Gidéon Levy: assassiner le leader du Jihad Islamique n’apporte rien à Israël. Alors pourquoi l’avoir fait?

Gidéon Levy, Haaretz le 14 novembre 2019

Une fois encore, la sacro-sainte unité est arrivée. Une fois de plus, nous formons un seul peuple, sans opposition ni débat public, une parade de bénis-oui-oui et d’amuseurs publics dans les médias, une effusion de sang sans regrets, comme cela se produit toujours dans ces situations révoltantes de « silence, on tue ».

Israël simule une scission au sein du peuple, qui disparaît magiquement après chaque assassinat. Nous nous disputons au sujet de la vie mais nous sommes d’accord sur la mort, tant que les morts sont des Arabes. Si nous sommes automatiquement d’accord pour toutes les actions militaires, il n’y a pas vraiment de polarisation ni de débat, et c’est vraiment très mauvais.

Une opposition juive qui condamnerait une action violente des forces de défense israéliennes quand elle commence doit encore naître . La résistance ne vient que quand cette action commence à échouer. Les gens ont ensuite le courage de manifester, mais il est toujours trop tard. Au début, seule peut émerger la question marginale du timing, ce refuge des lâches. Nous aurions dû le faire avant, cela aurait dû avoir lieu plus tard, mais pas maintenant, l’opération actuelle, par exemple, est ostensiblement teintée de considérations électorales, comme si cela pouvait être prouvé.

Si le bain de sang est inévitable, le moment choisi n’est pas important. Et si c’est criminel et nuisible, aucun timing ne changera cela. Décidez-vous. Même la haine du Premier ministre Benjamin Netanyahu a été oubliée: Yair Lapid se félicite de l’attaque, Benny Gantz la loue comme étant «la bonne décision» et Amir Peretz déclare: «Le plus important est de fournir un soutien total à Tsahal.» Pourquoi? Parce que. Toujours? Oui.

On peut accepter l’argument selon lequel Baha Abu al-Ata soit responsable des tirs de roquettes incessants sur Israël, mais il faut savoir que le siège de la bande de Gaza est responsable de plus de roquettes que tous les commandants du Jihad islamique et du Hamas réunis, et bien sûr, personne n’en parle. Abu al-Ata a grandi dans la bande de Gaza dans des conditions qu’aucun Israélien ne peut imaginer, et a choisi la voie de la résistance militaire, une voie brutale. Il y a aussi des Israéliens qui ont choisi de servir leur peuple dans l’armée.

L’assassinat d’Abou al-Ata ne sert à rien. Qu’avons-nous gagné? Comment son assassinat et celui des autres ont-ils servi les intérêts d’Israël? Si même cette question n’est jamais débattue, alors nous sommes victimes d’une grave paralysie cérébrale. La situation d’Israël est-elle plus sûre au lendemain de l’assassinat? Les communautés du sud sont-elles en meilleure posture? Le djihad islamique est-il affaibli? L’armée israélienne a-elle été renforcée? Les réponses sont non et non. Aucun des généraux ou des analystes n’a réussi à expliquer ce qu’Israël a tiré de tout cela.

Il méritait la peine de mort. Bien, nous vous avons entendu, mais qu’avons-nous gagné? Voici un bilan provisoire: plus de haine à Gaza, s’il y a encore de la place pour davantage haïr ceux qui ont détruit la vie de cinq générations et qui continuent à le faire. Beaucoup de sang a été versé et continue de couler – 22 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza mercredi soir, la destruction et la peur semées des deux côtés ne produisant rien. Et bien sûr, il est clair qu’un successeur à Abou al-Ata va émerger, qui serabeaucoup plus extrême et dangereux que lui, comme l’ont été ceux qui ont remplacé les centaines de dirigeants et de commandants qu’Israël a tués au fil des ans, le tout en vain.

Les éliminations acclamées de Khalil al Wazir, Ahmed Yassin, Abdul Aziz Rantisi, Thabet Thabet, Ahmed Jabari ou Abbas Musawi n’ont rien donné; les assassinats héroïques de toutes ces personnes ont été vains. Israël n’y a rien gagné, si ce n’est plus de sang versé.

Pourquoi Israël continue-t-il ses assassinats ciblés? Parce qu’il peut. Parce que ce sont des histoires héroïques. Parce qu’il aime les combattants palestiniens morts. Parce que le désir de vengeance et de punition le rend fou. C’est ainsi que vous montrez aux gens que vous faites quelque chose, et que vousn’avez aucune hésitation. C’est ainsi que vous pourrez exécuter des gens tout en affirmant qu’Israël ne pratique pas la peine de mort. Parce que c’est le moyen d’éviter la vraie solution. Parce que personne n’a le courage de parler de la vraie solution: lever le blocus et parler directement au Hamas. Parce que tout le monde ici applaudit aux assassinats et n’ose jamais les remettre en question. Demandez-leur à Kahol Lavan et au Parti travailliste, demandez à presque tous les Israéliens s’ils y sont opposés. Nous sommes tous en leur faveur.

Traduction: MUV pour l’Agence Média Palestine

Source: Haaretz

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