Jaclynn Ashly – 28 mars 2019
Khalida Jarrar se détend dans son salon chez elle à Ramallah après 20 mois passés dans une prison israélienne, où elle a été détenue sans charges ni procès. (Jaclynn Ashly)
Khalida Jarrar se tenait appuyée au dossier de son fauteuil, les jambes croisées, et fumait une cigarette.
Elle était assise dans un salon tranquille et spacieux chez elle, au centre de Ramallah en Cisjordanie occupée, où la députée n’est revenue que récemment après avoir été libérée suite à une période de 20 mois de prison dans une prison israélienne.
Bien qu’ayant été détenue pendant presque deux ans, elle n’a jamais été inculpée.
Cette éminente députée de gauche et personnage de la société civile, qui était en charge du comité des prisonniers au Conseil Législatif Palestinien quand le parlement était encore nominalement actif, a éclaté d’un grand fou-rire quand on lui a demandé si elle craignait qu’Israël puisse l’arrêter à nouveau.
« Pourquoi est-ce que vous tous [journalistes] me posez cette question ? », s’est-elle enquise, avant de répondre :
« Cette question concerne l’occupation, je pense », a-t-elle dit, agitant les mains sa cigarette entre les doigts. « L’occupation va-t-elle continuer à démolir les maisons palestiniennes ? Ont-ils prévu de continuer à nous dénier nos droits à l’autodétermination nationale ?
« Si l’occupation continue, alors je ne cesserai jamais de m’exprimer sur ces sujets. »
« Nous n’avons aucun droit de nous défendre »
Jarrar a été arrêtée en juillet 2017 et a passé 20 mois en détention administrative.
Cette forme de détention – sans charges ni procès et fondée sur des preuves secrètes – est presque exclusivement utilisée contre les Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza et elle est illégale selon le droit international lorsqu’elle est utilisée sans limitation de durée comme le fait Israël.
En décembre 2018, presque 500 Palestiniens étaient en détention administrative, détention qui peut être renouvelée pour jusqu’à six mois d’intervalle et qui peut se poursuivre indéfiniment selon le droit militaire israélien.
Au total, selon Addameer, organisation de défense des droits des prisonniers, jusqu’en février de cette année, 5.440 Palestiniens ont été détenus dans les prisons israéliennes, dont 48 étaient des femmes.
Le droit international interdit à une puissance occupante de transférer des prisonniers hors du territoire occupé. Détenir des prisonniers palestiniens dans des prisons en Israël est donc également en contravention avec le droit international.
Jarrar, militante des droits des femmes, avait déjà subi des périodes d’incarcération en Israël et, au total, cette mère de deux enfants a passé plus de deux ans en détention administrative.
Pendant son plus récent séjour en prison, Jarrar, ainsi que des centaines d’autres Palestiniens en détention administrative, ont boycotté les tribunaux israéliens pendant presque un an.
« La totalité de la situation est injuste », a-t-elle dit à The Electronic Intifada. « Nous n’avons aucun droit de nous défendre ni même d’être informés des raisons pour lesquelles nous sommes emprisonnés. Alors, pourquoi devrions nous nous présenter devant les tribunaux ? »
Etre avocate en prison
Le temps que Jarrar a passé en prison n’a fait que renforcer son plaidoyer pour les droits des femmes. Pendant son séjour en prison en 2015, elle coordonnait, avec les ministères palestiniens de l’éducation et des questions des prisonniers, l’autorisation pour les femmes détenues de s’inscrire aux examens de fin d’études secondaires, pour la première fois derrière les murs de la prison.
Depuis lors, estime-t-elle, quelques 30 femmes de la prison israélienne d’HaSharon ont passé l’examen, dont l’éminente militante adolescente Ahed Tamimi et sa mère Nariman.
Jarrar a par ailleurs passé des années à recueillir des informations sur les diverses violations envers les enfants palestiniens et les prisonniers blessés, à la fois en tant que parlementaire ayant une responsabilité spéciale envers les prisonniers et dans son rôle précédent de directrice d’Addameer. Elle a également rassemblé des heures de témoignages de prisonnières pendant son temps d’incarcération, a-t-elle dit à The Electronic Intifada.
Aider les femmes détenues à améliorer leur sort en prison grâce à l’éducation est l’aspect le plus important de son travail, a-t-elle dit. Quand les femmes bénéficient d’éducation en prison, « Elles réalisent que, lorsqu’elle seront libérées, elles pourront réellement faire quelque chose et qu’elles ne font pas que perdre leur temps à attendre la fin de leur peine », a-t-elle dit à The Electronic Intifada.
C’est également essentiel pour le développement des femmes qui sont en prison pour des « raisons sociales », a-t-elle ajouté, faisant référence aux femmes qui se font parfois, dit-on, intentionnellement arrêter pour échapper à des problèmes domestiques.
« Par exemple, si une femme affronte la violence de son mari, nous pouvons lui donner de l’éducation et l’espoir. Nous essayons de lui donner de la connaissance et la force de demander le divorce à sa sortie de prison », a dit Jarrar.
« Si elle est instruite, elle peut réaliser qu’elle est assez forte pour faire face aux problèmes domestiques et qu’il existe une solution qui n’implique pas de recourir à la prison. »
Khalida Jarrar est accueillie par sa famille et ses soutiens le 28 février, jour de sa libération. Jarrar a passé près de deux ans en prison sans charges ni procès. (Oren Ziv / AvvtiveStills)
Sortie de prison, Jarrar continue de soutenir les prisonniers. Elle prend contact avec les familles des prisonnières qui font face à des problèmes domestiques et s’assure que les femmes seront en sûreté et protégées une fois libérées.
Fréquemment invitée dans les stations de radio locales qui peuvent être entendues dans les prisons israéliennes, Jarrar prend toujours soin d’essayer de communiquer avec les prisonniers et de parler de questions qui les concernent ou d’autres sujets auxquels ils peuvent s’intéresser. Grâce à leurs familles, elle leur envoie des livres à lire. Chaque prisonnier a droit à deux livres par mois, selon Jarrar.
Au cours de son dernier emprisonnement en détention administrative, elle a initié une formation au droit international et aux droits de l’homme, y compris l’étude de la Convention des Nations Unies pour l’Elimination de Toute Forme de Discrimination envers les Femmes.
Le gouvernement palestinien a ratifié la convention, bien qu’il faille encore l’inscrire dans la loi, question au sujet de laquelle Jarrar se bat.
Jarrar affirme qu’environ 32 femmes de la prison d’HaSharon ont suivi cette formation et ont reçu un certificat de fin d’études du ministère palestinien des affaires des prisonniers.
Plus généralement, les programmes de formation permettent aux prisonniers de faire valoir leurs droits, a dit Jarrar à The Electronic Intifada.
Quand ils [les prisonniers] réalisent les façons spécifiques dont Israël viole le droit international, ils ont alors moins peur de s’exprimer et d’exiger leurs droits », a-t-elle dit.
Elle se bat maintenant pour que les prisonnières poursuivent leur éducation après le lycée pendant qu’elles sont en prison.
Tout ceci se fait sans l’accord des autorités pénitentiaires israéliennes. « Elles essaient de m’empêcher de donner de l’instruction aux femmes, mais je le fais quand même », ajoute t-elle avec un haussement d’épaules.
« La vie en prison est tout entière dans les petits détails »
L’année dernière, Jarrar a participé à un sit-in organisé par les prisonniers contre les autorités pénitentiaires israéliennes qui installaient des caméras de surveillance dans la cour de la prison.
Que les gardiens israéliens surveillent la cour de la prison veut dire que les femmes pieuses doivent couvrir leurs cheveux et leur corps et souvent ne se sentent pas de faire du sport ou de s’entraîner alors qu’ils les observent.
« Je ne suis même pas une femme croyante », précise Jarrar. « Mais je veux quand même faire du sport sans que quelqu’un me surveille. Vous ne pouvez pas vous sentir à l’aise quand les gardiens de prison vous surveillent sur les caméras. »
Pendant plus de deux mois, quelques 34 prisonnières, dont Jarrar, ont refusé de quitter leurs cellules et d’aller dans la cour de la prison pour protester contre les caméras. Cependant, au lieu d’écouter les inquiétudes des prisonnières, les autorités israéliennes ont transféré les femmes impliquées dans la protestation à la prison de Damon au nord d’Israël – où Jarrar affirme que les conditions sont exponentiellement pires qu’à HaSharon.
Jarrar pense que les autorités pénitentiaires israéliennes l’ont transférée, elle et les autres femmes, à Damon pour « nous donner une leçon ». A HaSharon, souligne t-elle, les manifestantes s’étaient assurées quelques droits, dont l’accès libre aux douches, à une bibliothèque et à une cuisine. Mais à Damon, « nous sommes fondamentalement retournées au niveau zéro et avons dû lutter une fois de plus pour avoir ne serait-ce qu’une vie normale ».
Pourtant, a dit Jarrar, elles ont continué à réclamer leurs droits.
« En prison, la vie est tout entière dans de petits détails. Parce que ces détails ont un impact énorme sur votre vie de tous les jours », a-t-elle dit à The Electronic Intifada. A Damon, les femmes n’ont aucun droit à l’intimité souligne t-elle, et il n’y a que deux chaises en plastique endommagées dans des cellules qui contiennent au moins sept personnes.
Le sol en ciment des cellules est vieux et moisi, a-t-elle ajouté, et parfois, l’odeur nocive est si envahissante que les prisonnières ont des difficultés à respirer. En plus, à Damon, les prisonniers ne sont autorisés à sortir de leurs cellules que quatre heures par jour.
A un certain moment, les responsables de la prison israélienne ont eu besoin de faire des travaux dans la cellule de Jarrar et lui ont dit, ainsi qu’à ses camarades de cellule, de se tenir dans les douches publiques jusqu’à ce qu’ils aient fini.
« Nous avons refusé », a -t-elle dit. « C’est inhumain de nous faire attendre dans les douches. Ils devraient simplement nous faire attendre dehors dans la cour de la prison. »
Ce petit défi face aux gardiens de la prison a abouti à la mise à l’isolement de Jarrar et de ses compagnes de cellule pendant deux jours.
Les responsables de la prison ont confisqué tous les appareils électroniques qu’elles avaient dans la cellule – dont une radio, une télévision et un four électrique et une bouilloire – et les ont interdites de visites de leurs familles pendant un mois.
« Nous avons fait tout cela pour défendre les femmes à qui ils [les gardiens israéliens] feront la même chose la prochaine fois », a dit Jarrar.
« Les prisonniers deviennent comme une famille »
Jarrar a dit à The Electronic Intifada qu’elle a subi et été témoin de nombreuses autres violations des droits dans les prisons, particulièrement dues à l’utilisation par Israël de la bosta – véhicule utilisé par la prison pour séparer les prisonniers dans des cages en métal.
Les prisonniers sont transférés dans la bosta à l’aller et au retour de leurs audiences au tribunal, qui se tiennent généralement à Jérusalem ou dans la prison israélienne d’Ofer, à l’extérieur de Ramallah en Cisjordanie occupée.
Les mains et les jambes des prisonniers sont entravées pendant les longues heures de voyage – sans tenir compte des blessures ou de l’âge. Les prisonniers n’ont pas le droit de sortir du véhicule, même pour aller aux toilettes.
Jarrar a repensé à un incident dont elle a été le témoin, dans lequel une fille est arrivée au tribunal militaire d’Ofer dans des vêtements trempés de sang. Ses règles avaient commencé pendant le voyage dans la bosta, mais les autorités israéliennes avaient refusé de la laisser aller aux toilettes pour se laver.
« C’est complètement inhumain », a dit Jarrar. « Ces voyages vous fatiguent tellement. Il vous faut vraiment deux ou trois jours pour pouvoir à nouveau marcher. C’est épuisant. »
Au bout de ce trajet éreintant, les prisonniers ressentent peu de répit une fois arrivés dans les tribunaux militaires israéliens. Par exemple, au tribunal militaire d’Ofer, les prisonniers sont gardés dans une cellule glacée – surnommée « le réfrigérateur » par les prisonniers – avant et après leurs audiences.
Bien que les audiences ne durent que quelques minutes, les prisonniers passent des heures dans la cellule et le personnel israélien refuse de leur fournir des couvertures.
« La prison est très dure », a expliqué Jarrar. « Votre vie entière est condensée dans une cellule et vous êtes cerné par du métal. Si vous ne trouvez pas un moyen pour équilibrer vos pensées, vous pouvez devenir fou. »
« Et en plus de la simple âpreté d’être en prison, s’ajoutent toutes les violations constamment subies. »
Ce peut être particulièrement difficile pour les enfants, a dit Jarrar, surtout ceux qui sont blessés.
« Ce peut être très difficile pour eux au début. Ils souffrent et sont en état de choc. Mais nous essayons d’être maternelles avec eux. Nous les aidons et les intégrons dans les prises de décision dans la prison. Et encore plus important, nous les écoutons. »
La vie en prison vous isole, a-t-elle dit. Les prisonniers doivent se soutenir les uns les autres.
« Nous devenons comme une famille. »
Jaclynn Ashly est une journaliste basée en Cisjordanie.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada