formulation « séparés mais égaux ».
Imaginez des manifestants protestant contre des Juifs qui achèteraient des logements dans une ville chrétienne d’Europe. Les Israéliens les déclareraient racistes et antisémites, et le premier ministre d’Israël ferait sûrement remarquer que cela lui rappelle les sombres jours qui ont conduit à l’Holocauste. En Israël pourtant, une scène presque identique est décrite par l’ancien maire d’Afula, Avi Elkabetz, comme suit : « Les résidents d’Afula ne veulent pas d’une ville mixte. Ils veulent une ville juive – et c’est leur droit. Ce n’est pas du racisme. »
Ainsi le racisme en Israël devient, comme par magie, le « droit légitime » du citoyen juif.
La procureure Suhad Bishara est la directrice de l’Unité des Droits et de la Planification Territoriale, Adalah – Centre Juridique pour les Droits de la Minorité Arabe en Israël. Cet article a d’abord été publié en hébreu dans Haokets.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : 972mag