Par Jeremy Wildeman, Alaa Tartir – 6 février 2019
L’aide américaine a toujours été problématique pour les Palestiniens, parce qu’elle a été conçue dans le cadre de l’étroite relation entre les USA et Israël.
Au 1er février, l’USAID a officiellement cessé ses opérations dans les territoires palestiniens occupés. C’est lié à la loi de clarification de l’anti terrorisme (ATCA) votée au Congrès en octobre. La loi stipule que les gouvernements étrangers qui acceptent de l’aide du gouvernement des États Unis peuvent être poursuivis auprès de tribunaux étatsuniens pour des dommages résultant du terrorisme.
Cette évolution a conduit l’Autorité Palestinienne (AP) à déclarer qu’elle refusait davantage d’aide américaine et donc qu’elle mettait fin à la présence de l’USAID dans les territoires occupés, du moins pour le moment.
Des coupes néfastes
ATCA, qui ne concerne pas que l’aide aux Palestiniens, n’était que la dernière en date d’une série de mesures punitives prises par le gouvernement des États Unis contre les Palestiniens. La plus destructrice fut une série de coupes néfastes en 2018 qui a retiré des centaines de millions de dollars de financement de services de base et de secours humanitaires aux besoins des Palestiniens, comme les services de santé et le soutien aux réfugiés.
Par contraste, la clôture finale de l’USAID met fin à des programmes financés par les États Unis, qui sont eux-mêmes nuisibles aux Palestiniens, comme les 60 millions de dollars (53 millions €) attribués aux forces de sécurité de l’AP.
Ce financement était prévu pour les forces de l’AP qui coordonnent le contrôle de sécurité sur les Palestiniens avec Israël. C’est un investissement clef de la part des États Unis à l’AP – en particulier depuis la fin de la seconde Intifada en 2005 – qui sert à former et à financer les forces de sécurité de l’AP.
Ces forces sont sous surveillance accrue pour des violations des droits humains, comme l’arrestation de routine et la torture de personnes qui critiquent pacifiquement (l’occupation). En même temps les forces de l’AP ne sont pas autorisées à répondre à des actes de violence contre des Palestiniens perpétrés pas des colons israéliens, alors même que ceux-ci constituent la plus grave menace à l’état de droit et à la sécurité pour les Palestiniens de Cisjordanie.
Ainsi, ce financement de 60 millions de dollars renforçait la domination israélienne, rendant la vie des Palestiniens encore plus insécure et renforçant la dérive de l’AP de la démocratie à l’autocratie.
Heureux, les Palestiniens ?
Lorsque les accords d’Oslo ont été signés en 1993, l’optimisme était largement répandu quant à la possibilité qu’Israéliens et Palestiniens parviennent à faire la paix. Pour soutenir ce processus, des donateurs internationaux – sous la houlette des Américains – promirent de substantiels financements pour des projets d’aide au développement palestinien dans l’objectif de construire les institutions d’un État palestinien.
Cela fut fait sur foi que l’aide pouvait, si elle se combinait à ces institutions, être un catalyseur de la croissance économique palestinienne et apporter aux Palestiniens un « dividende de la paix » les encourageant à construire la paix avec Israël.
Les antécédents de ce modèle résident dans une politique étatsunienne remontant au moins aux années 1970, lorsque l’administration Carter engagea une approche dépolitisée fondée sur l’idée que des Palestiniens « heureux », dotés d’emplois stables et d’une structure administrative fonctionnant correctement, seraient disposés à négocier pour un règlement sous occupation.
Dans les années 1980, l’administration Reagan tenta de trouver une solution pacifique par la promotion d’éléments économiques au lieu d’un règlement politique. En les proposant comme une initiative de « qualité de vie », les États Unis tentèrent de promouvoir une réconciliation politique entre Israël et les Palestiniens à travers des incitations économiques théoriquement distinctes de la politique.
Plus récemment, les administrations George W Bush et Obama ont travaillé avec – et financé – le développement des services de sécurité de l’AP, sous une présidence Abbas appuyée par les Occidentaux, pour exercer un contrôle sur les principaux centres de peuplement palestinien de Cisjordanie.
Officiellement, l’espoir était qu’après une violente deuxième Intifada, si et lorsque Israël se sentirait en sécurité, ce dernier serait disposé à prendre des mesures pour lever les restrictions sur les Palestiniens, afin de rallumer le processus d’Oslo.
Le plus gros donateur
Depuis le début du processus d’Oslo en 1993, les États Unis ont été le pays donnant le plus d’aides aux Palestiniens et, dans l’ensemble, ils se situent seulement au second rang derrière l’Union Européenne. Au total, les donateurs ont déboursé plus de 35 milliards de dollars (31 milliards €) en aide à la Palestine depuis 1993. Selon les données de l’OCDE, les États Unis à eux seuls ont dépensé près de 7,3 milliards de dollars (6,46 milliards €) d’aides à la Palestine de 1993 à 2017.
Selon le ministère palestinien des finances, les États Unis étaient le quatrième plus gros donateur de l’AP de 2012 à mai 2016, à hauteur de près de 450 millions de dollars (398 millions €). Depuis 1950, les États Unis ont été le plus gros donateur pour les réfugiés palestiniens à travers l’UNRWA pour lequel ils ont dépensé plus de 6 milliards de dollars (5,3 millions €). En 2017, les États Unis ont fourni environ un tiers du budget de l’agence qui s’occupe de 5,4 millions de réfugiés.
Pendant ce temps, l’économie palestinienne a été assommée depuis 1967 par un processus de dé-développement qui met son PIB à moins de 5% du niveau de l’économie israélienne, en dépit de tailles de population équivalentes. L’aide américaine a donc représenté par moments un pourcentage très significatif du PIB palestinien, dépassant les 10% en 2009.
Cela place souvent les États Unis en position de moteur clef de l’activité économique palestinienne et du financement des institutions de l’AP.
Une assistance problématique
L’assistance des États Unis est, cependant, problématique par nature. Elle n’est pas fondée sur un humanitarisme altruiste ni sur une démarche neutre d’édification de la paix, mais elle doit plutôt être considérée à travers le prisme de la relation de proximité des USA avec Israël.
Les États Unis sont probablement l’allié le plus proche d’Israël et c’est incontestablement le plus important. Depuis 1949, ils ont contribué pour au moins 134 milliards de dollars (118,6 milliards €) (inflation non-corrigée) à l’aide officielle à Israël. Les États Unis ont aussi fourni une couverture diplomatique à Israël, en bloquant des résolutions clés à l’ONU contre l’occupation et contre le traitement des Palestiniens par Israël dans le cadre du droit international.
C’est hautement problématique parce qu’il est entendu qu’un donateur dans un État fragile et en conflit doit agir de façon aussi neutre que possible, afin de ne pas nuire en contribuant à des facteurs qui peuvent aggraver la situation. En tant que donateur, les États Unis ont fait exactement le contraire.
Veiller à la sécurité d’Israël
Le résultat est que, plutôt que de bénéficier de l’aide, les Palestiniens en sont devenus dépendants depuis 1993. Les causes en sont les restrictions oppressives imposées par l’armée israélienne sur tous les aspects de la vie des Palestiniens, leur perte rapide de terres au profit des colonies israéliennes, les longues périodes de violence et l’interdiction qui leur est faite de commercer librement avec le reste du monde.
Cependant, l’aide a offert des avantages tangibles au gouvernement israélien. L’aide l’a soulagé du coût de l’occupation, parce que les donateurs ont été disposés à payer pour les services palestiniens, tout en permettant à Israël d’exploiter une économie palestinienne souvent solvabilisée par l’aide.
De plus, l’aide extérieure a fourni à Israël un sous-traitant (l’AP) agissant comme mandataire pour le maintien du contrôle de la Cisjordanie, faisant économiser à Israël une fortune en dollars et en vies. Pour cette raison, l’appareil sécuritaire d’Israël a montré son approbation et a même fait du lobby pour l’aide à la Palestine.
Sit-in le 14 septembre au siège de l’ONU à Beyrouth en signe de protestation contre les coupes américaines sur l’UNRWA (MEE/Emmanuel Haddad)
Pour autant, les attitudes au sein du gouvernement israélien ont changé selon de nouvelles dynamiques de classe et de race. Un secteur israélien de la sécurité, longtemps dominé par la « vieille » élite ashkénaze (les Juifs descendant d’Europe dans l’usage israélien du mot) a perdu du pouvoir dans les dernières années au profit de mouvements plus à droite souvent dirigés par des Mizrahim (des Juifs descendant du Moyen Orient).
Ces politiciens mizrahi ont souvent poussé à l’intensification du conflit avec les Palestiniens et à se débarrasser complètement du processus d’Oslo. Le gouvernement de Netanyahou a bénéficié de l’ascension de ces forces politiques et de son partenaire idéologique, l’administration Trump, qui est disposée à la militarisation de l’aide pour obliger les Palestiniens à des résolutions politiques plus mauvaises pour eux.
Les gouvernements Netanyahou et Trump ont voulu supprimer des programmes favorisant la vie comme punition contre les Palestiniens, tout en finançant la sécurité pour maintenir le contrôle sur eux. C’est fait en prévision d’un « Contrat du siècle » des États Unis qui devrait remplir un certain nombre d’objectifs israéliens, tels que le rejet du droit au retour des Palestiniens inscrit dans le droit international.
Une voie inattendue
Il y a beaucoup d’injustices dans l’aide américaine aux Palestiniens. Et ce, sans même entrer dans l’examen de la façon dont l’USAID est dépensée, comme le don de dizaines de millions de dollars de subventions à des entreprises américaines privées qui ont un palmarès de mauvaise gestion, d’échecs et de scandales.
Il n’y a pas de doute non plus que les coupes dans l’aide de 2018 ont fait du mal. D’innombrables Palestiniens comptaient sur ce financement. Il faut aussi reconnaître que malgré la politique du gouvernement américain, il y a eu beaucoup d’Américains à l’USAID qui ont sincèrement essayé d’améliorer les conditions de vie des Palestiniens.
Pourtant, une fois que l’aide américaine a été réduite à la coopération sécuritaire avec Israël, renforçant gravement l’occupation coloniale, les Palestiniens s’en sont indubitablement trouvés mieux. Pendant ce temps, la suppression de l’USAID réduit l’influence étatsunienne, ce qui peut être une bonne chose étant donné les biais américains et les échecs catastrophiques de la construction de la paix sous leur direction.
Cela pourrait conduire à une nouvelle approche de la construction de la paix, laissant à Israël le soin de supporter tout le fardeau du coût de sa domination sur les Palestiniens.
De cette façon, le renvoi de l’USAID de la Palestine pourrait être vu comme un pas dans une nouvelle direction positive vers une édification de la paix basée sur les droits humains et le droit international, laissant finalement de côté le modèle d’Oslo qui est moribond depuis longtemps. Il met aussi de côté un élément clef de la stratégie étatsunienne sécuritaire de l’aide qui a largement évolué en 25 ans vers la pacification et le contrôle sur les Palestiniens, sous occupation, sous le prétexte de l’édification de la paix.
Le défi pour les Palestiniens est de saisir cette opportunité pour repenser leur approche de l’aide internationale et de s’assurer que les États Unis ne vont pas reprendre leurs opérations à l’avenir, librement, sans rendre compte au peuple palestinien et sans se plier aux conditions des Palestiniens sur la fourniture de l’aide.
Jusque-là, les Palestiniens ont aussi besoin de s’assurer que les opérations du Coordinateur de la Sécurité des USA (USSC) sont aussi exclues, toutes les tentatives de persévérer dans l’intervention de l’USSC devant rencontrer une résistance ferme. Il est temps de reconnaître que la suppression de l’USAID ne va pas seulement aider les Palestiniens, mais qu’elle sera aussi un instrument de la construction d’une paix significative à l’avenir.
Les points de vue exprimés dans cet article appartiennent à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Source : Middle East Eye
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine