Ali Abunimah – 24 Juin 2019
Des Palestiniens manifestent contre la conférence économique de Bahreïn, à Rafah, dans le sud de Gaza, le 18 Juin. La rencontre de cette semaine dans l’état du Golfe dévoilera le volet économique de l’ “Accord du siècle” de l’administration Trump. (Ashraf Amra /APA images)
Ce week-end, la Maison Blanche a publié “De la paix à la prospérité,” le volet économique de son Accord du Siècle.
Il propose 50 milliards de dollars d’“investissements” répartis sur 179 projets. La moitié de cet argent devrait être dépensé sur 10 ans dans des infrastructures palestiniennes, et le reste sera réparti entre l’Égypte, le Liban et la Jordanie.
Cela devrait comprendre 5 milliards de dollars pour un corridor de transport entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza occupées, ainsi que 2 milliards pour le tourisme palestinien.
Generations of Palestinians have lived under adversity and loss, but the next chapter can be defined by freedom and dignity.
Today, we're unveiling Peace to Prosperity: the most ambitious international effort for the Palestinian people to date. https://t.co/q1pX9yJJzE
— The White House (@WhiteHouse) June 22, 2019
Depuis des générations les Palestiniens font face à l’adversité et aux pertes, mais le prochain chapitre pourrait être celui de la liberté et de la dignité.
Aujourd’hui, nous dévoilons De la paix à la prospérité : l’initiative internationale pour les Palestiniens la plus ambitieuse jusque là.
Le plan n’a aucune chance de réussir, notamment parce que personne ne sait d’où l’argent proviendrait (il est probable que des états du Golfe alliés de l’Amérique l’aient promis). En outre, il n’y a aucune raison de penser qu’Israël autorise d’importants projets qui profitent aux Palestiniens.
Jared Kushner, conseiller et gendre du président Donald Trump, et le représentant états-unien Jason Greenblatt, sont les cerveaux de ce plan.
Ils prétendent que cette initiative permettrait de réduire la pauvreté des Palestiniens de moitié et de doubler leur PIB en une décennie.
https://twitter.com/jdgreenblatt45/status/1142619573902090240
Aujourd’hui @POTUS a publié le projet économique de notre administration, De la paix à la prospérité, une nouvelle approche qui permettra de construire un avenir meilleur pour le peuple palestinien et ses voisins. Nous avons hâte d’en discuter cette semaine à Bahreïn :
De la paix à la prospérité a le potentiel d’atteindre des résultats incroyables comme : plus de 50 milliards de dollars d’investissements en 10 ans, doubler le PIB palestinien, créer plus d’un million d’emplois et de diminuer le taux de chômage.
J’ai déclaré samedi sur Al Jazeera que le plan revient à ressortir les vieilles idées de “paix économique”, l’espoir que quelques billets détourneraient les Palestiniens de leur quête pour la libération et de leur résistance au système d’occupation, de colonisation et d’apartheid israélien.
Ils veulent acheter la Palestine avec des cacahuètes.
Vous pouvez regarder la vidéo ici :
Infliger la paix et la misère
Même en considérant l’initiative selon ses propres termes, l’approche de Kushner pose un vrai problème de crédibilité : pour prendre juste un exemple, “De la paix à la prospérité” prétend qu’il y aura de gros investissements de faits dans le système de santé pour les Palestiniens parce que “une économie saine a besoin d’une population saine.”
Mais à la demande de Kushner, l’une des premières choses que l’administration Trump a fait a été de couper toute aide humanitaire et de développement aux Palestiniens, y compris le soutien financier états-unien à l’UNRWA, l’agence de l’ONU qui fournit santé et éducation aux réfugiés palestiniens les plus pauvres et les plus vulnérables.
This photo used in @jdgreenblatt45 brochure to talk about importance of education for Palestinians is of a student in @unrwa school system which the Trump administration de-funded.. Goes to show how WH team is so out of it that they promote the very organisation they defunded pic.twitter.com/j6ztqWtE6G
— Daoud Kuttab داود كُتّاب (@daoudkuttab) June 23, 2019
Cette image publiée dans la brochure @jdgreenblatt45 pour parler de l’importance de l’éducation pour les Palestiniens est la photo d’une élève d’une école de l’@unrwa que l’administration a arrêté de financer. Cela montre à quel point la Maison Blanche est tellement à côté de la plaque qu’elle fait la promotion de l’organisation qu’elle a arrêté de financer.
L’administration Trump a aussi stoppé les financements de six hôpitaux de Jérusalem Est qui fournit des services d’urgence aux Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza.
Jared Kushner ne peut pas nous dire qu’il se soucie de mettre un terme à la pauvreté des Palestiniens tout en leur infligeant plus de souffrance et de misère, ce qui est la réalité des faits, contrairement au rêve chimérique que vente ce plan.
Rank hypocrisy for Trump “Peace to Prosperity” plan to talk about investing in Palestinian healthcare after cutting $25m from Palestinian hospitals in East Jerusalem & ending US support for @UNRWA which provides healthcare to over 3m Palestinian refugees. https://t.co/5tRzRwcjLa pic.twitter.com/PiwyoAxX74
— Richard Burden (@RichardBurden27) June 22, 2019
Parfaite hypocrisie du plan “De la paix à la prospérité” de Trump qui parle d’investir dans le système de santé palestinien après avoir supprimé 25 millions de dollars des hôpitaux palestiniens de Jérusalem Est & stopper le soutien US à l’@UNRWA qui fournit des soins médicaux à plus de 3 millions de réfugiés palestiniens.
Redorer l’image de l’occupation
Il n’y a rien de nouveau dans la stratégie de Kushner de cacher l’occupation militaire et l’exploitation coloniale sous un plan pour la prospérité.
Au début des années 1990, à la signature des accords d’Oslo, les médias fantasmaient sur le fait que Gaza deviendrait le “Hong Kong de la Méditerranée.”
Au lieu de cela, sous couvert du “processus de paix,” Israël a commencé à isoler Gaza et à dé-développer son économie, comme le descrit l’universitaire Sara Roy.
De nouveau en 2005, lorsque Israël se préparait à évacuer les colons de Gaza, les médias fantasmaient sur le fait que le territoire côtier deviendrait le “Singapour de la Méditerranée.”
Mais plutôt que de lui permettre de prospérer, Israël a fait de Gaza un ghetto fermé pour ce qu’il juge être un excédent de population, qui doit être bombardé ou assassiné par des snipers s’ils osent résister à leur destin.
Imperturbable, le plan de Kushner soutient que “Tout comme Dubaï et Singapour bénéficient de leurs situations stratégiques et prospèrent en tant que centre financier, la Cisjordanie et Gaza peuvent enfin se développer en un pôle commercial régional.”
On frémit à l’idée du destin qui attend Gaza après ces dernières promesses.
Un futur dystopique
Parmi la bouillie néolibérale sur la “gouvernance,” “le développement de compétences,” et “l’empowerment” des Palestiniens, le plan de Kushner promet d’“Augmenter le pourcentage des exportations palestiniennes de 17 à 40 du PIB,” en partie grâce au “développement de zones industrielles de pointe.”
Cette idée recycle également des plans vieux de plusieurs décennies qui veulent faire des Palestiniens et des travailleurs immigrés amenés dans le pays, une main-d’œuvre captive et bon marché. L’idée étant de les faire travailler dans les zones industrielles où des entreprises étrangères peuvent les exploiter sans peur d’enfreindre les droits des travailleurs, les standards de santé et environnementaux ou de subir des contrôles sérieux comme cela s’est produit en Jordanie et partout dans les pays développés (j’étudie ce sujet dans mon ouvrage de 2014 La bataille pour la justice en Palestine).
Ce futur dystopique pour les Palestiniens était soutenu dans des termes tout aussi prometteurs par Tony Blair en 2008 lorsqu’il était le représentant du Quartet, ce groupe moribond d’élus états-uniens, européens, russes et onusiens qui prétendait faire avancer le “processus de paix.”
Si Kushner voulait réellement augmenter de manière radicale le PIB palestinien il n’aurait pas besoin de 10 ans ni de milliards de dollars. Tout ce qu’il faudrait, pour commencer, c’est qu’Israël mettent fin aux restrictions qu’il impose aux Palestiniens qui travaillent, créent des entreprises ou cultivent leurs terres en Cisjordanie et Bande de Gaza occupées.
Les restrictions militaires d’Israël sur l’activité économique palestinienne en “Zone C” (60 % de la Cisjordanie sous contrôle total de l’armée israélienne) a coûté des milliards de dollars aux Palestiniens.
Trying to improve the Palestinians’ “quality of life” without touching the Israeli occupation is literally the oldest game in the book. It’s never worked because it can’t work, and I suspect @jdgreenblatt45 et al fully understand that.
— Khaled Elgindy (@elgindy_) June 23, 2019
Essayer d’améliorer la “qualité de vie” des Palestiniens sans toucher à l’occupation israélienne c’est vraiment une bonne blague. Ça n’a jamais marché, parce que ça ne peut pas marcher, et je suspecte @jdgreenblatt45 et Cie de bien comprendre cela.
La Banque Mondiale estime que “si les entreprises et les fermes avaient le droit de se développer en Zone C, cela augmenterait le PIB palestinien de 35 %.”
Mais le plan de Kushner ne mentionne pas que la dictature militaire israélienne dans laquelle vivent des millions de Palestiniens met un nombre incalculable d’obstacles délibérés en travers de l’économie palestinienne, ce qui participe à la violence systématique contre la population.
can someone explain to .@jaredkushner that goods can’t flow between #Gaza and the West Bank beacuse there is a military occupation? https://t.co/HpPhatCjEA
— Samar D Jarrah (@SamarDJarrah) June 22, 2019
quelqu’un peut expliquer à .@jaredkushner que les marchandises ne peuvent pas circuler entre #Gaza et la Cisjordanie parce qu’il y a une occupation militaire?
Avec le projet d’investir environ 50 milliards de dollars au Moyen-Orient, Jared Kushner explique à @ Reuters que si le plan décennal est mis en œuvre correctement il réduira les taux de pauvreté et de chômage de manière significative https://reut.rs/2Y0vvwJ
Le passage dans lequel le plan se rapproche le plus de la réalité par un euphémisme ridicule est lorsqu’il explique que les Palestiniens “rencontrent de manière systématique des problèmes logistiques en Cisjordanie et à Gaza, qui les empêchent de voyager, font stagner la croissance économique, réduisent les exportations et freinent les investissement directs étrangers.”
Non, Jared, ce n’est pas un “problème logistique”, c’est une occupation militaire.
De même, le chômage à Gaza est de plus de 50 pourcent, plus de 80 pourcent pour les diplômés de l’université. Cela n’est pas dû à une absence de projet d’“investissement” mais à cause du blocus israélien sur le territoire depuis 12 ans, une autre réalité flagrante que la plan refuse de reconnaître.
Essais et échecs
Il n’y a pas grand-chose d’autre à dire de ce plan, si ce n’est que quiconque nourrit la moindre illusion que le volet politique à venir (si jamais il voit le jour) serait meilleure, devrait se réveiller.
Ce ne sera rien d’autre que de la poudre aux yeux pour qu’Israël puisse annexer la Cisjordanie en partie ou en totalité.
La conférence de Bahreïn prévue cette semaine, durant laquelle “De la paix à la prospérité” doit être lancé, est déjà un flop.
A l’origine, cela devait être une vitrine de normalisation, avec une délégation ministérielle israélienne de haut rang aux côtés des dirigeants arabes.
Mais à cause d’un mouvement de résistance dans la région, ou peut-être une simple gêne parmi les régimes arabes, et un total boycott de la part des Palestiniens, les États-Unis ont abandonné le projet d’inviter une délégation officielle israélienne.
Même les plus solides soutiens des États-Unis, comme l’Union Européenne, la Jordanie et l’Égypte envoient le moins de représentants possibles.
Il y a une dizaine d’années, le Quartet a tenté d’imposer une paix économique illusoire aux Palestiniens, avec à l’époque une collaboration enthousiaste de la part des dirigeants de l’Autorité palestinienne. L’initiative s’est achevée avec l’ultra médiatique “conférence des investissements” à Bethléem qui, tout comme l’édition bahreïni, a été mis en échec par une farouche opposition de la part des Palestiniens.
Au cas où il existait des doutes quant aux sentiments des Palestiniens, les factions politique de la Bande de Gaza ont annoncé une grève générale ce mardi afin d’envoyer le message à ceux qui se réunissent à Bahreïn que personne ne peut effacer leurs droits inaliénables, particulièrement avec des vides promesses de “prospérité.”
Comme je l’ai dit à Al Jazeera, ce dont les Palestiniens ont besoin et exigent est la libération, et non la charité de Jared Kushner.
Source : Electronic Intifada
Traduction : LG pour l’Agence Média Palestine