Les secouristes ont besoin de miracles pour rester en vie à Gaza

 

Par Hamza Abu Eltarabesh, 19 juillet 2019

Les secouristes de Gaza rendent hommage à leur collègue Muhammad al-Judaili qui a été mortellement blessé pendant la Grande Marche du Retour. (Ramez Haboub / APA images)

Personne à Gaza ne peut échapper au fait de devenir une cible pour les Israéliens. Seule la chance peut sauver quelqu’un des tirs.

Le secouriste Muhammad al-Judaili n’a pas eu de chance.

Le 3 mai, il travaillait à la Grande Marche du Retour – manifestations hebdomadaires pour exiger que les droits des réfugiés de Palestine soient entièrement respectés. Il était près d’une ambulance garée approximativement à 100 mètres de la barrière qui sépare Gaza et Israël quand il a vu qu’un enfant avait été atteint au bras par une balle.

Muhammad s’est précipité vers l’enfant dans l’intention de lui administrer les premiers secours. Avant de pouvoir le faire, Muhammad est lui-même tombé au sol. Un sniper israélien lui avait tiré dans le nez avec une balle d’acier enrobé de caoutchouc.

On l’a emporté à l’hôpital al-Qods, au sud de Gaza, où il avait travaillé auparavant. Trois semaines plus tard, il a été libéré afin de pouvoir fêter l’Aïd en famille dans le camp de réfugié d’al-Bureij.

Alors qu’il était dans son appartement, Muhammad a perdu connaissance. On l’a ramené à l’hôpital, où son coeur s’est arrêté plusieurs minutes.

Bien que les médecins aient réussi à le ranimer, il est resté dans le coma. Son équipe médicale craignait que son cerveau n’ait été endommagé par sa blessure.

Le 4 juin, Muhammad a été transféré à l’hôpital al-Ahli d’Hébron, ville de Cisjordanie occupée. Six jours plus tard, il est mort. Il avait 36 ans

« Je n’ai jamais imaginé être une veuve et avoir la charge d’élever seule quatre enfants », a dit sa femme Muna Shurrab. « Muhammad avait un grand coeur qui nous aimait tous. »

Adel, le fils de dix ans de Muhammad, se souvenait qu’ils étaient allés faire les courses ensemble pour l’Aïd.

« Nous étions très heureux », a dit Adel. « Nous pensions que nous avions retrouvé notre vie normale. »

« Devoir »

Muhammad a été le quatrième secouriste de Gaza à être tué depuis le début de la Grande Marche du Retour l’année dernière.

Un assassinat semblable – celui de l’infirmière Razan al-Najjar – a bénéficié d’une certaine couverture médiatique à l’international.

Pourtant, la violence infligée par Israël aux secouristes a généralement rencontré l’indifférence des gouvernements occidentaux.

Le ministère de la Santé de Gaza déclare que l’assassinat des secouristes a été délibéré. Le porte-parole du ministère, Ashraf al-Qedra, a dit qu’Israël visait les victimes « directement à la tête ou à la poitrine ».

Ahmad Abu Foul a été témoin de l’assassinat de son collègue Muhammad al-Judaili. Les deux hommmes avaient travaillé ensemble à de nombreuses occasions.

Quand Abu Foul a été blessé par Israël au cours de l’Opération Plomb Durci – agression majeure de fin 2008 et début 2009 – c’est Muhammad qui lui a prodigué les premiers secours.

Abu Foul a lui-même été blessé quatre fois depuis le début de la Grande Marche du Retour l’année dernière. Une semaine avant que Muhammad ait reçu sa blessure mortelle, Abu Foul a reçu une balle dans la jambe.

Malgré le danger qu’il affronte, Abu Foul s’est engagé à poursuivre son travail. « C’est un devoir », a-t-il dit. « Je ne mérite pas d’être tué pour faire ce que je fais. »

Il faisait aussi partie d’une équipe médicale qui a été ciblée par un missile tiré d’un drone israélien pendant les 51 jours d’assaut israélien sur Gaza à cette époque cinq ans plus tôt. « C’est un miracle que nous ayons survécu », a-t-il dit.

Bravoure

Ali Saqir, marchand de chaussures, était un voisin et ami proche de Muhammad al Judaili. Il s’est souvenu de la bravoure de Muhammad pendant l’agression israélienne de 2014.

Quand le camp d’al-Bureij s’est retrouvé sous les tirs israéliens, Saqir a appelé Muhammad pour lui demander d’aider à évacuer ses résidents. Bien que Muhammad ait été en train de travailler dans une autre partie de Gaza à ce moment là et que les trajets par la route soient extrêmement dangereux, il a insisté pour venir avec une ambulance à al-Bureij afin de pouvoir aider ses voisins.

Une autre fois pendant l’attaque de 2014, Muhammad travaillait dans la région de Beit Hanoun au nord de Gaza. Israël avait détruit des maisons dans la zone et beaucoup des personnes déplacées s’étaient rassemblées désespérées autour d’une ambulance.

Les forces israéliennes ont ordonné que les gens s’éloignent de l’ambulance. Mais Muhammad a désobéi à cet ordre et a démarré rapidement, l’ambulance pleine de gens.

Alors que l’ambulance s’éloignait, les forces israéliennes ont tiré un missile dans sa direction. « Par chance, Muhammad est arrivé à fuir en faisant une embardée et il a survécu, ainsi que ses passagers », a dit Saqir.

« La première fois que je me suis senti impuissant »

Le cinquième anniversaire de l’attaque de 2014 ravive des souvenirs douloureux pour les secouristes de Gaza.

Au total, 23 membres du personnel de santé ont été tués pendant cette offensive, 16 d’entre eux en service. Les secouristes qui ont survécu ont, très souvent, eu à faire face à des deuils.

Basem al-Batsh travaille pour le département de la défense civile de Gaza. Tard dans l soirée du 29 juillet 2014, il a reçu un appel téléphonique pour lui dire qu’Israël bombardait le camp de réfugiés de Jabaliya, où il vivait.

Basem est parti pour chez lui. Pourtant, lorsqu’il est arrivé à l’entrée de son quartier, il était impossible de s’aventurer plus loin.

Israël tirait des missiles « sur tout ce qui bougeait », a-t-il dit « Je pouvais voir ma famille courir dans la rue, fuyant la maison. »

La très grande famille al-Batsh vivait dans un immeuble de plusieurs étages. Alors qu’ils essayaient de s’échapper, les forces israéliennes les ont attaqués.

Cinq membres de la famille ont été tués. Parmi eux, il y avait la mère de Basem, Halima. « Je regardais ma mère mourir », a-t-il dit « A ce moment là, Israël m’a tué moi aussi »

Une fois qu’il a senti qu’il pouvait bouger, Basem a pris le corps de sa mère et l’a déposé à l’arrière de l’ambulance.

« Je me suis assis sur le siège avant et je ne pouvais regarder en arrière le cadavre de ma mère », a-t-il dit. « C’est la première fois que je me suis senti impuissant. Je suis un secouriste et un membre de la défense civile, qui ne pouvait pas sauver la vie de sa mère. »

Hamza Abu Eltarabesh est une journaliste de Gaza

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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