Photo: Greg Johnston/Creative Commons
Par Noura Erakat, 24 mars 2019
Le 22 mars 2019, le président Donald Trump a tweeté sans ménagement que les États Unis reconnaîtraient la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan syrien. Il a expliqué qu’une telle souveraineté « est d’une importance critique en matière de stratégie et de sécurité pour l’État d’Israël et la stabilité dans la région ». Tout ce qu’il y a dans ce tweet est faux – en matière de droit comme de politique et en termes factuels.
Le plateau du Golan, situé au sud-ouest de la Syrie a été conquis par Israël pendant la guerre de 1967 lorsque, au cours de six jours, Israël a aussi pris le contrôle de la péninsule égyptienne du Sinaï, de la Cisjordanie et de Gaza. Les Nations Unies, qui tenaient une session durant la guerre, ont discuté de ces faits pendant près de six mois. La controverse tournait autour de la question de savoir s’il fallait imposer à Israël de se retirer immédiatement des territoires arabes ou s’il pouvait comme l’administration Lyndon Johnson le voulait, garder ces territoires en contrepartie d’une paix durable. Malgré l’opposition des Syriens et des Palestiniens, en 1967 le Conseil de Sécurité a voté à l’unanimité la Résolution 242 qui a établi le cadre de « la terre en échange de la paix » souhaitée par les États Unis et Israël qui déclarèrent que les territoires seraient rendus en échange d’une paix durable.
La Résolution s’est avérée inefficace à cause d’un manque de volonté politique d’établir la paix ainsi que du désir d’Israël de garder les territoires. Le gouvernement israélien a développé l’argument juridique suivant : puisqu’il n’y avait pas de souveraineté en Cisjordanie et à Gaza – l’Égypte et la Jordanie n’ont jamais eu de titre légitime et les Palestiniens n’étaient pas souverains – aucun pays ne pouvait prétendre avoir un titre plus légitime sur le territoire qu’Israël. Donc, ont argumenté les représentants israéliens, la Cisjordanie et Gaza ne pouvaient pas être occupées du point de vue du droit et sont mieux décrites comme « territoires disputés » que comme territoires occupés. Cet argument juridique nouveau a permis à Israël d’établir sa présence légale comme autorité militaire sur le territoire palestinien en se conformant strictement au droit de l’occupation, plus particulièrement à l’interdiction d’implantations civiles. Cela a permis à Israël de réaliser ses ambitions de colonisation territoriale de peuplement en prenant de plus en plus de terre palestinienne et en la vidant de sa population palestinienne, sous couvert de nécessité militaire.
Contrairement aux territoires palestiniens, la péninsule du Sinaï et le plateau du Golan n’ont jamais fait l’objet de dispute et personne n’a mis en question la souveraineté respectivement égyptienne et syrienne. Pourtant, même là, Israël a refusé de reconnaître que le territoire était occupé du point de vue du droit. Le cadre établi par la Résolution 242 du CSNU s’est avéré intenable et, en octobre 1973, l’Égypte et la Syrie ont lancé une attaque surprise sur Israël dans l’espoir de récupérer leurs territoires. Tandis qu’Israël l’a finalement emporté au plan militaire, l’Égypte et la Syrie ont gagné psychologiquement. Leur victoire a obligé à voter la Résolution 338 du Conseil de Sécurité, qui a établi un cessez-le-feu et a été le catalyseur d’un processus de paix au Moyen Orient dirigé par les USA en vue de rendre aux Arabes leurs territoires pour la paix. Jusqu’en 1991, les Palestiniens n’ont pas été reconnus comme représentants légitimes pour négocier la restitution de la Cisjordanie et de Gaza et la Syrie a continué à faire objection aux termes des négociations qui légitimaient la revendication défensive israélienne dans la région et donnaient la priorité à son rejet de la souveraineté palestinienne.
En 1979, Israël et l’Égypte, le plus grand pays arabe, signèrent les Accords de Camp David, qui favorisèrent la restitution du Sinaï à l’Égypte et normalisèrent les relations égypto-israéliennes. Les Accords indiquèrent de façon significative qu’aucune armée arabe ne mènerait une guerre conventionnelle contre Israël, vu que l’Égypte s’était engagée dans une paix durable et que la Syrie n’irait pas en guerre seule. Deux ans plus tard, en 1981, Israël annexa le Golan de façon unilatérale. L’administration Ronald Reagan rejeta l’annexion israélienne et la déclara « nulle et non avenue », ne fût-ce que parce qu’elle viole le principe international prohibant l’acquisition d’un territoire par la force. Depuis le début des années 1990, Israël et la Syrie ont engagé des pourparlers de paix à plusieurs reprises sur le plateau du Golan mais ils ont tous été réduits en miettes du fait du refus israélien de retourner aux lignes de 1967. Le faire reviendrait à diminuer l’accès d’Israël à une ressource d’eau clef du lac de Galilée qui fournit un tiers de l’eau potable du pays.
L’annonce du début de la semaine par le président Trump méprise cette histoire ainsi que le droit international compétent, de même qu’une politique américaine de longue date.
L’administration Trump, avec Israël, a prétendu que le plateau du Golan a un intérêt pour la sécurité, mais c’est tout simplement faux. Israël a établi 34 colonies sur le plateau du Golan et installé près de 2000 civils israéliens. Si le territoire est bien un tampon défensif contre une attaque syrienne, alors Israël utilise sa propre population civile comme bouclier humain. Et si les civils qui vivent là y sont en sécurité, alors ce n’est pas un tampon défensif. En sus, Israël possède environ 167 activités économiques sur le plateau du Golan, dont la seule station de ski accessible aux Israéliens. Il faut ajouter que la Jordanie a établi une paix durable avec Israël en 1994 et qu’ainsi, comme l’Égypte, elle n’est pas une menace militaire ; la Syrie n’a pas mené de guerre depuis 1973 ; et les deux autres pays qui ont historiquement menacé Israël, la Lybie et l’Irak, ont tous deux été décimés dans des guerres menées ou soutenues par les États Unis. Le Hezbollah, dont Israël prétend qu’il est une force militaire locale de l’Iran, n’a même pas initié de guerre depuis le sud Liban où il est basé, même après le retrait des forces israéliennes du sud Liban en 2000. La seule guerre de grande ampleur menée depuis lors a été initiée par Israël après un raid transfrontalier du Hezbollah destiné à capturer trois soldats israéliens dans l’intention de les échanger contre des prisonniers de guerre du Hezbollah. Il n’y a pas de menace militaire crédible sur Israël depuis la frontière sud de la Syrie.
La première raison de l’annonce américaine est d’ordre intérieur : Trump parle à sa base évangéliste, qui convoite Israël pour des besoins de prophétie et d’idéologie. Les Évangélistes américains considèrent le rassemblement de la judéité mondiale en Israël comme la pré-condition pour la reconquête d’Armageddon et le retour du Christ. Au plan idéologique, ils considèrent Israël comme la pointe extrême-est du front de la dite guerre américaine contre la terreur inspirant non seulement des attaques mais peut-être plus significativement, la migration des Musulmans vers l’ouest.
L’annonce est une bénédiction pour le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, englué dans des accusations de fraude et de corruption à seulement trois semaines des élections israéliennes. L’annonce de Trump sert efficacement à dévier le cours de ses problèmes internes et dit à la base de centre droit israélienne que voter pour lui c’est réaliser les ambitions territoriales d’Israël. La société israélienne considère le plateau du Golan comme une partie d’Israël. L’annonce de Trump au plus fort d’une campagne tendue signale qu’un vote pour Netanyahou est un vote pour l’homme fort Trump, qui dédaigne le droit international et la diplomatie en faveur d’une politique de « la force fait loi ».
L’effet de l’annonce de Trump est subordonné à la réponse internationale. Trump a certainement l’autorité exécutive pour reconnaître le plateau du Golan comme faisant partie de la souveraineté d’Israël, même si cela contrevient au droit international, mais la reconnaissance par les USA n’équivaut pas à un changement dans le statu quo sur le territoire. Jusqu’à présent la dénonciation a été large contre l’annonce américaine, de la part des Nations Unies et de plusieurs États dont l’Égypte et la Russie. Si cette condamnation est bienvenue, elle n’est pas non plus suffisante. Il est crucial que la communauté internationale démontre son opposition sous la forme de sanctions plus coercitives, mais une telle réponse est peu probable si l’acceptation tacite du déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem en est la moindre indication. L’administration Trump a bien déplacé son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem en mai 2017 en contrevenant de la même façon à la Résolution 242 du Conseil de Sécurité, au mépris du principe qui interdit l’acquisition d’un territoire par la force. Bien que 128 pays aient condamné le déplacement des Américains par une résolution de l’ONU et que quelques autres pays aient suivi et déplacé leur ambassade, Israël n’a été confronté à aucune conséquence de sa colonisation de Jérusalem Est et du nettoyage ethnique de ses habitants palestiniens. En fait, le secrétaire d’État Mike Pompéo s’est rendu au mur de l’ouest (des lamentations) à Jérusalem Est la semaine dernière – le premier des représentants américains à le faire – inscrivant ainsi le changement de politique américaine comme offre au soutien de la campagne de Netanyahou pour sa réélection.
Cette épouvantable situation souligne l’urgence d’un mouvement mondial de boycott, de désinvestissement et de sanctions contre Israël, mouvement qui au moins depuis 2005 a représenté un effort à la base pour vaincre l’intransigeance diplomatique. Nous devons nous souvenir qu’il ne s’agit pas que d’Israël mais aussi des guerres impériales des États Unis au Moyen Orient, de leurs attaques contre l’internationalisme (c’est à dire les menaces contre la Cour Pénale Internationale et le retrait du Protocole de Paris sur le climat), de même que sa violence continue contre les minorités, les nations premières, les réfugiés et les femmes aux États Unis. Israël est une partie d’une constellation plus vaste qui représente les intérêts des États Unis dans le monde entier.
L’annonce de Trump sur le plateau du Golan n’est pas juste une menace pour le Moyen Orient – c’est une menace au monde entier parce qu’elle cristallise la politique de suprématie raciale et de fascisme. La réponse devrait être mondiale, elle aussi, parmi les gens qui s’opposent à ces tendances violentes dans leurs communautés à travers le monde.
Noura Erakat est une avocate américano-palestinienne , assistante à l’université George Mason. Elle est l’auteure de « Justice for Some : Law as Politics in the Question of Palestine », paru à Stanford University Press.
Traduction: SF pour l’Agence Média Palestine
Source: Truthout.org