Zena Agha – 4 septembre 2018
L’administration américaine mène un combat contre les réfugiés palestiniens. Des mesures diplomatiques, juridiques et financières – essentiellement conçues par le gendre et conseiller spécial du président Donald Trump, Jared Kushner – visent à « retirer » la question des réfugiés palestiniens et à écraser ainsi les revendications de rapatriement et de réparations avant de dévoiler « l’accord du siècle ». L’approche de l’administration est double, fondée sur des restrictions financières en même temps que sur une pression diplomatique et émanant du Congrès.
Depuis décembre 2017, Kushner essaie de démanteler l’Agence d’aide et de travaux de l’ONU, dont le but est de fournir de la nourriture, des soins de santé, de l’éducation et d’autres services vitaux à 5,3 millions de réfugiés palestiniens qui ont été chassés de leurs maisons lors de la Nakba de 1947-48.
Kushner a orchestré une série de coupes dans le budget de l’UNWRA qui ont mené l’organisation au bord de la faillite. En janvier 2018 l’administration a amputé le premier acompte qui s’élève à 125 millions de dollars (108 millions €) de ses paiements annuels à l’UNWRA, de plus de la moitié.
La semaine dernière, les États Unis ont annoncé qu’ils ne contribueraient plus du tout à l’UNWRA, jugeant que c’était une opération irrémédiablement défectueuse, avec des chocs financiers qui se sont répercutés dans le monde arabe.
La Maison Blanche a également demandé au Congrès de retirer les 200 millions de dollars (173 millions €) d’aide américaine à des groupes de secours privés et à des associations non-gouvernementales (tel Mercy Corps) qui agissent dans les territoires palestiniens occupés (TPO).
En même temps, Kushner cherche à transformer le statut de réfugié palestinien. Israël et son allié américain accusent l’UNWRA de perpétuer la question des réfugiés et de soutenir le droit au retour des réfugiés en accordant le statut de réfugiés aux descendants de ceux qui ont été chassés pendant la Nakba.
La « solution » américaine est de priver ces descendants de leur statut de réfugiés. Cela permettrait que l’UNWRA ne s’occupe que des réfugiés survivants, dont le nombre est estimé à 20-30 000 (un chiffre qui décroîtrait d’année en année), d’interrompre les actions de l’UNWRA pour les descendants, de rediriger les fonds vers des pays hôtes pour une « réinsertion » et d’écraser toute possibilité de retour.
Un projet de loi au Congrès tente de codifier cette nouvelle formulation. HR6451 stipule que seuls les réfugiés survivants sont éligibles à être réinsérés et bénéficier des services de l’UNWRA. Le reste de l’aide serait dirigé vers l’Agence des États Unis pour de Développement International (USAID), qui est tenue, par la loi Taylor Force de 2018, à une interdiction de l’aide américaine à l’Autorité Palestinienne jusqu’à ce que certaines conditions soient réunies. Le projet de loi a été soumis au Comité de la Maison (Blanche) pour les Affaires Étrangères.
Manipulation de la qualité de réfugié
L’intention n’est pas seulement de bousiller l’infrastructure humanitaire qui soutient des réfugiés palestiniens vulnérables, mais de modifier complètement la façon dont la qualité de réfugié palestinien est comprise et traitée. La manipulation n’est pas seulement à courte vue, elle est fondamentalement incorrecte : selon le Haut Commissaire de l’ONU pour les réfugiés, les descendants de réfugiés palestiniens sont reconnus comme réfugiés. La démarche constitue aussi un diagnostic erroné faisant de l’UNWRA la source plutôt que le produit de la réalité des réfugiés, qui ne s’effacera pas, même si l’UNWRA est démantelée. Au contraire, des millions de gens seraient laissés sans éducation, sans travail, sans alimentation ni soins de santé.
Kushner parie sur la complaisance des Palestiniens, mais les enjeux sont importants pour tous ceux qui sont concernés, et Israël est perdant si les services de l’UNWRA sont retirés. Selon la Quatrième Convention de Genève, Israël, en tant que puissance occupante, est légalement obligé de fournir de la nourriture et des équipements médicaux en plus d’assurer la santé publique de la population occupée. Retirer le soutien de l’UNWRA dans les TPO laisserait un vide qu’Israël serait obligé de combler. Au vu de ses performances antérieures, il est improbable qu’Israël respecte cette obligation.
Derrière la démarche de Kushner, il y a le désir d’éliminer les revendications palestiniennes de souveraineté et de réparations – un droit accordé aux réfugiés partout dans le monde. Les questions du prétendu statut final telles que Jérusalem, les colonies et les réfugiés sont considérées comme faisant partie intégrante d’une « solution » négociée du conflit Palestine-Israël. Mais le droit des habitants de la Palestine déplacés à retourner sur leurs terres, inscrit dans la Résolution 194 de l’ONU, est depuis longtemps l’aspect le plus litigieux du conflit parce que c’est un défi radical au projet sioniste même d’édification d’une nation – un projet qui repose sur la suprématie israélienne-juive du Jourdain à la Méditerranée.
Recommandations en matière politique
1. Des pro-palestiniens et des membres de la société civile devraient développer la sensibilisation sur des lois qui sont une menace pour les réfugiés palestiniens. Ils devraient en particulier agir avec des membres du Congrès qui, de plus en plus critiquent et se font entendre sur les violations des droits par Israël. Ils devraient chercher à s’assurer que l’argent attribué pour la Palestine est dépensé et repousser les tentatives de l’administration Trump de contourner la loi. Par exemple, l’administration essaie de mettre les 200 millions de dollars d’aide évoqués plus haut dans un « paquet de résiliation » pour éviter de les dépenser – une mesure que le Congrès est tenu d’approuver.
2. Des membres critiques du Congrès et la société civile devraient avoir un œil attentif sur la politique de l’administration Trump sur les colonies. Avec la « manipulation » de questions sur le statut final comme Jérusalem et les réfugiés, de même que les liens étroits personnels, économiques et politiques entre certains membres de l’administration et les colonies, sortir la question des colonies de la table des négociations pourrait bien être la prochaine chose sur la liste de Kushner.
3. D’autres pays pourraient continuer à augmenter leur soutien financier et diplomatique à l’UNWRA, reconnaissant ainsi que le moment est critique dans la région et que les répercussions pour les réfugiés palestiniens sont injustes et cruelles.
Zena Agha est associée en politique américaine à Al-Shabaka. Ses domaines d’expertise comprennent la construction des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés, avec une focale sur Jérusalem, l’histoire moderne du Moyen Orient, et les pratiques territoriales. Elle a travaillé à l’Economist, à l’Ambassade d’Irak à Paris, à la Délégation de la Palestine à l’UNESCO. Outre des textes d’opinion dans The Independent et The Nation, Zena a à son actif dans les media, le service international de la BBC, la BBC en arabe et El Pais. Zena a reçu une bourse Kennedy pour effectuer à Harvard un Master’s en études moyen-orientales.
Source : Al Shabaka
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine