Un néerlando-palestinien intente un procès à La Haye contre Benny Gantz pour crimes de guerre durant l’opération de 2014 contre Gaza

2 février 2019 – Amira Hass 

Dans la poursuite civile devant un tribunal de district néerlandais, le plaignant accuse l’ancien chef des Forces de Défense Israéliennes et le commandant des Forces aériennes d’avoir tué six membres de sa famille dans le bombardement de leur maison à Gaza.

Benny Gantz sera déjà membre de la Knesset, ou peut-être ministre du gouvernement quand lui, ou quelqu’un parlant en son nom, demandera au tribunal de La Haye de rejeter la plainte civile déposée contre lui pour l’assassinat de six résidents de Gaza le 20 juillet 2014.

Le plaignant est Ismaïl Ziada, citoyen néerlandais né dans le camp de réfugiés d’Al Bureij à Gaza. Sa plainte contre Gantz, chef d’État -major de l’armée pendant l’Opération Bordure Protectrice, et contre Amir Eshel, commandant des Forces aériennes à cette époque, a été enregistrée en mars 2018. Il les tient pour responsables du bombardement de la maison de sa famille à Bureij et de la mort de sa mère, de trois frères et sœurs, d’une belle-sœur et d’un neveu. Un invité, qui était chez eux lors du raid aérien, a également été tué.

L’avocate de Ziada, Liesbeth Zegveld d’Amsterdam, a écrit dans la plainte que, lorsque des civils sont tués, l’armée israélienne mène une enquête interne, que les procédures et la législation en Israël refusent aux Palestiniens une possibilité impartiale de prétendre à une réparation civile dans les tribunaux israéliens, et que les Accords d’Oslo interdisent aux Palestiniens de poursuivre les Israéliens devant les tribunaux palestiniens.

Dans ces circonstances, écrit-elle, la loi néerlandaise permet à Ziada de déposer plainte devant un tribunal néerlandais. Dans la plainte, elle met en avant les circonstances historiques et politiques qui ont précédé l’Opération Bordure Protectrice et souligne à plusieurs reprises que la Bande de Gaza est l’une des régions les plus densément peuplées du monde.

En juillet 2018, trois mois après l’enregistrement de l’affaire et juste à la fin de la période autorisée pour soumettre leur réponse, Gantz et Eshel ont engagé l’avocate Cathalijne van der Plas, également d’Amsterdam. Fin octobre cette année là, elle a invité le tribunal à rejeter la plainte sous prétexte que le tribunal néerlandais n’avait pas la compétence à ce sujet, que le système judiciaire israélien est accessible aux Palestiniens et que, de toutes façons, ces deux officiers jouissaient de l’immunité parce que ces décès étaient survenus alors qu’il accomplissaient leur devoir envers l’État.

Zegveld a jusqu’à la première semaine de mars pour répondre à leurs arguments, date à laquelle on devrait décider d’un rendez-vous pour permettre aux parties de présenter leur point de vue devant le tribunal de district de La Haye. L’audition ne devrait prendre qu’une journée, a dit Zegveld à Haaretz. En principe, les accusés devraient se présenter et ne pas juste envoyer leurs avocats.

L’État d’Israël finance la défense de Gantz et Eshel. Ziada et sa famille collectent des fonds pour payer leur représentation juridique.

L’assassinat de la famille de Ziada a obtenu une large attention après que Henk Zenoli, parent de l’épouse d’Ismail Ziada, ait renvoyé en signe de protestation sa médaille de Juste parmi les Nations à Yad Vashem. Zenoli et sa mère avaient sauvé un enfant juif, Elhanan Pinto, pendant l’occupation nazie en Hollande. Zenoli lui-même était né en 1923 et est mort en décembre 2015.

L’action en justice d’Ismail Ziada met en avant que tuer des civils en bombardant leur maison, sans se plier au principe de proportionnalité ou sans prendre les mesures de précaution pour atténuer le risque pour les civils, était un des schémas de l’Opération Bordure Protectrice, décidés aux plus hauts niveaux. Par conséquent, d’après Zegveld, des crimes de guerre ont été commis qui ne font pas l’objet d’enquête en Israël.

Un enquête de l’ONU a découvert que 142 familles de Gaza ont perdu trois ou plus de leurs membres, les multiples morts de chaque famille survenant en une seule attaque. Au total, 742 personnes sont mortes dans ces attaques (sur les 2.220 morts palestiniennes). Les Ziada étaient l’une de ces familles. L’organisation de droits de l’Homme B’Tselem a documenté 70 de ces cas de bâtiments résidentiels qu’Israël a bombardés alors que leurs habitants étaient à l’intérieur, dont neuf dans la seule journée du 20 juillet 2014 (où ne se trouvait pas la famille Ziada). Six cent six personnes ont été tuées dans ces 70 maisons, dont 70 pour cent n’avaient pas participé aux combats, d’après les recherches de l’organisation. Parmi elles, il y avait 13 bébés de moins d’un an, 80 petits enfants de moins de cinq ans, 129 enfants entre 5 et 14 ans, 42 personnes âgées de 16 à 18 ans, ainsi que 135 femmes de 18 à 60 ans et 37 hommes et femmes de plus de 60 ans. Cela ne veut pas dire que tous les autres, tous les hommes de 18 à 60 ans, « participaient au combat ».

Parmi les sept personnes qui sont mortes dans le bombardement de la maison de Ziada, il y avait sa mère Muftiya, 70 ans, sa belle-fille Bayan, 39 ans, et son petit-fils Shaban, 12 ans.

Pendant la campagne de l’Opération Bordure Protectrice, les Forces de Défense Israéliennes ont mis en place un mécanisme d’enquête pour collecter des informations et faire des recherches sur des « incidents exceptionnels » dont on pensait qu’ils ne comportaient pas de faute criminelle.

Selon le site internet de l’Avocat Général Militaire (MAG), le mécanisme a collationné « des informations et du matériel pertinent et entreprend des enquêtes afin d’établir les faits sur des incidents exceptionnels » afin que le MAG puisse décider – c’est ce qu’il prétend – s’il doit ouvrir une enquête criminelle et tirer des leçons pour l’avenir. Les morts de la famille Ziada faisaient partie des incidents sur lesquels enquêtait le mécanisme. Le MAG a décidé de clore le dossier.

Les FDI disent qu’elles ont attaqué à Bureij « une structure utilisée en tant que centre actif de commandement et de contrôle par l’organisation terroriste Hamas ». L’attaque « visait à neutraliser à la fois le centre de commandement et de contrôle et les agents militaires qui l’arment et qui, selon les informations reçues en temps réel, étaient impliqués dans les activités terroristes qui menaçaient les forces des FDI en action dans la zone.

L’enquête des FDI a aussi découvert que « l’étendue du tort qu’elles s’attendaient à voir subir par les civils à la suite de l’attaque ne serait pas excessive comparée à l’avantage militaire significatif attendu ».

L’armée a utilisé « une munition précise », dit le site du MAG, « de telle sorte qu’elle permette d’atteindre l’objectif de la frappe, tout en limitant la possibilité de dommages collatéraux sur les bâtiments alentour ».

Malgré un avertissement antérieur, elle a décidé d’attaquer parce que, selon les mots du MAG, cela aurait fait échouer l’objectif de l’attaque.

L’armée fait remarquer que les découvertes « indiquaient que, parmi les pertes, il y avait trois agents militaires des organisations terroristes du Hamas et du Jihad islamique palestinien, qui étaient membres de la famille Ziyad, ainsi que l’agent supérieur de l’armée mentionné plus haut, Mohammed Maqadma ».

L’armée israélienne n’a pas nommé les trois « agents militaires », mais on peut déduire qu’elle voulait parler des trois frères d’Ismail : Jamil, 52 ans, Yousef, 44 ans, et Omar, 31 ans. Les personnes qui ont transmis l’ordre, et le dispositif de l’enquête, ont pensé que ces quatre morts (auxquels s’ajoute Maqadma) justifiaient la mort des deux femmes et de l’enfant et passaient l’épreuve de proportionnalité et de nécessité. Mais quelle preuve y a-t-il que les trois frères d’Ismail étaient réellement des agents militaires ? D’après le procès, seul Omar était membre du Hamas, mais sans activité.

La décision du MAG n’est étayée par aucune preuve ni aucune élaboration des arguments concernant la proportionnalité et le devoir d’avertir les civils, dit Zegveld, ajoutant que la charge de la preuve réside dans l’armée. Et la décision comme quoi la maison servait de centre de commandement et de contrôle n’est elle non plus étayée par aucun fait ; un appel téléphonique n’en fait pas un centre de commandement, écrit-elle.

La famille Ziada a construit cette maison de trois étages en 2003, en remplacement d’une cabane amiantée. C’était le rêve de la mère. Avant le raid aérien, elle abritait la mère et cinq de ses fils, leurs femmes et leurs enfants – en tout 25 personnes. Inquiet, Ismail tenait quotidiennement des conversations par Skype avec ses frères, qui lui racontaient que l’armée tirait vers les habitations de Bureij. Le matin du raid aérien, la mère a exhorté la famille a quitter le camp, qui est près de la frontière, et d’aller quelques kilomètres à l’ouest chez des parents dans des endroits qui semblaient plus sûrs. C’est pourquoi seuls six membres de la famille étaient présents quand l’attaque a été lancée.

Dans leur requête pour rejeter la plainte, Gantz et Eshel disent, entre autres choses, que Ziada n’a jamais présenté sa plainte à un tribunal israélien, et que son argument comme quoi les tribunaux ne sont pas accessibles est purement théorique. Selon la loi israélienne, écrivent-ils, les porteurs de charge officiels sont à l’abri des poursuites sauf si l’acte est « sciemment commis dans l’intention de faire du tort ou est dû au manque d’attention devant la possibilité de causer les dits torts ».

Et Gantz et Eshel rejettent la plainte qui dit qu’ils ont commis des crimes de guerre.

« Leur réponse est à mille lieues de notre position », a dit Zegfeld à Haaretz. « Ils décrivent en détail un système judiciaire dans lequel il y aura toujours une ouverture pour que les Palestiniens puissent présenter leur cas. Mais cet accès n’est possible que si on passe sous silence la nature globalement discriminatoire du système. Tous leurs exemples et leur analyse traitent du respect de la loi plutôt que de l’action militaire et s’intéressent principalement à la Cisjordanie et non pas à Gaza. »

Le ministère de la Justice a dit à Haaretz que, conformément à la procédure mise en place par la résolution du gouvernement, l’État d’Israël finance la représentation juridique des porteurs de charge et des fonctionnaires, y compris les retraités, quand ils sont poursuivis dans des pays étrangers pour des actes commis alors qu’ils sont en activité.

« Le comité interministériel pour la défense juridique, qui travaille conformément à cette procédure, a approuvé le financement par l’État de la représentation de Mr. Gantz et de Mr. Eshel dans la plainte au civil déposée contre eux aux Pays Bas pour des actions dont on dit qu’ils les ont commises dans le cadre de leur activité professionnelle », a-t-il déclaré.

> A lire aussi : Un nonagénaire hollandais renvoie sa médaille de Juste parmi les Nations après que six personnes de sa famille aient été tuées à Gaza, par Amira Hass, Haaretz, 15 août 2014.

Traduction : J. Ch. pour l’AURDIP et pour l’Agence Média Palestine
Source : Aurdip

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