Je me suis vu empêché de prendre la parole contre les crimes d’Israël – la complicité de la Grande-Bretagne avec la répression des Palestiniens doit cesser
Mon visa n’a pas été délivré à temps pour que je puisse intervenir au congrès du Parti travailliste. Nous avons toujours fait l’objet de tentatives pour nous faire taire, pour nous affaiblir moralement et physiquement mais partout où nous vivons, chez nous ou en exil, nous, Palestiniens, tenons bon
Omar Barghouti – 23/09/19
Je devais participer ce week-end à une réunion en marge du congrès du Parti travailliste pour parler de mon activité de plaidoyer en faveur des droits des Palestiniens – mais je n’ai pas pu me rendre à Brighton en raison d’un retard insolite dans le traitement de ma demande de visa pour le Royaume-Uni. Je soupçonne le gouvernement d’extrême-droite d’Israël d’avoir externalisé une fois de plus sa guerre de répression sans frein contre quiconque soutient les droits des Palestiniens auprès d’un autre gouvernement occidental.
J’étais invité à deux rassemblements différents, organisés par le Syndicat national de l’enseignement (National Education Union), la Campagne de solidarité avec la Palestine (Palestine Solidarity Campaign), et le festival The World Transformed issu du mouvement Momentum, pour parler du combat palestinien pour la liberté, la justice et l’égalité et de notre résistance non violente au régime israélien qui pratique depuis des décennies l’occupation, la colonisation de peuplement et l’apartheid.
J’avais l’intention de mettre en lumière la complicité de plus en plus profonde du gouvernement, des grandes entreprises et des institutions britanniques, dans la mise en place du système d’oppression brutal d’Israël, tout en montrant que le mouvement de Boycott –Désinvestissement–Sanctions – une tactique non violente contre l’occupation – est devenu un partenaire important au sein d’une vague progressiste internationale qui se renforce pour combattre l’extrême-droite mondiale dirigée par Trump.
Néanmoins, on voit se rétrécir rapidement l’espace dans lequel les défenseurs des droits des Palestiniens peuvent – sans subir de persécutions – dénoncer des décennies de dépossession, de déplacements forcés et d’humiliations quotidiennes infligés aux Palestiniens par un régime de colonialisme de peuplement.
Après qu’un événement caritatif prévu à Tower Hamlets pour soutenir les droits des Palestiniens a été refusé par le conseil local, ce qui a mis brutalement en lumière ce phénomène de rétrécissement de l’espace et de renforcement de la répression de la part des pouvoirs publics au Royaume-Uni, des personnalités palestiniennes ont écrit ce qui suit : “Le droit de tous les citoyens britanniques à décrire, exposer et transmettre avec exactitude la réalité de la dépossession incessante des Palestiniens, et à appeler à des actions de résistance à ces actes illégaux, a sa place dans l’espace public. Tous les organismes publics sont dans l’obligation de protéger et de défendre ces droits pour préserver la démocratie.”
Le manifestation la plus nette de cette tendance croissante à étouffer la liberté d’expression est la collusion des couches dominantes occidentales avec la guerre effrénée menée par Israël pour délégitimer le mouvement BDS pour les droits des Palestiniens.
En mai, le Bundestag allemand a adopté une résolution qui dénigrait BDS, qualifié d’“antisémite”. Plus de 240 intellectuels juifs et israéliens, dont certains étaient des spécialistes de l’antisémitisme et de l’histoire de la Shoah, ont condamné cette résolution “mensongère”, soulignant qu’elle ne contribuait nullement à “faire progresser le combat urgent contre l’antisémitisme” et qu’elle ignorait la condamnation explicite par BDS de “toutes les formes de racisme, y compris l’antisémitisme”.
Daniel Blatman, historien israélien spécialiste de la Shoah et historien en chef du Musée du ghetto de Varsovie, s’est montré encore plus percutant. Il s’est exprimé en ces termes : « Voici comment un pays où l’antisémitisme était un outil politique qui a contribué à l’avènement de l’entreprise meurtrière des Nazis est devenu un pays qui promeut la distortion de l’antisémitisme pour favoriser la persécution politique d’un mouvement non violent combattant l’occupation, l’oppression des Palestiniens et les crimes de guerre qu’Israël perpètre dans les territoires. »
Au Royaume-Uni, Robert Jenrick, secrétaire d’Etat aux Communautés, a promis il y a quelques jours de s’en prendre aux autorités locales qui adoptent des mesures relevant du BDS et visant à mettre fin à toute complicité avec des sociétés impliquées dans la violation des droits humains des Palestiniens ; de nouveau, le ministre a fait référence à l’antisémitisme.
À la base de ces accusations – celles-ci et d’autres similaires, le mot « antisémitisme » devenant une arme – on trouve un effort acharné pour promouvoir une nouvelle définition anti-palestinienne de l’antisémitisme qui “permettrait de protéger Israël afin qu’il n’ait pas à répondre de ses actes à l’aune des normes universelles des droits humains et du droit international”, comme l’ont déclaré l’an dernier plus de 40 groupes juifs internationaux.
Au Royaume-Uni, des dizaines de groupes noirs, asiatiques et issus de groupes ethniques minoritaires ont dénoncé eux aussi cette nouvelle définition qui constitue une tentative à peine voilée “d’étouffer un débat public sur ce qui est arrivé en Palestine et aux Palestiniens en 1948, lorsque la majorité de ce peuple a été expulsée par la force”.
Malgré cette persécution politique, notre mouvement BDS inclusif connaît une croissance substantielle – son impact se multiplie rapidement au moyen de la construction d’alliances reposant sur des principes et à caractère intersectionnel avec des mouvements globaux qui luttent pour la justice raciale, indigène, sociale, économique, de genre et climatique. Angela Davis nous le rappelle toujours : la justice est indivisible.
La semaine dernière, le Conseil britannique des syndicats (Trades Union Congress, TUC), qui représente des millions de travailleurs, a voté pour la fin du commerce militaire avec Israël et pour exercer des pressions sur les grandes entreprises afin de faire cesser toute complicité avec les violations des droits des Palestiniens. L’an dernier, lors de son congrès, le Parti travailliste a adopté un gel des ventes d’armes à Israël. Unite the Union, deuxième syndicat britannique, a voté en juin le boycott des sociétés sous marque HP, en raison de leur implication dans les violations par Israël des droits humains des Palestiniens.
Ces expressions de soutien aux droits des Palestiniens, et bien d’autres, nous donnent de l’espoir et nous encouragent à continuer notre marche vers la libération. Nous avons toujours fait l’objet de tentatives pour nous faire taire, pour nous affaiblir moralement et physiquement, mais partout où nous vivons, chez nous ou en exil, nous, Palestiniens, tenons bon, et persistons à combattre non seulement le maccarthysme et la répression mais aussi l’apartheid et le colonialisme de peuplement. Nous persisterons dans notre quête de nos droits prévus par l’ONU, y compris l’autodétermination, et le retour de notre peuple dont le nettoyage ethnique a fait des réfugiés.
Ils m’ont empêché d’être au Royaume-Uni hier pour y prendre la parole, mais ils n’ont pas pu me réduire au silence. J’ai utilisé la vidéo pour parler de la lutte infatigable menée par mon peuple pour nos droits, et de la nécessité juridique et éthique de mettre fin à la complicité du Royaume-Uni dans la négation continuelle de ces droits par Israël.
Ils craignent que nous ne projetions la lumière de la vérité qui va révéler leurs mensonges. Ils ont peur de notre quête infatigable de justice. Ils haïssent notre amour de la liberté, notre exigence à ne rien vouloir de moins qu’une existence dotée de dignité et « le menu complet des droits« , pour faire un emprunt à l’archevêque Desmond Tutu, dirigeant sud-africain.
Omar Barghouti est co-fondateur du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) pour les droits palestiniens
Traduction : SM pour Agence Média Palestine
Source : Independent