Maureen Clare Murphy, 25 novembre 2018
Des auxiliaires médicaux évacuent un manifestant gravement blessé durant les manifestations de la Grande marche du retour le 5 octobre.
Photo: Mohammed Zaanoun ActiveStills
Les Palestiniens ont payé un lourd tribut pour leur appel à une vie dans la dignité pendant les manifestations de masse le long de la frontière de Gaza avec Israël ces huit derniers mois.
Près de 180 Palestiniens ont été abattus par les forces d’occupation israéliennes et près de 6 000 autres ont été blessés par balles pendant la Grande marche du retour.
« La vaste majorité des victimes n’étaient pas armées, et ils ont été abattus à distance alors qu’ils se trouvaient à l’intérieur de la Bande de Gaza », selon un nouveau rapport du groupe israélien B’Tselem, confirmant les conclusions d’autres organisations de défense du droit.
« En règle générale, les soldats en tenue de protection qui leur tiraient dessus depuis l’autre côté de la clôture n’étaient pas en réel danger », a ajouté B’Tselem.
En plus des blessures par balles réelles, 2 000 cas de blessures par inhalation de gaz lacrymogènes ont été enregistrés, ainsi que des centaines de blessures par balles en caoutchouc.
Pour 90 manifestants – dont 17 enfants – les blessures ont conduit à une amputation, des membres inférieurs pour pratiquement tous.
Au total, et c’est un nombre stupéfiant, ce sont 24 000 Palestiniens qui ont été blessés au cours de la Grande marche du retour – plus d’un pour cent de la population du territoire.
Environ la moitié des blessés ont été traités dans des hôpitaux de campagne sur les lieux des manifestations. Les autres ont été transférés vers des hôpitaux pour y être soignés.
« L’arrivée massive des victimes a déstabilisé un système de santé déjà fragile », selon l’Organisation mondiale de la santé. « Dans les hôpitaux, les patients victimes de trauma sont renvoyés pour faire de la place aux nouveaux patients. »
Des centaines de Palestiniens vont avoir besoin de reconstructions de membres à long terme, de nombreuses opérations et une rééducation longue, selon l’Organisation.
Tirer dans les membres inférieurs
B’Tselem a suivi plus de 400 manifestants blessés par armes à balles réelles, dont 63 enfants.
La vaste majorité – 85 pour cent – avait reçu une balle dans les membres inférieurs.
Environ 40 pour cent ont été blessés alors qu’ils se trouvaient dans la proximité imméditate de la clôture entre Gaza et Israël. Environ un tiers étaient jusqu’à 150 mètres de la clôture. Un peu plus de 20 pour cent se trouvaient à plus de 150 mètres lorsqu’ils ont été atteints.
Parmi les enfants interrogés, 41 ont dit avoir été « blessés alors qu’ils regardaient la manifestation, agitaient un drapeau, photographiaient ou filmaient la manifestation, étaient en train de s’éloigner de la manifestation, ou aidaient les blessés », a constaté B’Tselem.
Pratiquement tous les manifestants blessés à balles réelles suivis par B’Tselem nécessitent un traitement médical long. Plus de la moitié auront besoin de rééducation et de physiothérapie. Dix pour cent ne pourront pas être guéris.
Avoir reçu une balle des forces d’occupation n’est que « la première étape d’un long calvaire », selon B’Tselem.
« Même un système de santé fonctionnant magnifiquement serait douloureusement mis à l’épreuve par un tel nombre de victimes », dit le groupe.
« Mais à Gaza, même avant que les manifestations ne commencent, le système de santé était déjà sur le point de s’effondrer. »
L’état de délabrement du système de santé de Gaza est le résultat des 11 ans de blocus israélien qui sont au cœur de ces manifestations, réprimées par une violence brutale.
Médicaments en rupture de stock
Au début du mois, la pharmacie centrale de Gaza « était en rupture complète pour 226 médicaments essentiels, et n’avait plus qu’un stock d’un mois pour 241 autres », déclare B’Tselem.
Les stocks de plus de 250 articles de matériel médical sont épuisés.
« Le blocus impose des restrictions sur le remplacement du matériel médical qui est usé ou cassé, sur l’importation d’équipement médical et de médicaments de pointe, et sur les voyages des médecins qui pourraient aller se former hors de Gaza », selon B’Tselem.
« De plus, les interruptions de l’approvisionnement en électricité à Gaza, en grande partie du fait des Israéliens, perturbe également le fonctionnement de l’hôpital.
En même temps, Israël refuse ou retarde les autorisations de sortie de Gaza par le point de contrôle de Erez aux patients qui auraient besoin de traitements indisponibles dans le territoire assiégé.
D’autres ont été transférés vers des hôpitaux en Égypte mais ne peuvent pas payer le traitement.
Le seul atelier de prothèses de membres de Gaza « ne peut fournir que les prothèses les plus basiques, ne permettant que des mouvements limités », selon un reportage récent.
Le coût d’un voyage à l’étranger pour se procurer des prothèses de membres est prohibitif à Gaza, où le blocus a appauvri tout le monde et amené le taux de chômage à plus de 50 pour cent.
En plus de dommages physiques, la répression des manifestations par Israël a augmenté les symptômes de stress post-traumatique chez les enfants, qui ont revécu les traumatismes subis pendant les précédents assauts militaires sur Gaza.
« Une politique délibérée »
« Le grand nombre de victimes pendant les manifestations n’est pas un fait inévitable », déclare B’Tselem.
« C’est le résultat d’une politique délibérée du système de sécurité israélien. »
« Des ordres ‘manifestement illégaux’ permettent d’ouvrir le feu à balles réelles sur des manifestants non armés qui ne représentent aucun danger pour personne et se trouvent de l’autre côté de la clôture, à l’intérieur de la Bande de Gaza. »
Les forces israéliennes ont tiré sur des spectateurs qui se trouvaient à des centaines de mètres et « ne faisaient rien qui puisse menacer les troupes », comme l’a déclaré B’Tselem.
Ces ordres de feu – gardés secrets par l’État – ont été avalisés par la haute cour d’Israël.
Une juridiction inférieure a conclu que les Palestiniens de Gaza ne pouvaient réclamer des dommages et intérêts pour les dommages causés par Israël parce que l’État avait déclaré le territoire comme une « entité ennemie ».
«Compensations refusée »
C’est l’argument de la cour qui a rejeté le cas d’un garçon devenu tétraplégique après que les forces israéliennes aient ouvert le feu sur lui en novembre 2014.
Avec cette confirmation d’une décision de justice de 2012 empêchant les résidents d’une « entité ennemie » de recevoir des dommages et intérêts, ce sont tous les Palestiniens de Gaza qui sont maintenant « privés de toute possibilité de dommages et intérêts par Israël, quelles que soient les circonstances et la sévérité des blessures ou l’importance des dommages réclamés », selon les groupes de défense du droit Al Mezan et Adalah.
La nouvelle loi « introduit des critères qui sont quasiment impossibles à remplir pour les victimes de Gaza », ce qui laisse les Palestiniens de Gaza qui ont subi des blessures ou des dommages durant les opérations militaires dans l’incapacité de demander des compensations. La période pendant laquelle ils peuvent en faire la demande est très courte ; cela coûte très cher ; et d’autres conditions encore sont imposées, qui empêchent concrètement les victimes d’obtenir justice.
Mais même dans le cas de l’enfant représenté par Adalah et Al Mezan, « sur qui on a tiré alors qu’il ne menait aucune activité militaire, et alors que sa famille a rempli tous les critères réclamés », l’État a argué que le garçon ne pouvait pas recevoir de dommages et intérêts pour « la seule justification qu’il est un résident de Gaza ».
Selon le groupe de défense, « Avec ce message, Israël déclare qu’il s’absout de toute responsabilité, en tant qu’État, d’enquêter, de dissuader, et de prendre ses responsabilités pour les violations que son armée et ses forces de sécurité pourraient commettre ».
Ce jugement « garantit une totale immunité aux soldats israéliens et à l’État pour ses actions illégales, répréhensibles, et même criminelles » dans la Cisjordanie occupée et à Gaza.
N’ayant aucun moyen d’obtenir réparation d’Israël, la puissance occupante, « la seule option légale qui reste à dispositon des Palestiniens de Gaza est le recours aux mécanismes judiciaires internationaux », déclarent Adalah et Al Mezan.
Le procureur de la Cour pénale internationale a averti les dirigeants israéliens que tirer sur des Palestiniens non armés sur la frontière de Gaza pouvait être considéré comme un crime en droit international tombant sous la juridiction de la Cour.
Des organisations non-gouvernementales palestiniennes et internationales ont appelé la Cour pénale internationale à ouvrir « d’urgence » une enquête pour suspicion de crimes de guerre par Israël.
La situation en Palestine fait l’objet d’un examen préliminaire au bureau du procureur depuis 2015.
Traduction : MUV pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada