‘Dé-Osloïser’ la Palestine est une condition préalable à une paix juste

La police anti-émeute palestinienne face à des manifestants qui protestent contre la coordination sécuritaire entre l’Autorité Palestinienne (AP) et Israël, dans la ville cisjordanienne de Ramallah, le 23 juin 2014 (Photo: Mohamad Torokman/Reuters)

 

Dans une de ses déclarations inspirées par Fanon les plus citées, Steve Biko, le fondateur du Mouvement Sud Africain de la Conscience Noire et icône de la lutte contre l’apartheid, dit : 

Non seulement les Blancs ont été coupables d’être à l’offensive, mais par quelques habiles manœuvres, ils ont fait en sorte de contrôler les réponses des Noirs à la provocation. Non seulement ils ont botté le cul du Noir, mais ils lui ont aussi dit comment réagir au coup de botte. Pendant longtemps le Noir a écouté avec patience le conseil qu’il avait reçu sur la meilleure façon de répondre au coup. C’est dans une pénible lenteur qu’il commence maintenant à manifester que c’est un droit et un devoir de répondre au coup de pied de la manière qui lui semble appropriée. 

Cela résume, en un sens, les attentes d’Israël apartheid envers le peuple palestinien et les réponses de ce dernier. 

Pour comprendre les Accords d’Oslo et le grand dommage qu’ils ont causé à la cause palestinienne, il faut une mise en contexte historique du soi-disant « processus de paix ». Cette compréhension est une étape nécessaire dans le processus de ce que j’appelle la dé-osloïsation.

Le processus « d’osloïsation », soit une combinaison de corruption, d’ONGéisation et d’abandon des principes révolutionnaires, fusionnés avec la fiction de la solution à deux États, a subi un revers sévère aux élections de 2006, dans la montée du mouvement BDS et de la renaissance d’idées de libération et de démocratie laïque dans la Palestine historique. Au vu des déclarations qui ont été faites, non seulement par des représentants officiels de l’AP mais aussi par des segments de la gauche palestinienne, et même par le gouvernement du Hamas, le but ultime du torrent de sang qui s’écoule actuellement, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, est toujours l’établissement d’un État palestinien de n’importe quelle dimension, c’est à dire la solution à deux États. La contradiction entre l’énorme soutien international, la croissance du mouvement BDS, le déferlement des manifestations contre Israël Apartheid et ses crimes de guerre contre les Palestiniens de Gaza, l’éruption de la Grande Marche du Retour, d’une part, et la réitération, par la plupart des organisations politiques, du mantra sur deux États, d’autre part, signale puissamment  la nécessité d’un programme alternatif qui fasse de la dé-osloïsation de la Palestine sa première priorité.

Les Accords d’Oslo étaient réputés être les premiers pas vers un État indépendant censé être déclaré en 1999. Mais il est clair aujourd’hui, 25 ans après la fameuse poignée de mains sur la pelouse de la Maison Blanche, qu’aucun État ne sera établi à court terme pour la simple raison qu’Oslo a tout bonnement ignoré l’existence du peuple palestinien en tant que peuple. Et cependant, prétendre que « Oslo » fut une grande opportunité manquée et une « percée », et que le soi-disant « processus de paix » était en route jusqu’à ce que les Palestiniens le balaient, est une distorsion délibérée de la réalité, avancée de façon à préparer les Palestiniens à davantage de concessions. 

Une paix réelle et complète n’est pas advenue à Oslo ni à Washington ; ce qui a plutôt été créé est un plan américano-israélien pour résoudre le conflit après la destruction de l’Irak et l’effondrement de l’Union Soviétique et leur tentative de construction d’un « nouveau Moyen Orient » – pour employer les mots de Shimon Péres, un Moyen Orient caractérisé par l’hégémonie impérialiste-sioniste et soutenu par des régimes despotiques, dont la sécurité ne peut être garantie  par la normalisation de leurs relations avec Israël. En fait, les Accords d’Oslo sont mort-nés parce qu’ils ne garantissaient pas un minimum de droits nationaux et politiques au peuple palestinien, comme l’a expliqué très éloquemment feu Edouard Saïd.

Tout ce à quoi ont conduit ces accords c’est à la création d’une « autonomie administrative » limitée dans la bande de Gaza  et dans certaines parties de la Cisjordanie. Un tiers de la population indigène a reçu « le droit » de constituer une autorité pouvant être appelée « nationale ». Il est désormais devenu tout à fait évident  qu’en dépit des fameuses poignées de mains sur la pelouse de la Maison Blanche et du discours optimiste sur le « Nouveau Moyen Orient », ces accords, qui sont en contradiction avec les résolutions de l’ONU et du Conseil de sécurité, n’ont pas garanti l’établissement d’un État souverain, indépendant, ni le retour des réfugiés, pas même la démolition des colonies juives et des compensations pour ceux des Palestiniens qui ont perdu – et perdent encore – leurs maisons, leurs terres et leurs biens ; ni la libération de tous les prisonniers politiques, ni même l’ouverture de tous les checkpoints… etc.

Au lieu de cela, ce qui a été créé dans certains secteurs de la Cisjordanie et de Gaza est un Bantoustan de type apartheid endossé par la communauté internationale. Ce qui a été créé constitue littéralement deux mondes distincts, les deux ayant été régis par des institutions non démocratiques, de nombreux dispositifs de sécurité, des tribunaux semblables à ceux du Tiers Monde, de la corruption, de la mauvaise gestion, de l’inefficacité, et du népotisme – pour ne mentionner que quelques caractéristiques (néo)coloniales. Fanon doit se retourner dans sa tombe. 

Israël – un État de colonisation de peuplement – a toujours espéré passer à une nouvelle étape ; une étape qui requiert la formation d’une « nouvelle conscience » parmi les Palestiniens colonisés. C’est là que se trouve le danger d’Oslo – l’osloïsation, dans ce contexte sioniste, signifie la création d’un nouveau paradigme  via lequel vous éliminez la conscience de votre ennemi supposé – « l’Autre » – et la remplacez par une mentalité unidimensionnelle par la construction d’une fiction  (deux États pour deux peuples) qui ne peut pas être accomplie.

Dit autrement, tendre à l’avènement d’un Palestinien de la solution à deux États, c’est tendre à la création d’une fausse conscience sous la direction d’une intelligentsia assimilée, dont certains membres ont un passé de révolutionnaires. Scander les slogans de « la solution à deux États », « Deux États pour deux peuples », « Retour aux frontières de 1967 » – ou même une Houdna (trêve) de longue durée (comme proposé par le Hamas) – est destiné à garantir la subordination et la conformité des Palestiniens. Envolés le droit au retour de 6 millions de réfugiés et leur compensation ainsi que les droits nationaux et culturels de la population indigène de Palestine 1948. 

Cet objectif ne donne cependant jamais à voir l’antithèse qu’il crée en conséquence du déplacement, de l’exploitation et de l’oppression ; il ignore la conscience révolutionnaire qui s’est élaborée au travers des différentes phases de la lutte palestinienne. Il ne prend pas non plus en compte l’héritage de la résistance civile et politique qui est devenue le signe distinctif de la lutte palestinienne. D’où le besoin de formuler une politique alternative.

Les chefs tribaux des bantoustans sud africains croyaient qu’ils étaient à la tête d’États indépendants. Par chance, l’ANC, malgré les nombreux compromis qu’elle fit avec  le Parti National, n’avait jamais accepté l’idée de séparation et de bantoustans. De son côté, la direction palestinienne officielle, après la chute de l’apartheid sud africain, se vante d’avoir jeté les bases d’un bantoustan, le faisant passer pour un État indépendant en formation. Comme l’aurait argumenté Biko, pour que la présence du sionisme se maintienne en Palestine, « l’Autre » doit être assimilé et mis en esclavage sans que il/elle ne soit conscient-e de sa mise en esclavage. D’où la promesse d’un régime « semi autonome » dans les villes palestiniennes les plus peuplées et d’où la logique qui a présidé aux Accords d’Oslo.

Ce que nous avons appris de Gaza 2009, 2012, 2014, de la Grande Marche du Retour et du mouvement BDS, est que nous devons exploiter tous les efforts pour combattre le résultat des Accords d’Oslo et former un Front Uni sur la base d’une plateforme de résistance et de réformes. Cela ne peut être réalisé sans le démantèlement de l’AP et sans se rendre compte que les ministres, les postes de premier ministre et les présidences à Gaza et à Ramallah sont une façade non différente des Homelands indépendants d’Afrique du Sud avec leurs chefs tribaux. Le programme national classique, créé et adopté par la bourgeoisie palestinienne a atteint son terme. 

D’où la nécessité d’une perspective nouvelle et d’un paradigme alternatif qui se sépare de la fiction de la solution à deux prisons, un paradigme qui prenne les sacrifices du peuple de Gaza comme un tournant dans la lutte pour la libération, un paradigme qui se construise sur la base du mouvement anti apartheid en essor. C’est comme cela que nous, Palestiniens, dans une pénible lenteur commençons maintenant à manifester que c’est un droit et un devoir de répondre au coup de pied d’Israël de la manière qui nous semble appropriée.

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Mondoweiss


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