15 juillet 2018 – Farah Najjar & Maram Humaid
Une frappe aérienne israélienne a tué Luay Kaheel, 16 ans, et Amir al-Nimra, 15 ans, alors qu’ils jouaient sur le toit d’un immeuble.
La mère d’Amir al-Nimra de 15 ans, la seconde en partant de la gauche, et ses trois filles pour sa veillée funèbre à Gaza [Hosam Salem/Al Jazeera]
Umm Luay zoome avant sur une photographie sur son portable et embrasse l’écran encore et encore.
Sur la photo, on voit son fils, Luay Kaheel, souriant à côté de son ami, Amir Al-Nimra. Les deux adolescents, respectivement 16 et 15 ans, sont morts samedi quelques minutes après qu’un raid aérien israélien ait frappé le toit d’un immeuble de Gaza sur lequel ils étaient en train de jouer.
« J’ai entendu une explosion et j’ai su instinctivement que quelque chose venait d’arriver à mon fils », a dit dimanche à Al Jazeera Umm Luay, 33 ans,entourée d’un groupe de femmes assises chez elle à Gaza.
Cette jeune mère venait juste de rentrer chez elle lorsque le raid aérien a frappé le bâtiment, square al-Kateeba, situé juste à côté du parc fréquenté par les familles palestiniennes pendant les mois d’été.
« J’ai d’abord entendu qu’Amir avait été tué et c’est alors que j’ai su », a-t-elle dit. « J’ai couru à l’hôpital et j’ai commencé, frénétiquement, à chercher mon fils. »
A son arrivée à l’hôpital al-Shifa, un groupe d’hommes a immédiatement appris la nouvelle à Umm Luay – son fils avait aussi perdu la vie.
Samedi, l’armée israélienne a lancé une série de raids aériens sur ce qu’elle disait être des positions du Hamas à l’intérieur de Gaza. En plus des deux garçons tués, au moins 30 Palestiniens ont été blessés dans ces attaques.
Ce fut la plus violente agression en plein jour sur l’enclave assiégée depuis la guerre de 2014 où au moins 2.251 Palestiniens, la plupart civils, ont été tués. Au moins 66 soldats et six civils israéliens avaient également été tués à l’époque.
Le Hamas a dit samedi qu’il a lancé des dizaines de roquettes et de mortiers pour répliquer aux raids aériens israéliens. Au moins quatre Israéliens ont été légèrement blessés.
Le père d’Amir al-Nimra pleure de chagrin après les funérailles de son fils
[Hosam Salem/Al Jazeera]
‘Je n’avais jamais pensé que je perdrais l’un de mes enfants’
Tous deux nés en 2003, Luay et Amir étaient inséparables. « Comme deux frères jumeaux », ont dit leurs mères.
Les deux garçons ont grandi dans la même rue au centre de Gaza. Ils étaient camarades de classe depuis la maternelle et allaient tous les jours ensemble à l’école.
« Il était très intelligent », a dit de son fils Umm Luay la voix brisée. Elle avait toujours espéré que Luay, qui aimait lire, grandirait jusqu’à obtenir un diplôme universitaire à l’étranger afin de s’offrir « de meilleures chances ».
« Je le traitais parfois comme s’il avait 10 ans », a-t-elle ajouté en parlant de Luay, l’aîné de ses six enfants.
Quand ils n’étaient pas à l ‘école, Les deux enfants passaient aussi la plus grande partie de leur temps ensemble, allant souvent dans le parc près du square al-Kateeba pour jouer au football.
Passionnés de sport, les garçons ont suivi de près la Coupe du Monde 2018 et se comparaient toujours aux célèbres joueurs.
« Mon fils a quitté la maison avec un ballon de foot, pas une arme », a dit Umm Luay.
Siège dévastateur
Comme beaucoup de Palestiniens de la Bande de Gaza, Luay et Amir ont vécu la majeure partie de leurs années de formation sous un blocus paralysant, imposé par Israël et l’Egypte, qui est maintenant dans sa 12ème année.
Le siège a ravagé l’économie de l’enclave côtière, restreignant sévèrement l’entrée de la nourriture et l’accès aux services basiques. Peuplée de plus de deux millions de personnes, Gaza a été qualifiée de « plus grande prison à ciel ouvert du monde » et, ces douze dernières années, elle a été témoin de trois agressions israéliennes.
« La veille du jour où il a été tué… il m’a raconté à quel point il suffoquait face à la réalité sur le terrain », a rappelé Umm Luay.
Depuis le 30 mars, les gens de la Bande de Gaza ont manifesté contre le blocus et pour le droit des Palestiniens à retourner dans les maisons d’où ils ont été expulsés en 1948. Plus de 130 personnes ont été tuées par les tirs israéliens pendant les rassemblements populaires de la Grande Marche du Retour le long de la barrière frontalière avec Israël.
La semaine dernière, Israël a bouclé Karam Abu Salem, seul passage commercial frontalier de Gaza, disant que c’était en représailles contre les incendies provoqués par les Palestiniens sur la terre israélienne. Ce passage est l’ouverture essentielle pour faire passer ce qui est nécessaire aux résidents de l’enclave, dont les matériaux de construction indispensables à la reconstruction des infrastructures dévastées de la ville.
Ayed Abu Qtaish, directeur de la branche de l’ONG Défense des Enfants International – Palestine, a dit à Al Jazeera que le nombre d’enfants tués dans la Bande de Gaza par les forces israéliennes depuis le début de 2018 s’élève à 25.
Umm Luay a dit qu’elle était consciente des risques qu’il y avait à élever ses enfants dans un endroit souffrant de tant de traumatismes et de violence, mais qu’elle ne s’attendait pas à ce que quelque chose de semblable puisse arriver.
« Je ne m’attendais pas à perdre l’un de mes enfants », a-t-elle dit en pleurant.
La famille affligée après la mort des deux adolescents [Hosam Salem/Al Jazeera]
‘Je ne peux pas le comprendre’
Tandis que Luay souffrait d’une frappe à la tête et dans le dos, tout le corps d’Amir était percé d’impacts de shrapnels.
Les infirmiers sur place ont trouvé le portable d’Amir à côté et l’ont donné aux gens de sa famille.
Faisant défiler les images, la mère d’Amir, Maysoon al-Nimra, a regardé la dernière photo de son fils qu’il avait prise avant le raid aérien au sommet du bâtiment à moitié abandonné.
« Quand les attaques ont commencé, comme n’importe quelle mère, j’ai rassemblé mes enfants autour de moi, mais Amir n’était toujours pas rentré », se rappelle t-elle.
Quelques instants plus tard, un parent est arrivé en courant avec une photo reçue de quelqu’un à l’hôpital. On y voyait un garçon en chemise verte couverte de sang.
Maysoon réalisa que la chemise était celle de son fils et elle se rua vers l’hôpital.
Après qu’on lui ait dit que Luay seul avait été tué, Maysoon se douta que le personnel de l’hôpital essayait seulement de la consoler avant de lui faire connaître peu à peu la vérité sur son fils.
Elle trouva ainsi rapidement le chemin vers la morgue de l’hôpital et y vit son fils enveloppé dans plusieurs couches de draps blancs.
« J’ai commencé à le secouer, essayant de le réveiller. Je me sentais comme dans un rêve. »
« Je ne peux pas le comprendre. J’ai passé la nuit simplement à fixer une photo de lui souriant et l’autre photo avec le sang coulant de sa tête », a-t-elle dit.
« Comment cela est-il arrivé ? Comment cela a-t-il pu arriver ? Il y a maintenant un énorme trou dans notre maison et il ne sera jamais comblé. »
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : Al Jazeera News