Chemi Shiff et Yonathan Mizrachi
+972 Magazine – 5 juillet 2019
L’inauguration d’une présumée « Route de pèlerinage », juive, antique, par l’ambassadeur David Friedman et l’envoyé de la Maison-Blanche Jason Greenblatt rappelle que l’archéologie n’est jamais aussi neutre que certains voudraient le croire.
Des archéologues font des fouilles sur un site de vestiges d’une citadelle utilisée par les Grecs il y a plus de deux mille ans, au parc archéologique de la Cité de David, dans le quartier de Silwan, à Jérusalem-Est, le 3 novembre 2015. (Photo : Yonatan Sindel/Flash90)
Nous avons tendance à penser que l’archéologie est une discipline neutre. Les archéologues déterrent des artefacts, ils les datent et tentent d’établir une chronologie pour mieux comprendre l’histoire d’un lieu ou d’un peuple particulier.
L’inauguration, la semaine passée, d’une « Route de pèlerinage » par l’ambassadeur des USA en Israël, David Friedman, et l’envoyé de la Maison-Blanche au Moyen-Orient, Jason Greenblatt, rappelle que l’archéologie n’est jamais aussi neutre que certains voudraient le croire. Selon les archéologues, la route a été empruntée par les pèlerins juifs alors qu’ils montaient au Second Temple, il y a quelque 2000 ans.
Pour les Palestiniens, le tunnel se trouve directement sous le quartier de Silwan, depuis longtemps convoité par les colons israéliens qui travaillent activement à la judaïsation de la zone.
Quand il s’agit d’archéologie à Jérusalem, il semble que tout le monde préfère ignorer l’éléphant dans la pièce : comment un site archéologique, en particulier un site avec autant de couches d’histoire, peut-il être présenté comme une preuve des revendications exclusives d’un groupe ethno-national ?
Doron Spielman, vice-président de l’organisation de colons Elad qui a financé les excavations et gérera son site archéologique, a déclaré au Jerusalem Post : « ce lieu est le cœur du peuple juif et il est comme le sang qui coule dans nos veines ». Commentant l’importance des découvertes, Greenblatt a souligné que « l’archéologie ne façonne pas le paysage historique », mais se concentre plutôt sur « l’excavation… et l’analyse des artefacts/vestiges physiques ».
L’ambassadeur US en Israël, David Friedman (à gauche) avec l’envoyé de la Maison-Blanche au Moyen-Orient, Jason Greenblatt (au centre) et le sénateur Lindsey Graham, lors de la cérémonie d’ouverture de la Route de pèlerinage sur le site de la Cité de David, dans le quartier de Silwan à Jérusalem-Est, le 30 juin 2019 (Flach90).
Le sentiment de Greenblatt transcende les différences politiques entre gauche et droite. Après tout, l’archéologie a longtemps été utilisée par beaucoup de sociétés pour cimenter leurs idéologies en tant que partie inséparable du paysage. Cela, bien sûr, ne veut pas dire qu’on ne peut pas utiliser l’archéologie pour pouvoir discerner entre les différentes cultures. Pourtant, dans la plupart des sites qui ont été habités par d’innombrables cultures à travers les siècles – et particulièrement dans les lieux à multiples couches comme Jérusalem-, les archives archéologiques révèlent habituellement une histoire de relations complexes entre les différentes cultures qui ont vécu dans une zone spécifique.
S’il ne fait aucun doute que des juifs ont vécu dans la zone environnant la Route de pèlerinage à de nombreuses périodes, les fouilles ont révélé que cette zone avait été habitée sans interruption pendant des milliers d’années avant et après la période romaine (appelée en Israël, la période du Second Temple), durant laquelle la route a été construite.
De plus, si les représentants de l’Elad sont convaincus que cette route a été empruntée par les pèlerins sur le chemin du Second Temple, bien des d’archéologues ne le sont pas. La preuve dont on dispose remet en question l’exclusivité juive sur le site. Pourtant, à ce jour, aucun rapport sur les données accumulées au cours des fouilles n’a été publié. Sans ces données, toute interprétation de l’histoire du site doit être considérée non comme une réalité, mais comme une conjecture.
Bien sûr, la partie non-juive de l’histoire n’a pas encore été dite. En marchant dans le site archéologique de la Cité de David, on en apprendra davantage sur son héritage juif. Il faut s’interroger sur le fait que la Route de pèlerinage a été creusée comme un tunnel horizontal, une méthode d’excavation archéologique extrêmement contestée, empêchant de pouvoir faire la différence entre les strates sur le site.
De plus, les tunnels permettent aux visiteurs de traverser le village de Silwan sans voir une seule fois les Palestiniens ni essayer de comprendre les implications politiques de l’entreprise archéologique de l’Elad sur Jérusalem. Ainsi, les excavations dans le tunnel peuvent être considérées comme une étape de plus dans l’appropriation de ce que Friedman et Greenblatt appellent la « vérité » de l’histoire de Silwan, alors que les excavations en elles-mêmes – et pas seulement l’interprétation des fouilles – ignorent et détruisent les couches en dessous et au-dessus de cette route.
Interrogé sur l’importance de la Route de pèlerinage, Friedman a affirmé qu’ « elle apporte la vérité et la science à un débat qui a été trop longtemps été entaché de mythes et tromperies », expliquant que les résultats « mettent fin aux efforts sans fondement visant à dénier le fait historique du lien antique de Jérusalem avec le peuple juif ». Et Friedman et Greenblatt d’ajouter que toute résolution de paix viable avec les Palestiniens devait être basée sur « la vérité ».
Des militants de la Paix Maintenant manifestent devant l’ouverture d’une route antique sur le site archéologique de la Cité de David, dans le quartier de Silwan à Jérusalem-Est, 30 juin 2019. (Flach90)
Cependant, comme pour tant d’autres avant eux, il semble que la recherche de la vérité par l’archéologie se manifeste dans des justifications d’agendas nationalistes plutôt que dans des tentatives pour construire des ponts entre les peuples.
Dans leur quête d’une vérité commode, rien n’est plus aisé pour Friedman et Greenblatt que de faire fi de l’histoire historique complexe de Silwan, de la Route du pèlerinage, et de la violence dont cette zone a souffert à cause des Israéliens comme des Palestiniens qui se servent de l’archéologie comme d’un jeu à somme nulle. Au lieu de monopoliser un récit nationaliste unique, il serait peut-être préférable pour les dirigeants de tous côtés de créer un environnement qui inclue les nombreux récits que contient le paysage.
Chemi Shiff et Yonathan Mizrachi sont membres d’Emek Shaveh. Une ONG israélienne qui s’efforce de protéger les sites antiques en tant que biens publics appartenant aux membres de toutes les communautés, religions et peuples.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine