#Normalisation Is Treason [La normalisation est une trahison] : pourquoi les artistes doivent être du côté des Palestiniens opprimés

Nada Elia, 27 novembre 2019 

En travaillant avec certains acteurs israéliens ou en projetant des films aux côtés de responsables israéliens, des artistes participent de fait au blanchiment par la culture des violations des droits humains par Israël

Le hashtag #NormalisationIsTreason [La normalisation est une trahison] s’est répandu récemment sur les réseaux sociaux, lorsque l’acteur égyptien Amr Waked a fièrement annoncé qu’il jouerait dans Wonder Woman 1984, la suite du blockbuster dont la vedette est l’actrice israélienne Gal Gadot.   

Waked, qui est connu pour être un soutien solide des droits palestiniens, a immédiatement été confronté à un torrent de réactions de fans désappointés, dont beaucoup le critiquaient durement pour avoir accepté le rôle. Ils utilisaient le hashtag #NormalisationIsTreason [La normalisation est une trahison], qui apparaît fréquemment lorsque des artistes franchissent le piquet de grève du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) et jouent en Israël, ou collaborent à des productions culturelles subventionnées par Israël. 

L’art transcende-t-il la politique ?

Comme tant d’artistes approchés auparavant, Waked a entamé un dialogue avec ses fans, en leur présentant la platitude selon laquelle l’art transcende la politique. Il a répondu :  « L’art m’a enseigné à être humain avant tout. Je travaille à maintenir les valeurs de l’humanité, la vérité et la morale. L’art m’a enseigné à me dresser contre des actions et des comportements, mais pas contre des individus. Je travaille à cela jour et nuit, et j’essaie de toutes mes forces de ne pas sombrer dans l’extrémisme ou dans la haine envers n’importe quel être humain ». 

Comme ses fans continuaient leurs critiques, lui faisant remarquer qu’il collaborait avec une vétérane des forces d’occupation israéliennes, Waked a paru un peu agacé tout en ripostant : « Ce sont tous des soldats », en référence au fait que la majorité des Israéliens servent dans l’armée de leur pays, les femmes pendant deux ans et les hommes pendant trois.  

Mais Gal Gadot n’est pas seulement une jeune Israélienne qui a été obligée de servir dans l’armée de son pays. En 2014, alors qu’Israël menait un des ses assauts militaires cycliques contre la Bande de Gaza assiégée, Gadot a posté : « J’envoie mon amour et mes prières à mes compagnons citoyens israéliens. Particulièrement à tous les garçons et les filles qui risquent leurs vies pour protéger mon pays contre les actes horribles perpétués par le Hamas, qui se cache lâchement derrière des femmes et des enfants … Nous vaincrons !!! Shabbat Shalom! #weareright #freegazafromhamas #stopterror #coexistance #loveidf. [hashtags : nous avons raison, libérons Gaza du Hamas, stop au terrorisme, coexistence, amour aux forces de défense israéliennes].

De tels posts — critiquant les « actes horribles » du Hamas, plutôt que les massacres qu’Israël commettait à l’époque, et continue à commettre depuis, contre les Palestiniens et insistant que « nous avons raison » et « aimons » l’armée israélienne — n’indiquent pas une simple recrue de force qui se contente d’obéir aux ordres. 

Franchir la ligne

Comme les critiques ne s’éteignaient pas, Waked a continué le dialogue avec ses abonnés, en demandant « qu’est-ce que la normalisation? » avant de conclure que se contenter de jouer dans un film avec une actrice israélienne n’est pas la normalisation. On doit « fixer la limite » quelque part, a-t-il indiqué. 

La réalisatrice saoudienne Haifaa al-Mansour a cependant certainement « dépassé cette limite », puisque le ministère des Affaires étrangères israélien a annoncé lui-même récemment que son dernier film, The Perfect Candidate, serait projeté au Festival du film de femmes de Jérusalem en décembre. Mansour doit se rendre en avion à Jérusalem pour le festival, organisé par le maire de Jérusalem Moshe Leon, parmi d’autres responsables israéliens.   

La nouvelle est une violation flagrante de l’appel de BDS, comme les médias sionistes l’ont rapporté, « l’annonce de la projection du film dans l’état juif est perçue comme démontrant une autre étape vers la normalisation des relations entre Israël et les états arabes du Golfe ». 

The Perfect Candidate est le candidat de l’Arabie saoudite pour le meilleur long métrage étranger aux 92èmes Oscars. Récit sur l’émancipation des femmes et l’individualisme, il est centré sur une jeune saoudienne médecin qui, frustrée par le système patriarcal de son pays, décide d’être elle-même candidate aux élections municipales. 

Mansour a auparavant réalisé Mary Shelley, un film d’époque primé sur l’auteure de Frankenstein, qui a d’une certaine manière inventé la science fiction, et avant cela encore, Wadjda, sur une jeune saoudienne qui rêve d’acheter une bicyclette et de rouler dans les rues de son quartier, juste comme le font les garçons. 

Aider l’oppresseur

Mansour, qui vit en Californie avec son mari, un diplomate américain, et leurs deux jeunes enfants, pense peut-être au mantra féministe de Virginia Woolf : « En tant que femme, je n’ai pas de nation. En tant que femme, je ne veux pas de nation. En tant que femme, ma nation est le monde entier ». 

Et bien sûr, comme tant d’artistes l’ont fait avant elle et continueront à le faire, elle a argumenté que l’art rapprochait les gens au-delà des ethnies, des religions et des nationalités. 

Mais même si on peut apprécier pleinement sa vision révolutionnaire — et ses films offrent certainement de solides analyses des restrictions sociétales et de la dépossession des femmes — ce qu’elle ne semble pas comprendre est que l’art, dans le cas d’Israël et par la collaboration avec lui, ne fonctionne pas dans un vide politique.

L’apparition de Mansour à Jérusalem, et la projection de son long métrage, font tous partie du blanchiment par la culture de l’ingérence d’Israël dans les droits humains d’un peuple entier, dont les femmes, les enfants et les hommes n’ont aucun pays quelqu’il soit, et sont transformés en réfugiés de leur propre terre, pendant que Mansour bénéficie des privilèges d’une vie cosmopolite. 

Tant qu’existent les limites posées par Israël à un peuple opprimé — sous la forme d’apartheid, d’occupation, du déni au droit au retour et d’un siège proche d’un génocide à Gaza — alors les artistes doivent être du côté de l’opprimé, ou leur art sera utilisé à aider l’oppresseur.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique de la diaspora palestinienne, qui travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ « Demographic Threat? » Notes from the Global Intifada. Professeure à la retraite d’études du genre et d’études globales, elle est membre du comité de pilotage de la Campagne pour le boycott académique et culturel d’Israël aux Etats-Unis (USACBI).

Trad. CG pour Agence Media-Palestine

Source: Middle East Eye

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