Par Amjad Iraqi, 26 juillet 2019
Une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU rejetant la constitution de 1983 de l’Afrique du Sud montre qu’il existe un précédent et une nécessité d’agir contre la Loi Etat-Nation d’Israël.
Simon KAPWEPWE (debout), ministre des Affaires Etrangères de Zambie, s’adressant au Séminaire sur l’Apartheid, la Discrimination Raciale et le Colonialisme, le 4 août 1967 (photo de l’ONU)
Dans un référendum du 2 novembre 1983, les électeurs Blancs de l’Afrique du Sud de l’apartheid ont approuvé une nouvelle constitution pour réorganiser leur régime politique. En plus de consolider le pouvoir exécutif avec la présidence, un parlement de trois chambres a été institué pour accorder une représentation séparée aux gens de couleur et aux Indiens, la chambre des Blancs détenant la majorité parlementaire. Les non-blancs étaient nommés à diverses positions publiques et certaines restrictions économiques et sociales étaient abrogées. Les Africains noirs, bien sûr, restaient exclus de l’électorat.
Les partisans de cette réforme espéraient qu’elle rendrait l’apartheid plus soutenable en apaisant l’opposition croissante dans le pays et à l’étranger. Ce n’a pas été le cas. L’année suivante, le Conseil de Sécurité de l’ONU a déclaré la nouvelle constitution « nulle et non avenue » avec la Résolution 554 (13 pour, et abstention des Etats Unis et du Royaume Uni). En affirmant « la légitimité de la lutte … pour l’élimination de l’apartheid », le Conseil a accusé la constitution de chercher à « poursuivre le processus de dénationalisation de la majorité indigène africaine, la privant de tous ses droits fondamentaux, et d’ancrer encore plus l’apartheid, transformant l’Afrique du Sud en un pays pour « blancs seulement ».
La résolution est allée plus loin, rejetant « tout soi-disant ‘accord négocié’ fondé sur des constructions de bantoustans » ou sur la nouvelle constitution. Elle appelait les gouvernements et les organisations à ne pas reconnaître les élections de 1984 (les premières avec le système à trois chambres), et à soutenir la transformation de l’Afrique du Sud en démocratie non raciale. Bref, le monde n’achetait pas les tentatives de Pretoria pour enjoliver son régime. L’apartheid devait disparaître.
De jeunes Israéliens défilent dans la vieille ville de Jérusalem le 17 mai 2015, prenant part à la marche des drapeaux, pour célébrer les 48 ans d’occupation de Jérusalem Est.
Lorsque la Knesset d’Israël a voté la ‘Loi de l’État-Nation des Juifs’ il y a un an ce mois-ci, elle a effectivement déclaré l’apartheid loi constitutionnelle du pays. Pourtant, les réactions de la communauté internationale n’ont guère égalé celles envers l’Afrique du Sud 35 ans plus tôt. Certains, comme l’Union Européenne, ont publiquement exprimé des inquiétudes au sujet de l’effet de la Loi Fondamentale sur les citoyens de la minorité en Israël et sur les valeurs démocratiques ; mais, pour la plupart, ils l’ont traitée comme une affaire nationale dans laquelle ils ne pouvaient interférer, du moins jusqu’à ce que la Cour Suprême ait terminé son contrôle judiciaire.
La tiédeur de la réaction est dérangeante étant donné la gravité de la nouvelle loi. Entre autres dispositions, elle affirme que le droit à l’autodétermination dans l’État n’appartient qu’aux Juifs ; elle déchoit l’arabe de son statut de langue officielle ; et elle encourage l’exclusivité du peuplement juif en tant que « valeur nationale ». Cette discrimination a toujours existé dans la politique gouvernementale et autres législations depuis 1948 ; mais maintenant, en tant que boussole constitutionnelle, elle rétrécit encore plus, en particulier pour les citoyens palestiniens, les ouvertures qui restent dans l’État pour défier ces pratiques.
Plus dangereux, la loi consolide le régime unique qui opprime tous les Palestiniens des deux côtés de la Ligne Verte. Eperonnée par l’adhésion des Etats Unis à la souveraineté israélienne sur Jérusalem Est et les Hauteurs du Golan, la Knesset promeut une législation dont le but est d’annexer les colonies et autres bandes de terre palestiniennes, ce qui étendrait la juridiction de la Loi Fondamentale jusqu’au fin fond des territoires occupés. Même sans annexion formelle, ‘l’occupation permanente’ israélienne assure déjà une suprématie juive du fleuve à la mer, concrétisant ainsi le but de la loi.
Dans l’ensemble, le régime politique d’Israël est une réincarnation frappante du modèle de l’Afrique du Sud de 1983. Il offre le droit de vote aux citoyens palestiniens sous couvert de démocratie, tout en privant de ce droit la majorité de leurs frères vivant sous l’autorité de l’État. Il amplifie les privilèges et les espaces à vivre des citoyens juifs, tout en morcelant et encageant les Palestiniens dans des enclaves séparées, pseudo-autonomes.
Le Conseil de Sécurité du 18 décembre 2015 (Photo des Nations Unies)
Et pourtant, pour tous ces faits similaires – que les Palestiniens ont constatés bien avant l’existence de la Loi sur l’Etat-Nation – une résolution comme la 554 serait impensable aujourd’hui. A la différence d’avec l’Afrique du Sud, le monde a depuis longtemps donné à Israël une dérogation pour poursuivre sa propre forme d’apartheid.
Loin de remettre en question la hiérarchie juridique entre citoyens juifs et palestiniens dans l’État, les dirigeants étrangers s’engagent à protéger le caractère juif et la majorité démographique d’Israël. Au lieu de défier les dynamiques du pouvoir qui enracinent le statu quo, les gouvernements s’accrochent à un processus de paix qui a déchiqueté un Etat palestinien en bantoustans. Plutôt que de soutenir la lutte pour mettre fin à l’occupation, les législateurs dénoncent toute action non violente et toute critique d’Israël comme antisémite.
Amjad Iraqi
Je suis un citoyen palestinien d’Israël et j’ai vécu entre Israël-Palestine, le Kenya et le Canada. Je suis coordinateur de la défense des droits à Adalah, analyste politique à Al-Shabaka et conseiller de rédaction à +972 Magazine. Actuellement à Haïfa. Les idées exprimées ici sont les miennes.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine