Belal Shobaki, 28 Février 2019
Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a récemment interrompu les activités de la Présence Internationale Temporaire à Hébron, ou TIPH, qui surveillait les violations des droits humains dans la ville depuis plus de vingt ans. “Nous n’allons pas laisser une force internationale agir contre nous,” a déclaré Netanyahou. En réponse à quoi, des militants palestiniens ont lancé une campagne populaire afin de répertorier les violations des droits et de protéger les habitants des agressions des colons israéliens à la place de la TIPH.
Comment la TIPH a-t-elle été créée ? Qu’a-t-elle accompli ? Pourquoi Netanyahou s’en prend-il à elle maintenant ? Cet article écrit par l’analyste d’Al-Shabaka, Belal Shobaki, nous éclaire sur la stratégie de Netanyahou et fait des propositions à la communauté internationale afin de mieux défendre les droits des Palestiniens.
Le 25 Février 1994, le colon israélien Baruch Goldstein a tué par balles 29 Palestiniens alors qu’ils priaient à la Mosquée Ibrahimi à Hébron. Le conseil de sécurité de l’ONU a condamné ce crime et a appelé à la protection des habitants de Hébron. L’Italie et la Norvège ont envoyé une mission d’observation peu de temps après, mais elle ne fut opérationnelle que trois mois. Trois ans plus tard, l’article 18 du Protocole de Hébron de 1997stipulait la création d’une présence internationale avec des rôles déterminés par l’OLP et Israël. La Présence Internationale Temporaire à Hébron a alors été créée, avec la participation du Danemark, de l’Italie, la Norvège, la Suède, la Suisse et la Turquie.
La TIPH surveillait et répertoriait la situation des droits humains principalement dans la vieille ville de Hébron et dans le quartier de Tel Rumeida. Les populations s’étaient familiarisées aux voitures blanches avec le logo rouge de ses membres. En outre, la mission a développé des relations avec la communauté palestinienne et oeuvrait à l’amélioration de ses conditions de vie, en soutenant des projets dans les domaines de l’autonomisation économique des femmes, l’éducation, le soutien psychologique et la rééducation. Les membres de la mission se déplaçaient librement et vivaient dans ces zones. Bien que le rôle de la TIPH était limité, et en tant que tel ne permettait pas d’empêcher les attaques de colons, les Palestiniens appréciant sa présence.
A l’inverse les colons israéliens à Hébron pensaient que la TIPH freinait leurs projets d’expension dans la vieille ville. Projet qu’ils soutenaient en attaquant violemment les habitants palestiniens, poussant une nombre significatif d’entre eux à partir de le vieille ville pour aller s’installer dans d’autres partie de la métropole. Les colons attaquaient aussi les membres de la mission.
Cela faisait plus de vingt ans que la TIPH avait commencé à publier des rapports qui répertoriaient les violations des droits humains par Israël, ce qui ne plaisait pas au gouvernement, aux partis d’extrême droite et aux colons israéliens. En outre, c’est Netanyahou lui-même le premier ministre qui a signé le Protocole de Hébron en 1997. Alors pourquoi Netanyahou prend-il cette initiative maintenant ?
Premièrement, le parti du Likud est aujourd’hui davantage soumis aux partis d’extrême droite qui, pendant des année ont mené une campagne féroce pour inciter les colons à attaquer la TIPH. Netanyahou a donc plus de chance de plaire aux électeurs israéliens d’extrême droite dans la perspective des élections de la Knesset en Avril 2019. Le moment est aussi propice puisque les préoccupation des Palestiniens actuellement se tournent davantage vers des problématiques intérieures comme la sécurité sociale, la formation du gouvernement, la dissolution du Conseil Législatif Palestinien et la réconciliation nationale.
Deuxièmement, cette initiative doit être comprise dans le contexte de l’expansion massive des colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem, avec Hébron ayant une importance toute particulière pour les sionistes extrémistes. En rendant le transfert des habitants palestiniens de la vieille ville moins visible à la communauté internationale, l’expansion israélienne sera bien plus aisée.
Troisièmement, le choix pour Israël n’était pas particulièrement difficile : soit, il laissait la TIPH continuer, avec ses rapports de condamnations, deux fois par jour ; soit il l’expulsait et supportait des réprimandes temporaires de la communauté internationale (réprimandes auxquelles Israël est capable de faire face pour pouvoir faciliter ses projets d’expansion en Cisjordanie).
Les colons considéreront l’arrêt de la TIPH comme le feu vert à la violence, et par là même à menacer les vies et les droits fondamentaux des Palestiniens. Cette initiative pourrait aussi mener au retrait complet d’Israël du protocole de Hébron. T
Israël mène clairement une politique qui enfreint tous les accords signés avec les Palestiniens, et viole les principes de protection humanitaire assurée aux populations civiles sous occupation selon les conventions internationales. L’arrêt par Netanyahou de la TIPH est une manifestation de cette politique. Les violations israéliennes continueront à moins que les Palestiniens ne reçoivent un véritable soutien et une protection internationale.
La communauté internationale, particulièrement l’UE, doit aller plus loin que de simples réprimandes et condamnations et doit agir ainsi :
- Les pays de l’UE doivent faire pression sur le gouvernement de Netanyahou pour qu’il fasse machine arrière sur l’arrêt du TIPH. Les liens diplomatiques, politiques, économiques et culturels de l’UE avec Israël devraient être utilisés pour faire pression pour qu’Israël cesse ses violations des droits humains à Hébron, ainsi que dans le reste des territoires palestiniens occupés.
- Les pays participant à la TIPH doivent voir l’initiative de Netanyahou comme une contestation directe à l’objectif pacifiste de cette mission et ainsi prendre les mesures diplomatiques appropriées pour répondre à cette offensive.
- Les pays de l’UE devraient soutenir les efforts des Palestiniens pour mettre Israël face à ses responsabilités au niveau international pour ses violations des droits humains, étant donné que la présence de cette mission était en accord avec la Résolution 904 du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Membre exécutif d’Al-Shabaka, Belal Shobaki est à la tête du département de Sciences Politiques à l’Université de Hébron, Palestine. Il est membre de l’Association des Études Politiques Américaines. Il a écrit sur l’islam politique et l’identité et travaille actuellement sur un projet de recherche sur l’interaction entre Israéliens et Palestiniens dans la vieille ville de Hébron. Shobaki était auparavant éditeur en chef de Alwaha Newspaper en Malaisie. Il était également conférencier au département de Sciences Politiques à l’Université d’An-Najah et à la tête de l’unité d’études au Centre palestinien pour la Démocratie et les Études.
Traduction: Lauriane G. pour l’Agence Média Palestine
Source: Al-Shabaka