Par Hagai El-Ad, directeur exécutif de B’Tselem, une organisation de défense des droits humains basée en Israël, 7 avril 2019
Le secrétaire d’État William Rogers suscitait l’espoir d’une paix au Moyen-Orient lorsqu’il arriva en 1971 pour commencer des pourparlers dans la région. Crédit photo: Rolls Press/Popperfoto, via Getty Images
JÉRUSALEM – Quand sera finalement révélé « l’accord du siècle », comme a baptisé le président Trump son futur plan pour une paix israélo-palestinienne ?
Certainement pas avant le 9 avril, date à laquelle Israël tiendra ses prochaines élections. Mais combien de temps après ? « Dans moins de 20 ans », a déclaré, sans s’engager beaucoup, le secrétaire d’État Mike Pompeo lors d’une réunion récente d’un comité du congrès.
Quoi qu’il en soit, les plans de paix américains n’ont rien de nouveau. Qui se souvient, par exemple, du Plan Rogers, du nom du secrétaire d’État William P. Rogers sous le président Nixon, il y a 50 ans ? Alors que son deuxième plan était discuté à la Knesset en 1970, un législateur israélien prédisait avec confiance : « ce ne sera pas long – un an, un an et demi, deux au maximum – avant que cette chose nommée « les territoires contrôlés » ne soit plus, et que les forces de défense israéliennes se retirent à l’intérieur des frontières israéliennes ».
Il est inutile de dire que cette « chose » est loin de « n’être plus ». Alors que les Plans Rogers se sont évanouis des mémoires, effacés par une suite de plans mis en avant par les présidents américains successifs, la réalité dans les territoires palestiniens occupés n’a pas été gelée. L’occupation israélienne s’est intensifiée et a évolué. Gaza est devenu la plus grande prison à ciel ouvert du monde, et on tente de le soumettre par des bombardements à intervalles réguliers de quelques années ; Jérusalem-Est a été formellement annexée par Israël ; la Cisjordanie est devenue un archipel de bantoustans palestiniens, entourés de colonies, de murs et de checkpoints, soumis à un mélange de violence étatique et de violence des colons. Pourtant, le vrai tour de force d’Israël n’a pas seulement été d’accomplir tout cela, mais de l’accomplir dans l’impunité et en n’en subissant que des conséquences minimes de la part du reste du monde, tout en préservant ses relations publiques et continuant à se faire reconnaître comme une « démocratie vibrante ».
L’histoire de ces 50 dernières années est ce que nous devrions reconnaître comme le réel accord : celui qui est déjà mis en pratique, l’accord du demi-siècle. Dans cet accord, aussi longtemps qu’Israël progresse dans son entreprise d’occupation en appliquant une dose de brutalité juste inférieure à ce qui provoquerait l’indignation internationale, il est autorisé à aller de l’avant, tout en continuant à profiter de bonus internationaux, justifiés par les engagements grandiloquents mais vides envers – comme le premier ministre Benjamin Netanyahu l’a récemment déclaré – les « valeurs que nous partageons, de liberté et de démocratie ».
Ce qui nous ramène au 9 avril, lorsque les Israéliens voteront pour un parlement qui régit autant les citoyens israéliens que les millions de sujets Palestiniens qui n’ont pas ce même droit de vote. Les colons israéliens en Cisjordanie n’ont même pas besoin de rouler jusqu’à un local de vote à l’intérieur d’Israël pour voter pour le destin de leurs voisins palestiniens. Même les colons du centre d’Hébron peuvent voter sur place, avec 285 votants inscrits (sur une population totale d’environ 1 000 colons), entourés de quelques 200 000 Palestiniens interdits de vote. C’est ce qu’appelle Israël la « démocratie ».
Ce seront les 15èmes élections législatives depuis le début de l’occupation, et peut-être celles où la vie des Palestiniens est la moins discutée – sauf pour faire le décompte de leurs morts et célébrer leur destruction. Plus tôt cette année, le général Benny Gantz, maintenant leader du nouveau parti « centriste » qui menace le plus le premier ministre Benjamin Netanyahou, a publié une vidéo soulignant le nombre de « terroristes » palestiniens qui avaient été tués à Gaza pendant l’été 2014, lorsque M. Gantz était chef des armées. (Selon des recherches menées par l’association à but non lucratif israélienne B’Tselem, la plupart de ceux qui ont été tués par l’armée israélienne au cours de cet été étaient des civils, dont plus de 500 enfants). Pour sa part, M. Netanyahou a promis que s’il conservait son poste, l’occupation continuerait. « Je ne diviserai pas Jérusalem, je n’évacuerai aucune communauté et je m’assurerai que nous contrôlons le territoire à l’ouest de la Jordanie », a-t-il déclaré lors d’une interview pendant le week-end.
Au lieu de porter sur les droits et la liberté des Palestiniens, la campagne s’est concentrée sur la probable inculpation de M. Netanyahou pour des accusations de corruption. Mais est-ce que cela importe beaucoup pour la famille palestinienne dont le fils a été tué en toute impunité ou dont la maison a été rasée par un bulldozer, si le premier ministre responsable de ces politiques est corrompu ou s’il est plus blanc que blanc ?
Après le 9 avril, nous verrons à un moment donné quel « accord » l’administration Trump a à l’esprit. En fait, on ne peut s’empêcher de se demander s’il n’est pas déjà en train de prendre forme sous nos yeux : en mai dernier, l’administration Trump a déplacé l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem ; quelques mois plus tard, elle a coupé l’aide aux Palestiniens et à l’agence des Nations Unies qui s’occupe des réfugiés palestiniens ; plus récemment, elle a étendu sa reconnaissance de la souveraineté d’Israël au Plateau du Golan, une mesure célébrée par un fonctionnaire israélien comme le signe avant-coureur d’autres changements relatifs à l’avenir de la Cisjordanie.
Il est difficile de voir comment « l’accord du siècle » pourrait être autre chose qu’une extension de l’accord du demi-siècle. David M. Friedman, l’ambassadeur de l’administration Trump en Israël, a plus ou moins admis cela dans une interview donnée à The Washington Examiner, lorsqu’il a dit que l’administration aimerait « voir une amélioration significative de l’autonomie palestinienne, pour autant qu’elle ne menace pas la sécurité d’Israël ». Mais les Palestiniens méritent toute la liberté, pas une autonomie améliorée commercialisée par les Américains, qui ne suggère rien d’autre que la prolongation de l’occupation israélienne. Cela annonce un futur qui ne sera basé ni sur la justice ni sur le droit international, mais sur plus de contrôle, plus d’oppression et plus de violence d’État.
À moins que la communauté internationale ne retire l’accord du demi-siècle de la table, demandant enfin à Israël de choisir entre la continuation de l’oppression des Palestiniens et l’exposition à de réelles conséquences, l’occupation continuera. L’administration Trump n’est clairement pas à la hauteur de cette tâche. Mais les Nations Unies, avec le Conseil de sécurité, des États membres clés de l’Union européenne – le plus grand partenaire commercial d’Israël – et l’opinion publique internationale ont tous une large marge de manœuvre. Et les Américains qui croient sincèrement aux droits humains et à la démocratie, qui ne les considèrent pas comme des slogans vides ou une monnaie d’échange, mais comme des exigences authentiques, ne doivent pas attendre 2020 pour déployer leur puissance politique.
Avec une appropriation systématique des terres et l’imposition de restrictions à la liberté de mouvement, le déni des droits politiques était l’un des piliers du régime d’apartheid de l’Afrique du Sud. Ce pays aussi se considérait comme une démocratie.
Beaucoup d’Israéliens vont considérer le 9 avril comme une célébration de la démocratie. Ce ne le sera pas. Ce jour d’élections ne devrait être rien de plus que le douloureux rappel d’une réalité profondément non démocratique, situation que l’administration Trump semble heureuse de perpétuer – et que le reste de la communauté internationale va continuer à autoriser jusqu’à ce qu’elle arrête enfin de détourner le regard. Nous, les près de 14 millions d’êtres humains vivant sur ces terres, avons besoin d’un avenir pour lequel il vaille la peine de se battre : un avenir basé sur l’humanité commune des Palestiniens et des Israéliens, pour tous ceux qui croient en un avenir de justice, d’égalité, de droits humains et de démocratie – pour nous tous.
Hagai El-Ad est le directeur exécutif de B’Tselem, le Centre israélien d’information sur les droits humains dans les Territoires occupés.
Traduction : MUV pour l’Agence Média Palestine
Source : The New York Times